le-fracas-des-hommes-bernard-marc-maryse-riviere Au lendemain de la Grande Guerre, Louis Tréhen est cloué sur son lit de l’hôpital Maritime de Berck-sur-Mer, sa jambe blessée au combat immobilisée dans une gangue de zinc.

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Dans la chambre, qu’il partage avec ses compagnons d’infortune, d’autres gueules cassées comme lui, il retrouve le climat de fraternité qui régnait dans les tranchées
« Il a les jambes et le bassin brisés. Il est transféré d’hôpital en hôpital avant de se retrouver à Berck, en face de moi. Il est corseté des pieds jusqu’aux aisselles depuis plus d’un an. Nous partageons les mêmes doutes, les mêmes souffrances mais je le sens mentalement plus résistant. Nous communiquons beaucoup par les yeux, c’est une chance de l’avoir dans mon champ de vision. Quand je perds pied, il m’intime du regard l’ordre de ne pas me décourager et j’obtempère ; quand c’est à son tour de couler, je lui renvoie le même type de regard, et il me sourit. »

Pour occuper son esprit qui broie du noir et l’aider à oublier la douleur, le médecin conseille à Louis de coucher ses pensées sur le papier.
Le poilu ignore d’abord les feuilles de papier et le crayon qui lui a apportés l’infirmière. Puis, de guerre lasse, il entreprend le récit de ses années de jeunesse quand, jeune Breton, il débarque Gare Montparnasse à l’été 1909 pour suivre ses études d’obstétrique.

Aux yeux du jeune provincial qu’il est alors, Paris ne manque pas d’attrait.
Mais dans le quartier de Belleville où Louis loue une modeste chambre dans un meublé tenu d’une poigne de fer par Léonie, la réalité est plus crue : misère, promiscuité, manque d’hygiène, alcoolisme…
Le jeune interne n’est jamais en reste pour mettre en pratique ses connaissances médicales toutes fraîches et prodiguer ses soins aux habitants de ce quartier défavorisé. En soignant à temps l’infection à l’œil du Petit Jules, il évite au gamin gouailleur, véritable titi parisien à la Poulbot, de devenir borgne. Il vient en aide à qui en a besoin, sans distinction. Victor, un des malfrats du gang des Apaches qui règne sur le faubourg, lui devra d’ailleurs une fière chandelle.
Mais c’est en compagnie d’Alphonse, journaliste au Petit Journal et ami de son frère aîné Henri, que Louis va découvrir les charmes de la Ville Lumière.

Les journées de Louis sont rythmées par l’hôpital, où il passe l’essentiel de son temps, auprès de ses professeurs et de son maître d’internat qu’il admire.
« Les paroles de Pinard, lors de sa leçon inaugurale, résonnent encore à mes oreilles : « La nature est vivante, elle n’est ni cruelle, ni douce, ni juste, ni inique. Ce sont là des mots et des idées humaines… La nature ne connaît pas plus la générosité que la haine. Elle va son chemin, soucieuse seulement de produire du vivant. »
Là-bas, il se lie d’amitié avec Charles et Gaspar, d’autres internes de son service, au nombre desquels se trouve aussi Clotilde, une jeune femme dont la modernité l’enchante et dont il ne tarde pas à s’éprendre.

Le soir, au dîner, il retrouve les autres pensionnaires de Léonie : Hyacinthe, le communard ; Albert, qui travaille aux abattoirs de la Villette ; Gioletto, le terrassier qui participe à la construction du métro. Autour de la table, les discussions sont souvent enflammées.

Par l’intermédiaire de son oncle, l’abbé Le Guern, Louis va faire son entrée dans la haute société parisienne. Guère à son aise, il observe d’un œil curieux les mœurs et usages de ce monde qui lui est étranger.
« J’étais frappé par cette évidence : le monde était peuplé de gens qui étaient fiers d’appartenir à un clan, à un « bord », chacun étant persuadé de se trouver du « bon » côté. L’univers me semblait une marée d’esprits mesquins macérant dans une boue de rancune, de cupidité et de faux-semblants. La petite comtesse n’envisageait pas une autre existence que la sienne ; l’abbé restait convaincu que la grandeur de la pensée ne pouvait être que grecque ; Hyacinthe était ébloui par les révolutionnaires russes. Tout ce petit monde courait vers l’insondable, la bouche pleine de convictions et de beaux discours. Je n’étais d’aucun bord, en effet, me sentant à ma place seulement au chevet des moribonds. »
C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Misià Edwards. Comme tous les hommes de l’époque, il est subjugué par le charisme de cette musicienne et femme du monde. Mais c’est au charme de Marie de Bayeul, une aristocrate délaissée par son comte de mari, qu’il succombe.
« Alors que Marie de Bayeul était une créature du siècle passé, en dépit de son comportement émancipé, Clotilde était une femme moderne qui avait rompu avec le modèle de sa mère. J’aurais aimé fondre ces deux êtres en une seule femme. »

Au fil des jours, à l’insouciance succède la tourmente politique. Tous ces individus, à l’image du pays tout entier, se dirigent inexorablement vers une issue dramatique qu’ils n’entrevoient pas encore : la première guerre mondiale.
« Si un historien se penche sur nos années, il affirmera qu’une foule d’événements annonçaient ce qui est advenu. Sûr de lui, péremptoire, il récitera la liste des signes annonciateurs. Il trouvera, dans un imbroglio de vexations et de conflits avortés, toute la matière pour expliquer ce qui est arrivé. Chaque être humain réduit le souffle de l’Histoire à sa mesure, c’est-à-dire à l’échelle de sa propre histoire. »

D’abord mobilisé sur les lignes arrière, Louis choisit de partir au front, éprouver sa vocation de médecin sur le champ de bataille où il retrouvera sa jeune sœur engagée comme infirmière militaire.
Ce sont ces années d’insouciance, suivies des années de barbarie, que Louis couche chaque jour sur le papier avant d’en faire la lecture à ses compagnons de chambre.

C’est dans un Paris, mais aussi une époque, à jamais disparus que Bernard Marc et Maryse Rivière nous transportent dans Le fracas des hommes.
Bouleversements géopolitiques, évolution des mœurs, transformation de la société française, progrès scientifiques et évolutions techniques… Le début du XXe siècle est en effervescence.
Aux côtés d’Henri, le frère de Louis, le lecteur rejoint les rangs des troupes françaises au Tonkin, puis au Maroc où le militaire, frappé par la mystique, décide de suivre les traces de Charles de Foucauld.
Par l’intermédiaire du jeune interne, on assiste en direct au Sacre du printemps de Diaghilev, créé par Nijinski, et au scandale immédiat qui s’ensuivit. Tandis qu’on suit l’ascension de Violette, comédienne et petite amie d’Hyacinthe, on vit l’avènement du cinéma, le succès grandissant de Max Linder et la guerre que se livrent les studios Gaumont et Pathé en plein essor. En compagnie de Misià Edwards, mondaine et muse des artistes, on croise le chemin du pionnier de l’aviation, Roland Garros….

Le fracas des hommes alterne ainsi entre les jours heureux et tranquilles, ceux de la jeunesse parisienne de Louis, et ceux, douloureux, de l’après-guerre et de la reconstruction du pays et des hommes.
Une belle fresque historique foisonnante où les destins personnels des hommes et des femmes se mêlent au souffle épique de l’Histoire en marche.

D’autres avis sur Babelio.

Le fracas des hommes, de Bernard Marc et Maryse Rivière
Calmann-Lévy (2011) – 376 pages