gallmeister

Avec Little Bird, non seulement j’ai fait la connaissance d’un auteur, Craig Johnson, et de son personnage, Walt Longmire, mais j’ai aussi découvert une maison d’édition, Gallmeister , qui s’est fait une spécialité du Nature Writing, courant littéraire américain où la nature est un personnage à part entière.
Mais, plus encore que sa spécificité éditoriale, c’est le parcours de son fondateur qui a éveillé ma curiosité. Ancien de Sciences-Po, Olivier Gallmeister décide, il y a quatre ans, de lâcher son poste de contrôleur de gestion pour s’adonner à sa passion pour la littérature américaine, et crée les éditions qui portent son nom.

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Qui est donc ce “fou”, amateur de pêche à la mouche, qui n’hésite pas à troquer la sécurité d’un emploi confortable pour l’aventure de l’édition, lui qui n’appartient pas au sérail ? Éléments de réponse.

On ne décide pas de devenir éditeur du jour au lendemain par hasard. Quand a commencé votre histoire avec les livres et la littérature ?
Quels sont les romans et/ou auteurs qui ont marqué votre vie de lecteur ?

J’ai eu la chance de grandir dans une famille où les livres étaient toujours présents, où il n’était pas difficile de trouver de quoi lire et où la lecture faisait partie de notre vie de tous les jours. Alors, je ne sais pas à quand remonte mon histoire avec les livres et la littérature, mais disons que les livres ont toujours fait partie de ma vie, de manière quasi organique.
Mes lectures d’enfance ont été déterminantes et constituent encore aujourd’hui certains de mes plus beaux souvenirs. Je ne pourrai pas tous les citer, mais les livres de Jack London, Mark Twain, Kipling, Stevenson, par exemple, restent pour moi des références. Puis, il y a eu les classiques français, suivis des auteurs du vingtième siècle (Proust, Cohen, Sartre, Aragon…) et bien sûr, les russes et les américains, Hemingway, Steinbeck, Fitzgerald, Harrison… Il y en a tellement !
Plus que des livres, ce sont surtout des familles littéraires qui m’ont marqué. Et évidemment, c’est la littérature américaine, que j’ai vraiment découverte à l’adolescence, qui reste encore à ce jour ma préférée. Je ne m’en suis jamais éloigné, jusqu’à en faire mon métier.

Quel a été le déclic qui vous a poussé à créer votre propre maison d’édition ?

En raison de ma passion pour la littérature américaine, j’ai été amené relativement tôt à lire en anglais. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que je lis essentiellement des auteurs américains, pour la plupart, en version originale.
Mes goûts personnels me portent aussi vers certaines activités de plein air : la montagne, avant ; la pêche à la mouche et la voile, aujourd’hui. Naturellement, donc, j’ai été amené à lire des livres de pêche. C’est ainsi que j’ai découvert John Gierach, par exemple, qui fait partie de mon Panthéon d’auteurs favoris. Puis, sont venus d’autres livres de nature et, de fil en aiguille, encore d’autres.
Un jour, j’ai pris conscience que tous ces livres pour lesquels j’éprouvais tant de plaisir n’étaient pas traduits en français. Et hop…!

Vous qui n’avez pas été spécifiquement formé à ce métier, quels sont, selon vous, vos atouts ?
A l’heure où certaines maisons d’édition plus anciennes que la vôtre rencontrent des difficultés financières, considérez-vous que votre expérience en finance en est un ?

Mes atouts ? Franchement, je n’en ai pas la moindre idée. Je pourrais peut-être répondre à cette question dans vingt ans, si je suis encore éditeur. Je crois qu’il est relativement facile de devenir éditeur, mais beaucoup plus difficile de le rester.
J’ai eu la chance de faire de très belles rencontres dans ce métier (des éditeurs, des libraires…) et cela m’a beaucoup aidé lors du lancement de la maison d’édition. Aujourd’hui encore, j’essaie sans cesse de m’améliorer en écoutant les autres, leurs conseils, leurs expériences. Je crois vraiment que ce sont les autres qui m’ont appris mon métier et qui continuent à le faire. Alors j’essaie d’être le plus ouvert possible, le plus à l’écoute, tout en ne perdant pas de vue ce qui fait la spécificité de la maison : mes choix éditoriaux. C’est un métier tellement aléatoire et exposé.

