tamara-drew-simmonds Quoi de mieux pour garder à l’œil son mari volage que de se montrer une épouse prévenante, soucieuse de son bien-être et lui témoignant une attention de tous les instants… jusqu’à lui devenir quasiment indispensable ?
C’est en tout cas la méthode qu’adopte Beth pour limiter les écarts de son écrivain de mari, le fameux Nicholas Hardiman, auteur de polars à succès et coureur de jupons notoire.

Les navetteurs adeptes du vélo pliant ont a leur disposition un grand choix de vélos de qualité.

Dans le petit village d’Ewedown (Dorset) où ils vivent reclus, elle veille jalousement à ce que Nicholas puisse travailler à ses romans dans des conditions optimales : elle lui assure un calme absolu et le décharge de toutes contingences matérielles.
Épouse et nounou, elle est également sa secrétaire particulière, filtre ses appels téléphoniques, organise l’agenda de ses rendez-vous, relit et tape ses manuscrits, n’hésitant pas à l’occasion à y apporter quelques corrections. Il se susurre même qu’elle serait l’instigatrice des meilleures idées de son mari.

C’est donc tout naturellement que Beth a ouvert les portes de leur cottage aux écrivains en quête de tranquillité. Chaque année, Stonefield accueille ainsi en résidence cinq-six auteurs souhaitant se concentrer uniquement sur leur livre en cours.
Beth est l’âme du lieu ; elle prépare les repas, prend bien soin que personne ne manque de quoi que ce soit, a toujours un geste ou un mot pour chacun. Présence réconfortante et indéfectible, elle incite les uns et les autres à la confidence. Pour l’épauler dans ce qui n’est pas une sinécure, elle peut compter sur Andy, le solide garçon du village qu’elle a engagé comme jardinier et qui, à l’occasion, lui fait aussi office de factotum.

Un beau jour, la propriété voisine de Stanford, laissée à l’abandon depuis le décès de son occupante, montre des signes d’activité. Tamara Drewe, la fille de la défunte, est de retour à Ewedown où elle a grandi et où elle n’avait jamais remis les pieds depuis qu’elle en est partie des années auparavant pour aller tenter sa chance à Londres.
Dire que l’arrivée de Tamara ne passe pas inaperçue dans le village serait un euphémisme tant tous les regards curieux sont tournés vers elle : en plus de l’aura de prestige que lui confère la capitale, la jeune fille est précédée de sa réputation de chroniqueuse dans les rubriques people de journaux londoniens.
Mais là où elle cloue tout le monde sur place, c’est qu’il ne reste rien en elle de l’ado complexée au physique ingrat. Depuis qu’elle a confié son nez en patate aux soins de la chirurgie esthétique, Tamara est une jeune fille sûre d’elle et sexy en diable, une bimbo se montrant volontiers charmeuse, pour ne pas dire aguicheuse.

Il ne faut pas être devin pour comprendre que l’entrée en scène de Tamara va perturber la routine de la communauté d’écrivains et le calme apparent, mais précaire, du village.

S’il y a un album pour lequel le néologisme « roman graphique » prend tout son sens, c’est bien ce Tamara Drewe, de Posy Simmonds, tant l’imbrication des dessins, bulles et pavés de textes y est poussée et aboutie.

Pour son intrigue, Simmonds s’est librement inspirée du roman de Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée. Impossible pour moi de distinguer les analogies et les divergences avec son modèle puisque je ne l’ai pas lu.
Tout ce que je peux dire c’est que la comédie de mœurs qu’elle en a tiré est savoureuse, critique ironique d’un certain microcosme littéraire, des bobos arrogants snobant tout ce qui ne vient pas de la ville, du désœuvrement et de l’ennui des jeunes ruraux qui ne pensent qu’à fuir la campagne… Mais surtout Posy Simmonds excelle à transcrire les relations humaines et conjugales, le jeu des convenances et des apparences.

La psychologie de ses personnages est soignée et tous sonnent juste. De Beth, la quinquagénaire dévouée qui gère tant bien que mal les infidélités de son mari, à Glen Larson, universitaire américain en panne d’inspiration et écrivain frustré ; d’Andy, le bon gars de la campagne, amoureux éconduit mais fidèle, à Nicholas, mari veule et fieffé menteur, peu avare en sarcasmes envers les écrivaillons en résidence sous son toit. En passant par Ben, l’ex-batteur d’un groupe rock célèbre, dénigrant les culs-terreux, ou encore Cosey et Judy, les deux ados qui ont fait de l’arrêt de bus leur Q.G. et trompent leur ennui en commettant des actes malveillants supposément sans graves conséquences.

