train-pete-dexter-l_olivier Au Brentwood, country club select de Los Angeles, n’entre pas qui veut. Les membres y sont triés sur le volet, tous indécemment riches… et tout autant insolemment blancs.
Dans cette Amérique raciste des années 50, si certains noirs y sont tolérés, c’est uniquement pour porter les sacs, lourds des clubs des blancs qu’ils suivent sur le green, sans la ramener.

Les meilleurs vélos pliants – ddmagazine.

À ce jeu-là, Lionel Walk Junior est un champion hors-pair.
Ombre discrète, celui qu’on surnomme Train subit en silence les blagues vaseuses de ses clients et supporte sans broncher leur détestable arrogance. Le jeune caddie se contente d’observer d’un œil moqueur ces nababs bedonnants qui se prennent pour des cadors du golf mais ne sont en réalité que de vulgaires amateurs sans la moindre once de talent.

Du talent pour le golf, lui, il en a.
À revendre.

Mais sa couleur de peau ruine tous ses rêves de devenir un jour un pro des greens. Il se contente donc de taper des balles à l’abri des regards, une fois sa journée de travail terminée et les derniers membres déguerpis du club house.
Son swing exceptionnel va attirer sur lui l’attention de Miller Packard, un flic dont la personnalité ambiguë tranche avec les autres membres du club et inspire une véritable crainte.

La vie sans histoire de Train dérape le jour où un de ses collègues se retrouve mêlé à une sauvage affaire de meurtre commis à bord du voilier d’un ponte local.
Du jour au lendemain, Train se retrouve sans travail, le patron du Brentwood ayant choisi de virer tout le personnel noir, sans distinction.
Accompagné d’un de ses collègues, Plural, un vieux boxeur dézingué par des années à encaisser les coups, il part à la recherche d’un nouveau job. Embauché par un entrepreneur véreux, Train travaille à l’entretien du green miteux du Paradise Development, tout en veillant à rester à l’écart de la femme du patron, la dangereuse susan (avec un s minuscule, s’il vous plait !), photographe supposée mais vraie nymphomane.
Sur ces entrefaites, Packard se retrouve chargé de résoudre le meurtre du voilier. Au cours de son enquête, il va succomber aux charmes de Norah Rose, la jeune veuve rescapée.

Le flic et le caddie vont être amenés à se croiser à nouveau.
Ébloui par le don de Train pour le golf, Packard décide de jouer les coaches. Il installe le garçon et Plural dans une petite cabane, au bout de son jardin.
Alors que le destin de Train semble enfin tourner à son avantage, la situation ne va qu’empirer.

« Tu peux être n’importe quoi, y a toujours quelque chose quelque part qui aime te bouffer. C’est la nature. C’est comme ça que le monde reste propre. »
Violence palpable, racisme larvé, domination des faibles par les plus forts via le sexe et l’argent… on retrouve dans Train, tous les ingrédients des romans noirs de Pete Dexter.

Avec ses personnages, Dexter joue les apprentis chimistes : il les prend, les confronte, les regarde interagir, et observe le précipité qui en résulte d’un œil désabusé.
Dans Train, il met en présence un flic énigmatique qui ne s’encombre pas de morale pour régler ses affaires et un jeune noir naïf qui n’a d’autre ambition que de se faire oublier pour vivre sa petite vie tranquille et taper dans ses balles. En adjoignant à cette alliance instable le corps inflammable de Norah, bombe sensuelle et toxique, il fait de son trio un mélange hautement explosif.

Il pèse sur tout le roman une atmosphère moite et oppressante, car on sait Train condamné, son destin inéluctablement scellé : la menace embusquée finira tôt ou tard par s’abattre sur lui. Et si, l’espace d’un instant, quand Packard le prend sous sa protection, on se prend à rêver d’un avenir meilleur pour le jeune prodige, l’irruption de la veuve éplorée dissipe illico la plus infime lueur d’espoir.
L’esprit déclinant du vieux Plural, auquel Train témoigne une indéfectible loyauté, précipitera, plus vite et plus sûrement encore, la chute du jeune noir.

L’écriture au scalpel de Dexter va à l’essentiel. Son propos n’est pas de dénoncer : il donne à voir, sans juger ni condamner.
Sombre et franchement pessimiste, Train est la chronique d’un désastre annoncé, qui emportera malgré lui un garçon de bonne volonté dont le seul tort est de toujours se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

Troisième rencontre avec l’auteur, après Paris Trout et Paperboy, Train propulse Pete Dexter dans mon panthéon personnel des auteurs américains.
Je me réjouis de savoir que God’s pocket attend son tour dans ma PAL.

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Train, de Pete Dexter
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Olivier Deparis
Éditions de l’Olivier (2005) – 346 pages