appelle-oubli-mauvignier Cinquante-cinq pages pour une marche funèbre.
Une seule phrase, sans réel commencement, ni véritable fin.
A la fois, complainte où l’incrédulité et la stupéfaction le disputent à la douleur et réquisitoire contre la violence gratuite, la bêtise et les préjugés.
A lire d’un seul souffle, comme en apnée, jusqu’aux limites de la suffocation.

En décembre 2009, à Lyon Part Dieu, un jeune homme de 25 ans surpris à boire une bière dans le rayon d’un supermarché, à « rafraîchir sa gorge et enlever ce goût de poussière qu’elle avait et qui ne le lâchait pas», succombe à son interpellation musclée par quatre vigiles.
La version officielle d’une mort accidentelle consécutive à un « malaise » sera réfutée par les enregistrements de vidéosurveillance et le rapport du légiste. La victime est morte par « asphyxie mécanique provoquée par compression de la cage thoracique et obstruction des voies respiratoires supérieures ». Sur son corps, des hématomes témoignent aussi des coups qui lui ont été assénés. [1]
« (…) au début, il ne peut pas se douter ni imaginer qu’il ne lui restera bientôt que la nudité et la froidure sur un matelas de fer ou d’Inox, et aussi, attaché à un doigt de pied, une étiquette avec son nom, un numéro, qu’est-ce qu’on en sait ? il n’en sait rien non plus, il n’a vu ça que dans les films et ces coups aussi, dans les films, avec les blessures déjà froides que le médecin légiste et la police regardent d’un œil détaché avant qu’on rabatte sur le visage un tissu blanc, un plastique, il ne sait pas que bientôt ils parleront de lui en disant le cœur a lâché, le foie explosé, les poumons perforés, le nez fracturé, les hématomes larges comme les mains, des choses qu’il n’entendra pas et que toi tu n’aurais jamais dû ni n’aurais voulu entendre, qu’ils débiteront avec une sorte de douceur et de clame pour t’expliquer, pour que tu comprennes comment les choses sont arrivées, que des mots viennent adoucir ta peine parce qu’ils sont chuchotés plutôt que dits (…) »

Comme pour Dans la foule (qui lui a été inspiré par la tragédie du stade du Heysel), Laurent Mauvignier s’empare d’un nouveau fait-divers sordide pour ciseler un texte dense et puissant à la portée universelle.
Dans les faits, Michaël Blaise était natif de Guadeloupe. L’homme de Ce que j’appelle oubli est indéterminé, il est n’importe quel homme, blanc, noir, maghrébin, Rom…
Les avocats des agents de sécurité se sont empressés de présenter Blaise comme un marginal, SDF, alcoolique, chapardeur récidiviste, travestissant une nouvelle fois la vérité. Mauvignier rend sa dignité à son personnage en lui imaginant un passé, une vie avant le passage à tabac fatal : des parents bouchers en province, sa fuite du domicile familiale, son errance et une existence en marge à Paris, puis en banlieue.

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Sans pathos ni démagogie, Mauvignier raconte la sauvagerie gratuite et disproportionnée, l’acharnement des vigiles, comment ils s’excitent les uns les autres, prenant un plaisir évident à tabasser leur victime, l’accablant de leurs propres frustrations pour mieux évacuer leur haine d’eux-mêmes.
En réponse à ce déferlement de violence aveugle, il décrit l’incrédulité du jeune homme face à l’absurdité de la situation, la disproportion qui pourrait être risible entre leur châtiment et son larcin, les détails presque saugrenus qu’il note mentalement, entre les coups. Puis, son incompréhension et son épouvante.

Au-delà de ses qualités purement littéraires (la scansion du texte par une ponctuation savamment maîtrisée est particulièrement remarquable), Ce que j’appelle oubli est un texte politique contre l’indifférence, une lutte contre l’oubli qui dit son dégoût d’une certaine dérive sécuritaire, du racisme ordinaire qui soit ignore, soit stigmatise.
Un texte à vif, fort et obsédant qui ne demande qu’à être incarné sur la scène d’un théâtre.

Les premières pages sont à découvrir sur le site des Éditions de Minuit ou dans le document attaché en annexe de ce billet.
Le site web de l’auteur.

Ce qu’ils en ont pensé :

De Litteris : « Leçon de style et de littérature autant que réflexion sur la barbarie, cette poignée de pages coupe le souffle et hante longtemps après avoir déferlé en nous et laisse une plaie béante et durable à l’âme. »

La république des livres : « C’est bref mais si tendu que ça suffit. Ce n’est pas une enquête mais un geste de dégoût sublimé par l’écriture. (…) Mauvignier ne dénonce personne mais son récit est le plus terrible des actes d’accusation. »

Rhinocéros : « Dérangeant car loin de toute « bien pensance », essoufflé mais stylistiquement remarquable. »

Ce que j’appelle oubli, de Laurent Mauvignier
Les Éditions de Minuit (2011) – 64 pages

Notes

[1] Pour en savoir plus, l’article de Libération.