« Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…. »
Arthur Rimbaud – Roman (1870)
Qu’importent l’époque et l’endroit, l’adolescence est immuable : les garçons ne pensent qu’à coucher, et les filles, à jouer de leurs charmes pour parvenir à leurs fins, sans rien sacrifier de leur virginité.
Les hormones sont en pleine ébullition, ou comme le dit plus poétiquement Rimbaud, « la sève monte à la tête ».
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Larry McMurtry le confirme, une fois de plus, dans La dernière séance.
Au début des années 50, Thalia est un bled texan, aux portes du désert, qui suinte l’ennui et où tout le monde sait tout sur tout le monde. Où les adolescents ne pensent qu’à transgresser le tabou du sexe, et les adultes ruminent leurs frustrations charnelles.
De conception soignée, le XD de DKN est un vélo pliable compact spécialement adapté aux petits espaces.
À sa jeunesse désœuvrée traînant son mal de vivre, Thalia n’offre que peu de réjouissances. Le tour est vite fait entre le pub du vieux Sam le Lion et sa salle de billard, le diner, le terrain de football et le cinéma de la vieille Miss Mosey.
C’est de loin au cinéma que va la préférence de Sonny et Duane, deux copains de lycée. Pas vraiment pour la qualité de sa programmation mais plutôt pour son obscurité propice aux baisers passionnés et aux séances de pelotage en règle. Plus confortable que les banquettes arrière des voitures.
Duane a gagné le gros lot en la personne de Jacy, petite bombe de bonne famille pour laquelle tous les jeunes mâles du patelin seraient prêts à s’étriper. En plus d’être une allumeuse de première, la belle est aussi une magistrale manipulatrice jouant éhontément de son pouvoir de séduction. Pour exciter la convoitise de la gente masculine, la garce agite la promesse du sexe à consommer. Pour susciter l’admiration et la jalousie des autres filles, elle est prête à toutes les provocations.
« Flirter avec Duane sous les yeux de tous les mômes de l’école enchantait Jacy et lui donnait un peu l’impression d’être une actrice célèbre. »
Moins bien loti (quoique…), Sonny sort avec Charlene, une fille moins délurée que Jacy, pour laquelle lui aussi en pince en secret.
Dans le climat pudibond ambiant, tout ce que ces jeunes inexpérimentés connaissent de la sexualité, ils le tiennent des films et de ce qu’ils en imaginent.
« Tout tendait à prouver l’existence du sexe : des bébés naissaient de temps en temps, et l’on vendait au drugstore et dans une ou deux stations-service ce qu’il fallait pour les éviter. Les hommes racontaient des histoires cochonnes et disaient tout le temps combien ils étaient brimés pour la bagatelle, mais ça ne semblait pas les gêner beaucoup tant que l’équipe de football marchait bien. Aux jeunes, on en disait le moins possible sur le sexe, et ils passaient tout leur temps à essayer d’en découvrir davantage. Les garçons se livraient entre eux à de nombreuses spéculations et arrivaient à découvrir les connaissances de base à un âge relativement tendre, mais certaines filles étaient toujours dans les ténèbres à la fin de leurs études secondaires. Nombre d’entre elles refusaient tout simplement de croire que ce qui permettait aux garçons de pisser puisse jouer un rôle quelconque dans la création d’un bébé. Elles savaient parfaitement que le bon Dieu n’aurait pas permis que Ses dispositions fussent si sales.
La seule chose sur laquelle tout le monde tombait d’accord, c’était que l’acte en lui-même ne pouvait être que le paradis sur la terre. Une fois qu’on avait passé l’obstacle de la virginité, tout devait invariablement aboutir à une extase mutuelle. Une ou deux des filles les plus effrontées savaient qu’il n’en était rien, mais elles avaient peur d’être prises pour des phénomènes et se taisaient prudemment sur leurs difficultés. »
Alors qu’ils s’engagent maladroitement dans l’âge adulte, ils vont vite déchanter.
Au cœur de cette Amérique profonde et puritaine des années 50, la vie n’a rien d’une production glamour hollywoodienne. À l’image de Ruth, l’épouse de l’entraîneur de l’équipe de football, les femmes sont esseulées et insatisfaites, ignorées de maris machos et indifférents.
Tromperies, mesquineries, ragots, dénonciations calomnieuses…, McMurtry dépeint l’envers des apparences et des convenances du petit monde étriqué de Thalia.
Corsetés dans le puritanisme ambiant, jeunes, moins jeunes, hommes, femmes… n’ont qu’une chose en tête : le sexe, qui sous-tend le moindre de leurs rapports sociaux.
Détestables ou bienveillants, les personnages grandeur nature de McMurtry sont tous dotés d’une profonde humanité qui les rend émouvants.
Aux côtés de figures odieuses comme l’entraîneur Popper, Jacy ou sa mère, Lois, se détachent quelques bonnes âmes auprès desquelles Sonny va se ressourcer : Sam le Lion, sage patriarche, sorte de père de substitution ; Billy, jeune attardé sur lequel il veille comme un grand frère ; Ruth, qui voit en lui sa dernière chance de vivre enfin l’amour, ou Genevieve, la plantureuse serveuse qui se montre toujours disposée à recevoir ses confidences.
Parmi tous ces gens, beaucoup rêvent de quitter Thalia. Pour les plus téméraires, l’aventure n’ira pas plus loin que la frontière mexicaine. D’autres, envoyés pour la Corée, la vivront contre leur gré.
Roman nostalgique d’une jeunesse perdue, La dernière séance est aussi celui des désillusions. Dans ce coin perdu du Texas, les adolescents finiront par se résigner à rejoindre les rangs des adultes qui pleurent sur ce qu’ils ont fait de leur existence.
Ce qu’ils en ont pensé :
Hélène : « Les personnages sont tellement attachants, leur univers tellement prenant qu’ils installent littéralement le lecteur au cœur de la ville. »
Jostein : « C’est un roman foisonnant d’actions et de rencontres humaines. »
Keisha : « Encore une fois, Larry McMurtry a su conter une histoire parfois drôle, souvent touchante. »
Lyra : « Le personnage de Sonny m’a pas mal touchée, même si parfois j’avais envie de le secouer un peu, idem pour Ruth. Les non-dits apportent beaucoup à leur caractère je trouve. »
MyaRosa : « Il y a une profonde nostalgie qui ressort des mots de l’auteur et j’ai trouvé cela très touchant. Que ce soit lorsque les plus âgés reviennent sur leur jeunesse et sur ce qu’ils ressentent maintenant qu’ils sont plus âgés ou lorsque les personnages prennent conscience que leur vie est loin d’être celle dont ils rêvaient. »
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La dernière séance, de Larry Mcmurtry
(The Last Picture Show) Traduction de l’anglais (États-Unis) : Simone Hilling
Gallmeister / Collection Totem n°12 (2011) – 321 pages