Qu’entendez-vous exactement par “exposé” ?

Être éditeur vous expose doublement. D’une part, dès qu’on publie un livre, c’est un peu de soi-même qu’on présente au public. C’est une manière de dire « voilà un livre que j’ai aimé et en lequel je crois, j’espère qu’il vous plaira ». Or, ce n’est pas notre vocation ; un éditeur n’est pas naturellement enclin à se retrouver en première ligne. Publier un livre représente un choix intime en ce qui me concerne, et donc il y a là une forme d’exposition.
D’autre part, l’édition est un métier exposé financièrement. Publier un livre représente toujours un pari financier. L’éditeur est celui qui mise sur un livre, et donc qui s’expose financièrement. C’est pourquoi, savoir un peu compter aide beaucoup dans ce métier, oui.

En quoi pensez-vous vous distinguer de vos confrères ?

En littérature, il est facile de se distinguer des autres car chaque livre que l’on publie est unique, il n’a aucun équivalent. Donc, je crois que je ne me distingue des autres éditeurs que par mes choix éditoriaux, mes goûts. Il y a bien sûr des éditeurs dont je me sens plus proche que d’autres, parce que leurs choix me plaisent et que nous avons des goûts communs. Il y a aussi d’autres petites choses, mais rien de très significatif…

Quelle est votre façon de travailler ? Comment avez-vous choisi les personnes avec lesquelles vous travaillez (directeurs de collection, traducteurs, graphistes…) ?

Je travaille de façon très artisanale : je fais des recherches, je lis, je choisis, je revois les traductions, je relis, je re-relis etc… Je me considère surtout comme un lecteur et je pense que c’est là le cœur de mon métier.
J’ai la chance d’être entouré de grands professionnels qui font très bien leur métier : les traductrices et les traducteurs ; ma graphiste, Valérie Renaud ; le compositeur, les correctrices et les correcteurs ; mon imprimeur, Floch ; mon diffuseur, le CDE, qui défend les livres auprès des libraires ; les libraires qui les font vivre auprès du public ; la presse qui fait connaître les livres… C’est un vrai travail d’équipe.
Depuis peu, je travaille avec Philippe Beyvin, un ami de plus de vingt ans qui m’a beaucoup aidé lors du lancement de la maison d’édition. Il est un excellent, un brillant lecteur. C’est lui, par exemple, qui m’a fait découvrir Trevanian. Nous avions envie de travailler ensemble, et c’est ainsi qu’est née Americana, la collection qu’il porte, consacrée à une autre vision de l’Amérique.

Qu’est-ce qui fait un bon éditeur selon vous ?

Ce qui fait un bon éditeur ? C’est difficile. Je ne sais pas vraiment. Je dirais l’exigence, la cohérence et la radicalité des choix, la rigueur… Savoir dire non. Il n’y aurait rien de pire, pour moi, que de faire des livres pour de mauvaises raisons… de mauvais livres donc.

Les valeurs défendues par le Nature Writing influent-elles sur votre façon de travailler, voire sur votre mode de vie ?

Oui, le Nature Writing est une littérature porteuse de sens, comme tout bonne littérature. Mais ce sont peut-être mes goûts et mes valeurs qui m’ont attiré vers cette littérature, qui en retour influence mon style de vie. Les livres, la vie, les livres, la vie… c’est comme l’œuf et la poule.
Sinon, bien sûr, mes livres sont imprimés sur du papier provenant de forêts durablement gérées, c’est un minimum.

En vous spécialisant en Nature Writing, n’avez-vous pas choisi la difficulté en voulant imposer un genre inconnu du grand public et sans équivalent en France, ni même ailleurs dans le monde ?