L’autre grande réussite de Tamara Drewe, c’est sa narration complexe. Divisée en cinq parties, selon les saisons d’une année, elle est assurée par plusieurs personnages, témoins des événements, dont les points de vue se succèdent et se complètent.
Contrairement à ce que le titre de l’album laisserait suggérer, Tamara n’est pas l’un de ces narrateurs. Elle n’en est même pas le personnage principal. Elle est celle qui cristallise les fantasmes masculins, qui relie tous les personnages entre eux. Le grain de sable qui grippe la machine.

Enfin, même s’ils ne sont pas à mes yeux la force de cet album, je ne voudrais pas terminer sans dire un mot sur les dessins de Simmonds. De la finesse du trait et des teintes pastel se dégage une impression de douceur. Impression renforcée dans les flashbacks qui se distinguent par leur dominante bleutée.

Voilà déjà plusieurs mois que j’ai lu Tamara Drewe et j’en garde l’agréable souvenir d’une histoire douce-amère sur l’adultère, la jalousie, la réussite… J’ai également apprécié que, pour une fois, une BD me tienne en haleine plus d’une heure.
J’ai enchaîné peu de temps après avec le film qu’en a tiré Stephen Frears. Je l’ai trouvé plutôt fidèle à la trame du roman (la fin exceptée) mais beaucoup moins à son atmosphère, Frears jouant la carte de la comédie plutôt que de la tragi-comédie. Mais, sans être un chef-d’œuvre, le film se regarde aussi avec plaisir.

Quelques planches en français (en plus de celles figurant dans certains des liens cités ci-dessous).
Les anglophones pourront lire Tamara Drewe en intégralité, sous sa forme originale de 110 strips hebdomadaires parus dans The Guardian, d’octobre 2005 à 2007.

Ce qu’ils en ont pensé :

Antigone : « Quelle belle surprise que cette BD !! (…) Posy Simmonds croque de plus avec humour et causticité ce petit monde fermé des écrivains amateurs ou publiés. »

ChezLo : « Une pure merveille que cette BD ! On y est plongé comme dans un film, très vite captivé, sensible aux expressions de chacun, aux couleurs de la campagne qui nous font ressentir le froid, la brume, l’humidité. »

Enna : « Derrière cette comédie de mœurs, on a aussi un portrait de l’Angleterre rurale. »

Jean-François : « Une fable habilement menée sur la reconnaissance, l’échec et le succès, la vie et la mort, l’amour et le mensonge. »

Joëlle : « Un album pas toujours facile à lire (il faut vraiment prendre son temps) mais une critique acide de la société anglaise très réussie ! »

Karine : « Une réussite donc, avec une histoire pas linéaire, des personnages intéressants, une atmosphère réussie et de nombreux thèmes abordés efficacement. »

Kathel : « C’est délicieusement anglais, plein d’humour perfide, bien écrit et le dessin, parfois enfermé dans des cases, le plus souvent s’échappant librement dans la page, fait bien sûr beaucoup pour l‘originalité de ce roman. »

Keisha : « Un bon moment de lecture ; textes et images sont copieux ! »

Mo : « C’est fade et la colorisation y contribue fortement (…) Un roman graphique ? Certainement pas. Et même si je n’ai jamais envisagé d’abandonner ma lecture en cours de route, je n’étais pas non plus très emballée pendant ce moment de découverte. »

Valériane : « C’était très agréable d’alterner entre texte décrivant une image, et mode “BD”. Un type de lecture mixte qui donne un rythme agréable au récit. »

Ys : « Même en s’inspirant d’un roman du XIXe siècle, Posy Simmonds parle de notre époque et des mœurs d’aujourd’hui. »

D’autres avis sur Babelio

Si vous avez saisi le clin d’œil du titre, il est déjà trop tard : cet air diabolique vous hantera tout le reste de la journée. Alors tant qu’à faire, cliquez plutôt ici (garanti 100 % vintage).

Tamara Drewe, de Posy Simmonds
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Lili Sztajn
Denoël Graphic (2008) – 133 pages