mauvignier-fouleBruxelles. 29 mai 1985. Stade du Heysel.
Soixante mille supporters convergent vers le stade du Heysel pour assister à la finale du siècle de la Coupe d’Europe des Champions entre la Juventus de Turin et les Reds de Liverpool.
Ce match est effectivement resté dans les annales de l’histoire du football pour son score final : 38 morts, la plupart piétinés ou étouffés, et des centaines de blessés.

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La faute à qui ?
Aux hooligans des Reds qui ont investi les tribunes des tifosi italiens ?
Aux Italiens paniqués qui pour fuir l’assaut des Britanniques sont à l’origine de la bousculade ?
Aux autorités belges complètement dépassées par l’ampleur de la rencontre ?

Ce n’est pas le propos de Laurent Mauvignier.
Il concentre toute son attention sur ses personnages : deux potes, Jeff, un Français et Tonino, un franco-italien, des jeunes mariés Italiens en lune de miel, Tana et Francesco, trois frères de Liverpool, les Andrewson, et un couple de jeunes Belges, Gabriel et Virginie.
Pour eux, et toutes les personnes présentes ce jour-là, plus rien ne sera plus jamais comme avant.

On assiste au départ de Liverpool, de Doug, Hughie et Geoff, les frères Andrewson, sous les regards inquiets, voire réprobateur, de leur mère et épouses respectives.
On apprend que Tana et Francesco ont reçu leur billet pour la finale comme cadeau de noces.
On fête dans un bar, avec Gabriel et Virginie, le premier « vrai » emploi de Gabriel.
A ce pot joyeux, ils convient Jeff et Tonino, qu’ils ont rencontrés un peu plus tôt, zonant dans les rues de Bruxelles, avec l’espoir fou d’assister au match sans billet. Puis, survient le drame. Et après le drame, comment fait-on pour s’en sortir, pour continuer ? Peut-on se reconstruire, oublier ?

Fous de foot, passez votre chemin. Dans la foule n’est pas un livre sur le football, ni même sur la tragédie du Heysel. Dans ses interviews, Mauvignier répète qu’il a préféré le Heysel au 11 septembre, trop énorme pour lui.
Ce cadre, devenu historique, lui sert à explorer les tréfonds les plus intimes de ses personnages, dévastés par l’ampleur du chaos qui les submerge.

Comme dans les précédents romans de Laurent Mauvignier, les longs monologues intérieurs disent à merveille l’indicible : les silences, les rancœurs, les remords, les jalousies, les désirs, les souffrances, les peurs… Le style suit le rythme de la pensée des personnages : les mots se répètent, les phrases s’interrompent, puis reprennent sans logique apparente, souvent laissées en suspens.

Les personnages ne sont pas caricaturaux (les hooligans d’un côté, les autres, de l’autre), tous conservent leur part d’ambiguïté. Parfois, tous ces « Je » se mélangent, transformant le chant polyphonique en complainte. Ça sort des tripes. Cette foule est étouffante, oppressante. A plusieurs moments, j’ai du interrompre la lecture, remonter à la surface, capter une bouffée d’air frais et reprendre ma respiration, et ma lecture.

Un très bon roman qui, selon moi, aurait gagné à être plus court (et pourtant, j’étais plutôt content quand j’ai vu que Dans la foule était bien plus long que ces quatre prédécesseurs !). Dans la foule, qui figurait sur les listes de certains grands prix littéraires (dont le Fémina et Le Flore), a reçu le cinquième Prix du Roman Fnac.

Pour connaître l’avis d’Anne-Sophie sur ce livre, c’est ici.
Pour lire un extrait du livre, c’est ici (ou en annexe de ce billet si le lien est mort).
Pour en écouter un autre extrait, c’est ici.
Pour en savoir plus sur Laurent Mauvignier, son site est ici.

Extraits : « Nous avons retenu notre souffle pour que rien ne bouge dans la salle à manger, à part les pages du journal que ta mère voulait tourner et tourner encore comme si elle y apprendrait autre chose que la mort de son fils. Quand ce sont les nouvelles du jour, on se dit que les nouvelles sont tristes, mais quand les nouvelles vous annoncent que cette fois c’est vous qui êtes l’actualité, à votre tour les morts dont les noms sont des chiffres, des numéros, en attendant le journal du lendemain, en attendant pire, eh bien ce n’est plus pareil, la poitrine vous est déchirée alors qu’hier encore la même nouvelle et le même nombre de morts vous dégoûtaient puis vous alliez seulement vous brosser les dents et faire votre toilette. Mais là, non. Vous restez à tourner autour de la table, vous reprenez un café, une tisane, vous jouez avec votre alliance, vous massez votre nuque avec vos doigts et puis vous vous dites que cette fois puisque le journal le dit c’est que c’est faux, absolument faux, c’est arrivé à d’autres, puisque c’est dans le journal, vous vous dites : il ne m’arrive jamais rien alors ça ne peut pas m’arriver, c’est aussi simple que ça, et pourtant »

« Comment tout peut-il dévier de sa trajectoire comme ça ? Comment c’est possible, dis-moi ? Ah, oui, c’est ça, parce qu’il n’y a pas de trajectoire. Pas de direction. Rien. On est balancé comme ça à toute allure et il faut se dire qu’avec un peu de chance on ne tombera que tard, que loin, mais non pas tout de suite ni trop près,  »

Dans la foule, de Laurent Mauvignier
Minuit – 372 pages