Franchement, je n’ai pas vraiment raisonné de cette manière. J’avais envie de publier ces livres et j’ai essayé de le faire du mieux que je le pouvais. Mais je crois, au contraire, que cette spécificité a aidé au lancement de la maison, car elle a lui a donné une identité propre.

Comment, sur quels critères, sélectionnez-vous les auteurs que vous publiez ?

Mes goûts… comme tous les éditeurs, non ? Et aussi la cohérence par rapport à mon projet éditorial, l’adéquation des livres les uns avec les autres. Pour moi, il n’y a pas d’autres critères.

Traiter uniquement avec des auteurs américains vous confronte-t-il à des difficultés supplémentaires ? Cela vous oblige-t-il à de nombreux allers-retours France/États-Unis ou est-ce que les échanges d’e-mails suffisent ?

Travailler avec des auteurs américains ne pose aucun problème particulier, si ce n’est le décalage horaire. L’e-mail suffit très bien pour travailler, même si rencontrer les auteurs fait partie des aspects les plus intéressants et agréables de ce métier.

Justement, entretenez-vous des relations suivies/personnelles avec (certains de) vos auteurs ?

Oui, j’entretiens des relations très régulières avec les auteurs que je publie, et certains sont même devenus des amis, mais je ne vous dirai pas lesquels.

Après la Noire, vous avez lancé dernièrement une nouvelle collection, Americana. Pensez-vous que le Nature Writing soit assez vaste pour permettre à l’avenir de créer éventuellement d’autres collections ?

Americana est une collection qui possède sa propre spécificité et sa propre cohérence. L’idée originale est de reprendre l’aspect contestataire du Nature Writing (qui est une forme de contre-culture en tant que telle) afin de présenter une autre facette de l’Amérique (« L’Amérique à contre-jour ») sans que cela soit nécessairement identifié à une zone géographique (l’Ouest américain) ou à l’idée de nature.
Americana, qui emprunte son nom au premier roman de Don DeLillo, est donc une collection autonome, avec une identité et une personnalité propres qui sont celles de son éditeur, Philippe Beyvin, mais qui complète utilement et de manière cohérente les collection Nature Writing et Noire. J’insiste là-dessus, car il est important de ne pas confondre ces deux collections (Nature Writing et Americana) qui traitent d’univers différents. C’est d’ailleurs pour cela que la charte graphique est, elle aussi, différente.

Quelle est, à ce jour, votre plus grande fierté ?

Je suis très heureux de pouvoir commencer à faire reconnaître certains auteurs comme Edward Abbey, Rob Schultheis, Craig Johnson…, et surtout le Nature Writing en tant que mouvement littéraire.
Je suis également très heureux des contacts que j’entretiens avec certains libraires et lecteurs qui nous écrivent pour nous dire qu’ils ont apprécié tel ou tel livre, par exemple. Je ne sais pas si c’est un sujet de fierté, mais c’est en tout cas un sujet de satisfaction.

Quel est à ce jour votre plus gros succès ?

Les livres de la collection Noire sont ceux qui se vendent le mieux. Mes meilleures ventes : les livres de W.G. Tapply, Le Gang de la Clef à Molette, Little Bird, les livres de Trevanian, Indian Creek, Itinéraire d’un pêcheur à la mouche… Mais j’ai encore un petit catalogue.

Quels sont les auteurs que vous aimeriez publier ?

Ceux que je publie. Les autres je ne les connais pas. Il y a certes des auteurs que j’aurais aimé publier (Jim Harrison, Thomas McGuane, David James Duncan, Jim Lynch, Dan O’Brien… et plein d’autres encore), mais ils sont très bien là où ils sont.

En dehors de vos prochains lancements, quels sont vos projets immédiats ?

Continuer à installer Americana est notre première priorité pour l’année à venir. Vous savez, les anglais disent qu’il faut compter dix à douze ans pour apprendre la pêche à la mouche. Moi, je pense qu’il faut sans doute autant de temps pour apprendre à devenir éditeur.

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