Je dois à Clarabel de m’avoir “initié” à la plume de Kathrine Kressmann Taylor. J’ai tellement aimé les quatre nouvelles d’Ainsi mentent les hommes, que j’ai eu envie de poursuivre mon exploration de l’œuvre de la dame. L’occasion m’en a été donnée lors du vide-grenier de la rue Davy où j’ai déniché Inconnu à cette adresse et Jour sans retour.
Première surprise : la brièveté d’Inconnu à cette adresse, qui est en fait une nouvelle, et se lit en moins d’une heure. Petit… mais puissant, pour paraphraser un célèbre slogan publicitaire. Il s’agit de la correspondance (fictive, mais basée parait-il à partir de lettres réelles) entre deux hommes, deux amis, deux frères presque, Martin Schulse, allemand de naissance et Max Eisenstein, de confession juive. Associés, ils gèrent avec succès la galerie d’art qu’ils ont créée en Californie. Un jour de 1932, Martin décide de retourner en Allemagne, chez lui à Munich.
Décidé à monter dans le train de la mobilité urbaine, le groupe clermontois a présenté un vélo pliable à assistance électrique. Une innovation technologique en vente uniquement sur internet.
Commencée le 12 novembre 1932, la correspondance des deux amis s’achèvera le 3 mars 1934. L’amitié qui unit les deux hommes va être mise à mal par les événements qui secouent l’Allemagne d’alors : la montée du nazisme, avec Hitler à sa tête. Au fil de cet échange épistolaire, les influences nazies de Martin vont se révéler toujours plus fortes, au point de l’amener à renier son amitié fraternelle avec Max, réduit à ses yeux à la condition de juif honni. «Nous devons présentement cesser de nous écrire, lui répond son ami allemand. Il devient impossible pour moi de correspondre avec un Juif ; et ce le serait même si je n’avais pas une position officielle à défendre (…). La race juive est une plaie ouverte pour toute nation qui lui a donné refuge. Je n’ai jamais haï les Juifs en tant qu’individus –toi, par exemple, je t’ai toujours considéré comme mon ami-, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j’ajoute que je t’ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle.»
Incrédule, Max veut encore croire que son ami agit de la sorte pour échapper à la censure. Mais est-ce réellement le cas ?
Ce texte prend des allures prophétiques quand on sait qu’il a été publié en 1938 aux États-Unis (et seulement en 1999, en France !), soit un an avant la déclaration de la seconde guerre mondiale. De son style clair et sans fioritures, l’auteur y affiche une certaine clairvoyance sur l’Histoire en marche. «Avec cette correspondance étonnante (…), la littérature américaine s’est enrichie d’une rareté littéraire : la nouvelle parfaite. Bien plus, l’histoire contée ici, diaboliquement habile dans sa conception mais d’une évidence, d’un naturel absolus dans sa forme expressive, est de celles avec lesquelles tant le lecteur moyen que l’écrivain professionnel se sentent en terrain familier : «J’aurais pu écrire cela moi-même. Comment n’y ai-je pas pensé avant ?», se disent-ils, émus et consternés. Goethe, quant à lui, dirait que dans toute œuvre de génie chacun reconnaît une idée personnelle inaboutie.»
(extrait de la préface).
Ici, ce que Joëlle, Pitou et Sylvie ont pensé de ce livre, adapté pour le théâtre, dans un “pestacle” chroniqué par BMR-MAM.
Enthousiaste après la lecture d’Inconnu à cette adresse, j’ai enchaîné direct avec Jour sans retour, qui par coïncidence, traite du même sujet : la montée du nazisme en Allemagne. Dans les années 1940, par l’entremise du FBI, Kathrine Kressmann Taylor rencontre Leopold Bernhardt, un pasteur allemand, émigré aux Etats-Unis pour fuir Hitler et son régime. Elle va recueillir ses confidences et les retranscrire sous forme romancée dans Jour sans retour.
A travers son personnage de Karl Hoffmann, jeune étudiant en théologie, voulant devenir pasteur comme son père, Kathrine Kressmann Taylor retrace les années où le nazisme s’est peu à peu imposé en Allemagne, pour finir par prendre le contrôle des institutions mais aussi des esprits du pays.
Fils unique d’une famille privilégiée bourgeoise, Hoffmann ne s’intéresse que de loin aux bouleversements politiques qui agitent son pays et se préoccupe fort peu des mouvements antisémites qui se multiplient.
Comme son père, il pense que Jusqu’au jour où il prend conscience que «La grande protection de l’Eglise tient à ce qu’elle ne se mêle pas de politique, à ce qu’elle ne prend jamais parti dans ces controverses. Elle reste au-dessus de tout cela, coupée des affaires du siècle»
et que «le problème du nazisme (…), c’est qu’il ne se développe plus désormais en tant que puissance politique ; c’est en train de devenir une religion. Et ils ne tolèreront aucune religion rivale.»
Il décide alors d’entrer en résistance.
De ce côté-ci du Rhin, on oublie souvent que certains allemands se sont unis pour résister au nazisme. Notamment au sein même de l’église luthérienne où une partie, baptisée “église confessante”, luttait contre la réinterprétation des textes saints à la lumière des nouveaux préceptes nazis par les “chrétiens allemands”. C’est cette lutte intestine qui est au cœur de Jour sans retour. Kressmann Taylor s’y entend pour dépeindre comment les nazis s’y sont pris pour s’infiltrer à tous les niveaux de la politique et de l’économie du pays, en manipulant les esprits et en recourant à la violence pour briser les insoumis. Elle montre aussi très bien comment l’idéologie nazie tentait de se faire passer pour une nouvelle religion dont la figure messianique aurait été Hitler.
Malheureusement, elle, qui d’ordinaire privilégie la sobriété, se laisse aller à des envolées lyriques qui affaiblissent son message et la force de son récit. Ainsi, souvent j’ai eu à l’esprit, comme une affiche de propagande, l’image risible d’une armée blanche de cœurs purs et courageux luttant avec force et détermination contre les affreux nazis. Les trop très nombreux sermons religieux ont également gâché mon plaisir.
Inconnu à cette adresse, de Kathrine Kressmann Taylor
Traduction : Michèle Levy-Bram
Autrement – 64 pages
Jour sans retour, de Kathrine Kressmann Taylor
Traduction : Laurent Bury
Autrement – 327 pages