sagan-yeux-soie « La grammaire n’avait rien à faire dans les discours passionnels, tout au plus pouvait-on dire – d’après l’expérience assez longue qu’elle avait maintenant du français – que la place des mots changeait complètement une phrase. Ainsi, entre dire à un homme « Je vous aime beaucoup » ou « Je vous ai beaucoup aimé », et dire « Je vous aimerai toujours » ou « Je vais toujours vous aimer », il y avait là des mondes passionnels, incompréhensibles et qu’elle-même avait eu le plus grand mal à résoudre, aussi bien sur le plan sentimental que sur le plan grammatical. »
(La paupière de gauche, p. 121)

Alors qu’on les croirait abonnés au bonheur et comblés par la vie, les personnages des dix-neuf nouvelles qui constituent ce recueil signé Françoise Sagan s’efforcent de dissimuler leurs inquiétudes et leurs fêlures sous le vernis du bonheur parfait.
« Elle aimait tout ça, en fait, elle aimait bien sa vie : beaucoup d’amis, beaucoup d’amants, un métier drôle, un enfant même, et du goût pour la musique, les livres, les fleurs et les feux de bois. »
(L’étang de solitude, p. 189)

Les vélos pliants Tern sont des machines bien conçues et tout à fait abouties, avec un concept de pliage très efficace et rapide.

Campagne anglaise, plages de Normandie, forêt bavaroise, Côte d’azur, Paris rive gauche… Dans ce monde de privilégiés, où l’argent autorise tous les plaisirs de la vie (belles villas, décapotables sportives, pur-sang racés, soirées mondaines…), couples officiels ou clandestins, amants et maîtresses, femmes riches et gigolos refoulent leur solitude et leur désenchantement.
« Assises sous une ombrelle, se bourrant de petits muffins et de thé, leurs deux mères, veuves depuis longtemps (l’une grâce aux Indes, l’autre grâce à la Bourse), les contemplèrent avec ravissement. L’image des petits-enfants qu’on ne saurait leur infliger un mois par-ci, un mois par-là, pendant les vacances, assombrissait un peu cet avenir doré, mais enfin… : il y aurait bien toujours une nanny pour s’en occuper. »
(L’arbre gentleman, p.70)

Il suffit de pas grand-chose, d’un petit rien du tout – une partie de chasse, une promenade, une porte de WC bloquée, un rendez-vous chez le médecin – pour qu’une relation amoureuse qui semblait aller de soi se voie brusquement remise en question. Un éclair de lucidité suffit à sonner le glas des illusions. Que la rupture soit finalement consommée ou reste inexprimée, plus rien ne sera comme avant.
« Lady Garett avait fait « carrière », comme on dit, dans maintes chroniques et dans maintes histoires sentimentales. Ce jour-là, tout en admirant le côté paresseux de la Seine, elle se plaisait à préparer les phrases qu’elle dirait à son amant, Charles Durrieux, commissaire-priseur à Lyon, dès son arrivée : « Mon cher Charles, ce fut une aventure délicieuse, exotique pour moi-même, à force d’insignifiance, mais il faut le reconnaître, nous n’étions pas faits l’un pour l’autre… » Et là, Charles, le cher Charles, rougirait, balbutierait ; elle tendrait une main souveraine dans le bar du Royal Hôtel – main qu’il ne pourrait rien faire d’autre que de baiser – et elle disparaîtrait, laissant derrière elle des ondes de regards, des relents de parfums, des lento, des souvenirs… Pauvre Charles, cher Charles si dévoué sous sa petite barbiche… Bel homme, au demeurant, viril, mais enfin quoi, un commissaire-priseur lyonnais ! Il aurait dû se rendre compte lui-même que cela ne pouvait durer. Qu’elle, Letitia Garett, née Eastwood, ayant épousé successivement un acteur, un Agha, un fermier et un P-DG ne pouvait raisonnablement finir sa vie avec un commissaire-priseur !…»
(La paupière de gauche, p. 118)

Ce sont ces instants fugaces que Sagan dissèque sans pitié de sa plume acérée dans Des yeux de soie : vengeance, renoncement, trahison, lâcheté, compromission… Toutes ces faiblesses tellement humaines finalement.

Et puisque c’est Sagan, c’est faussement léger et cruellement drôle. Dans ces textes aigres-doux mais pourtant étrangement apaisés, plane le spectre de la vieillesse. L’ironie y est toujours sous-jacente, marque d’élégance qui oblige à sourire pour ne pas montrer ses larmes. Parce que l’amour, ce n’est pas bien sérieux en définitive.
« Elle se rappela son enfance, ses mariages, les enfants qu’elle aurait pu avoir, ceux qu’elle avait eus. Elle se rappela des détails idiots de plages, de murmures la nuit, de disques, de bêtises, et, comme elle avait un certain humour, elle pensa qu’aucun cabinet de psychiatre ne saurait être aussi efficace qu’un WC fermé, dans un wagon de 1re classe, entre Paris et Lyon. »
(La paupière de gauche, p. 133)

Des dix-neuf nouvelles réunies dans Des yeux de soie, j’ai particulièrement apprécié Le gigolo (extrait ici), L’arbre gentleman, Une mort snob, La paupière de gauche, La rupture romaine, et La piqûre de sept heures.
« Il avait cru au rideau qui se lève et qui se baisse, aux critiques comme aux compléments – il avait même cru avoir des amis et des ennemis. Il avait cru que les autres se partageaient en deux à son endroit, selon un alignement très net : les salauds à droite, les copains à gauche. Il avait cru que la terre et le monde se souciaient de lui. Mais là, tout à coup, piégé entre la férocité innée de la distinguée Cecily et le naturel aimable, voire hilare, du fougueux Reginald, il se sentait pris à partie, secoué par quelque chose d’autre que lui-même et qu’il n’arrivait pas à définir : une entité. Une entité de bon goût ou d’intelligence ou d’absolu ou d’amour, mais qu’il n’arrivait pas à appliquer précisément sur l’un ou l’autre de ces deux visages pourtant proches de lui, l’un si violemment éclairé, l’autre si obscur. »
(La piqûre de sept heures, p. 166)

Je profite de ce billet pour vous rappeler que le Challenge Sagan, organisé par Delphine et George, court jusqu’au 31 janvier 2012. Avis aux amateurs.

Ce qu’ils en ont pensé :

Canel : « Une vingtaine de nouvelles brèves, empreintes de mélancolie, sur des couples mal en point – rupture, querelle, adultère, jalousie, érosion du désir – mais aussi sur la vieillesse, la maladie et la mort. »

Thierry Collet : « Ces tableaux sont d’une terrible truculence et laissent l’empreinte d’une griffe acérée que la précision du style et le sens de la formule rendent fallacieusement douce. »

Des yeux de soie, de Françoise Sagan
Stock (2009 – Première publication 1976) – 208 pages