Extérieur jour. Gros plan sur de la fumée.
Puis le plan s’élargit pour révéler, case après case, la cigarette d’où s’échappe cette fumée, la main qui tient la cigarette, le dos du militaire à qui appartient cette main, le champ de bataille jonché de corps où se tient ce personnage.
Une case, pleine page, dévoile le carnage dans son ensemble. Un second militaire interpelle l’homme à la cigarette mais celui-ci ne se retourne pas, ne répond pas, continue de fumer sa cigarette, comme pétrifié, le regard fixé sur l’horizon…
Fondu enchaîné et flash-back sur la naissance de « l’homme à la cigarette », en 1912, en Ontario, Canada.
Ces critères sont essentiels à prendre en compte pour acheter le vélo pliant le plus approprié à ses besoins.
Aussitôt, l’auteur, Scott Chantler, nous met en garde : toute ressemblance ou similitude avec des personnages et des faits existants, ou ayant existé, ne saurait être une coïncidence.
Et pour cause : cet homme, Reginald Law Chantler, n’est autre que son propre grand-père, dont il va dérouler le film de l’existence jusqu’à ce moment charnière où le lecteur fait sa connaissance sur le champ de bataille, puis au-delà.
Dans la famille Chantler, je demande le grand-père.
Si Scott s’intéresse à Law, ce n’est pas au seul prétexte qu’il est son aïeul. C’est surtout pour montrer comment le cours de l’Histoire va faire basculer la vie somme toute banale de cet homme : en juin 1944, Law et son meilleur ami, Jack, vont participer avec leur régiment, le Highland Light Infantry, à l’opération Overlord, le débarquement allié sur les plages normandes.
C’est de l’intérieur, du point de vue de cet homme ordinaire, que l’auteur de Deux généraux a choisi de raconter les premiers combats pour la libération de la Normandie.
Mais avant d’être un compte-rendu factuel de ces combats (Bény-sur-Mer, Buron, avant de rejoindre Caen), Deux généraux est d’abord une aventure humaine et l’histoire de la solide amitié qui liait les deux jeunes officiers canadiens. Et c’est là un des points forts de ce récit : ne pas se focaliser sur les batailles mais privilégier l’humain, observer comment des circonstances extraordinaires révèlent la nature profonde des hommes, héros ordinaires… ou pas.
Plutôt que d’enjoliver les actes de bravoure, Chantler préfère s’attarder sur l’ordinaire du soldat, entre entraînements et corvées, attente et angoisse. Un quotidien fait aussi de moments de fraternité, de brèves parenthèses d’insouciance (parties de golf ou permissions passées à Londres, par exemple). Instants fugaces de légèreté qui, confrontés plus tard à l’horreur, la violence, la peur et la mort, apparaitront dérisoires au cœur des combats.
Pour autant, Deux généraux n’en demeure pas moins un documentaire authentique. Son matériau de travail, Scott Chantler l’a puisé directement dans l’agenda où son grand-père notait soigneusement la teneur de ses journées, dans les lettres de Jack à sa femme, et dans le journal de guerre du Highland Light Infantry of Canada.
Pour livrer une reconstitution historique des plus fidèles, il a réalisé par ailleurs un colossal travail de documentation. Chaque détail, personnages et décors, est reproduit scrupuleusement, avec une patiente minutie.
Au niveau de sa mise en couleurs, le récit est dominé par des tons ocre brun. Seules les scènes les plus dramatiques se détachent dans un camaïeu de rouges sombres. Cette technique, déjà utilisée par ailleurs, fonctionne ici très bien car les couleurs ne distraient pas le regard et l’aident à mieux s’attarder sur les détails foisonnants de chaque vignette.
Si je me fie aux planches que j’ai pu voir sur le net (je ne connaissais pas Scott Chantler avant cette lecture), la ligne claire adoptée ici par le dessinateur tranche avec ses précédents albums. Ce parti-pris stylistique, fortement connoté années 40/50, colle très bien à la tonalité générale du récit. La contrepartie de ce choix est que les personnages, son grand-père en tête, ont tendance à ressembler à des clones du distingué et aristocratique Francis Blake, d’Edgar P. Jacobs.
Malgré cette infime réserve, Deux généraux première incursion de l’auteur dans la non-fiction, apparaît comme le touchant hommage d’un petit-fils à son grand-père, une émouvante histoire d’hommes, à la fois intime et universelle.
Publié dans sa version originale en 2010, Deux généraux a été sélectionné pour les prestigieux prix Eisner et Joe Shuster.
Le site web de Scott Chantler.
Le site web dédié aux recherches effectuées par Scott Chantler pour Deux généraux.
Pour les anglophones : une présentation de Deux généraux par Scott Chantler et un entretien filmé en février 2011 pour Ignite Waterloo 5.
Deux généraux, de Scott Chantler
(Two Generals) – Traduction de l’anglais (Canada) : Sophie Chisogne
La Pastèque (2012) – 152 pages