Dropped-Dead-Melissa-Turner

Dropped dead © MelissaTurner Flickr

« (…) alors que lui était vide de tout ils ont pris son corps pour le remplir et le gaver des défauts dont ils voulaient se débarrasser, eux, comme un sac à remplir de pierres, de gravats, de déchets, et il s’est retrouvé gros et difforme de leurs mensonges, des bla-bla, bla-bla, encore, prétendant que son cœur avait lâché avant même qu’ils aient levé la main sur lui, c’est ça, son cœur a lâché et il faudra les scalpels et son corps découpé, pesé, mesuré, son corps mis à nu pour le vider de leur bla-bla et de ce qu’ils ont prétendu à la police et répété à leur femme, à leurs amis, à leur famille, ils n’ont pas frappé si fort, ils ont cogné parce que le type les insultait, c’est lui qui tapait et criait et ils parleront d’un couteau que personne ne retrouvera jamais, devant leur femme ils diront que cette fois-là non plus ils n’ont pas eu de chance et n’en ont jamais eu dans cette salope de vie, et elles les plaindront, elles les soutiendront et ils essaieront les mensonges et personne ne les croira, parce qu’à leur tour ils auront un goût de poussière dans la bouche, ils auront soif à leur tour et auront peur la nuit, ils se demanderont pourquoi leur estomac est douloureux et pourquoi ils ne sentent plus de force dans leurs bras, pourquoi ils ont l’impression que leurs jambes se dérobent sous eux, ou alors, au contraire, ils ne demanderont rien mais leur corps leur dira tout des courbatures et du mal au ventre, du nez qui pisse un sang rouge vif – mais n’ayez pas peur, être coupable, on n’en meurt pas, ça vous rongera peut-être, on ne sait jamais, même si aucun de vous n’a dit qu’on ne doit pas tuer un homme pour si peu, non, parce que vous avez seulement pensé, putain, je vais foutre ma vie en l’air à cause d’un sale petit connard et l’idée de la prison et l’humiliation pour les enfants à l’école, des fils d’assassins, c’est ça, ce qu’ils ont fait de leurs enfants et qu’ils porteront comme une injure à leur avenir, des fils de taulards, de voyous et si on les met en prison trop longtemps, est-ce que leur femme prendra un amant ? est-ce qu’ils deviendront pédés s’ils passent trop de temps en prison avec des hommes malades comme eux de savoir la vie se faire sans eux, dehors, avec les femmes qui continuent à vivre et à sortir pendant qu’ils rumineront les mots du procureur ? (…) »
(p.28-31)

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Ce que j’appelle oubli, de Laurent Mauvignier
Les Éditions de Minuit ( 2011) – 64 pages