kellerman-visages Gare de l’Est, en juin dernier.
Mon train ne partait pas avant une heure. Le quai n’était pas encore affiché, contrariant mon intention première d’aller m’installer tranquillement dans le wagon avec mon bouquin en attendant le départ du train.
Les sièges de la gare, c’est bien sympa un moment, mais ça devient vite gravement inconfortable. Je n’avais plus qu’à flâner dans les boutiques de la gare pour tuer le temps (je soupçonne d’ailleurs de méphitiques et pervers marketeux d’avoir longuement étudié la question avant de concevoir et faire fabriquer ces sièges !).

Les achats ou encore la serviette et les affaires de bain se laissent ranger en toute sécurité sur le porte-bagages du vélo pliant Compass.

C’est ainsi que j’ai fini par passer à la caisse d’une maison de la presse avec Les visages de Jesse Kellerman.
Plusieurs (bonnes) raisons m’avaient décidé à passer à l’acte : j’avais envie de tester ce nouveau format ultra-poche depuis un moment, le bouquin n’allait pas m’encombrer dans le train outre mesure, et je pourrais facilement le glisser ensuite dans la valise des vacances.
Ce n’est pas que le titre m’intéressait à ce point que je n’ai pas su résister en le voyant. Simplement, le catalogue de la nouvelle collection Point Deux (.2) étant plutôt maigre, entre les titres que j’avais déjà lus et ceux qui ne me disaient rien, Les visages est le seul qui pouvait éventuellement faire l’affaire.

Tout ce bavardage préliminaire pour expliquer comment – et pourquoi – ce bouquin s’est retrouvé entre mes mains le mois dernier alors que je remontais le Nil.

Héritier d’une puissante famille qui a bâti son empire dans l’immobilier, Ethan Muller est galeriste dans le quartier bobo-chic de TriBeCa, à New York. Avant de trouver sa place dans le monde de l’art contemporain – pas vraiment par amour de l’art, plutôt par goût des « coups » et de l’argent vite gagné -, il a été un ado instable et révolté, en rupture avec un père qu’il ne voit plus depuis longtemps.
Des nouvelles de son père, Ethan en a par l’intermédiaire de Tony Wexler, le fidèle homme de confiance de ce dernier. Mais ce matin-là, si Tony appelle Ethan, ce n’est pas pour lui parler de son paternel. Dans un appartement des Muller Courts, un des complexes immobiliers, propriété de la famille, on a retrouvé des cartons bourrés de dessins abandonnés par l’ancien locataire des lieux. Des dessins suffisamment incroyables, selon Tony, pour que le galeriste prenne la peine d’aller sur place se rendre compte par lui-même.

En un seul coup d’œil, Ethan comprend qu’il a de l’or entre les mains : tout droit sortis de l’esprit d’un génie, les dessins, d’une puissance extraordinaire, associent dans un univers chaotique petits chiens, gâteaux à la crème, scènes de décapitations et de torture, « (…) enfants ailés aux visages béats qui contrastaient vivement avec le reste du décor, grouillant d’agitation et de carnage ».
En y regardant de plus près, il s’aperçoit que les dessins sont tous numérotés au dos. Une fois assemblés, les 135 000 dessins formeraient ainsi une fresque monumentale de plus de 8 000 m² !
« Les images avaient tendance à s’emboiter les unes dans les autres, de sorte que, chaque fois que vous pensiez avoir trouvé l’unité la plus vaste, vous découvriez, en ajoutant d’autres panneaux, une superstructure supérieure. »
Sans même chercher à retrouver la trace de l’artiste, un dénommé Victor Cracke, Ethan se met à assembler une partie des dessins en de grands panneaux qu’il veut présenter à l’occasion d’une exposition exceptionnelle.

Comme il le pressentait, l’expo est un succès sur toute la ligne : le public se presse au vernissage, les acquéreurs sont plus nombreux que les panneaux mis en vente, les critiques d’art sont fascinés par le génie de l’artiste, et les journalistes font largement écho de l’événement dans leurs colonnes…
C’est d’ailleurs sur une photo parue dans le journal qu’un ancien flic à la retraite, Lee McGrath, reconnaît parmi les visages dessinés celui d’un jeune garçon, Eddie Cardinale, dont le viol et l’assassinat dans les années soixante n’ont jamais été résolus. Il contacte Ethan qui va se retrouver embringué à contrecœur sur les traces d’un tueur d’enfants et du mystérieux artiste de génie.

Mon Dieu que j’ai eu du mal à entrer dans ce bouquin ! Et les paysages qui défilaient sous mes yeux, dans la douce torpeur de la chaleur égyptienne, n’y étaient absolument pour rien.
Ça, un thriller ?! Vous voulez rire ! Dans thriller, il y a « thrill », ce qui veut dire, si je ne m’abuse, « frissonner ». Et pour frissonner, j’ai besoin d’un minimum de suspense, de tension, d’angoisse, de rythme, de rebondissements.
Rien de tout ça dans Les visages. Et surtout pas dans les 200 premières pages (mon édition .2 en compte 775 !) où le narrateur s’emploie à raconter son parcours professionnel et personnel à la façon d’un roman noir, tout en s’excusant auprès du lecteur de ne pas être à la hauteur du genre :
« Ce livre est peut-être un roman policier, mais, moi, je ne suis pas policier. »
« Il faut que je fasse plus roman noir, en tout cas j’aimerais bien. »
Autant d’adresses au lecteur qui ont ajouté à mon agacement premier.

A un certain moment, le récit s’interrompt pour laisser place à un interlude qui propulse le lecteur dans le passé, à la fin du XIXe siècle : Solomon Mueller, juif allemand, quitte sa famille et débarque en éclaireur en Amérique pour y faire fortune. Alors que ce coup de frein dans un récit déjà plan-plan aurait pu rajouter à mon ennui, c’est justement à ce moment-là que mon intérêt s’est réveillé.
Tandis que l’enquête menée par Ethan et Mc Grath, rejoints ensuite par la fille du flic, poursuit doucettement son bonhomme de chemin, les divers interludes rétrospectifs retracent l’ascension des générations successives de Mueller (devenus Muller) dans le monde des affaires, et du même coup dans la société new-yorkaise. Et si les deux époques et les deux intrigues sont très différentes, on pressent bien qu’elles sont liées et que l’une aura des répercussions sur la seconde.

Rapidement, l’intérêt du roman n’a plus reposé pour moi dans la découverte éventuelle de l’identité du tueur ou de celle de Cracke, mais bel et bien dans le cheminement de la famille Muller vers la réussite sociale, dans ce que certains de ses membres ont été capables de sacrifier au pouvoir et à la respectabilité, et les incidences de ces choix souvent douteux sur les générations suivantes.

Même si on est loin de Mystic River, dont Les Visages se réclament en quatrième de couverture (de toute évidence, Kellerman n’est pas Lehane), je me suis laissé tout de même apprivoiser peu à peu. Malgré la lenteur et les longueurs d’un récit qui peine à démarrer, la description sarcastique du milieu de l’art contemporain par Ethan est souvent savoureuse.
Et si, au final, Les visages n’est certainement pas un thriller, peut-être même pas un polar, c’est quand même un roman sur la filiation pas si mal troussé. Ce qui ne m’a pas empêché de trouver décevant l’épilogue qui arrive une centaine de pages avant la fin véritable du roman. Cela même si l’auteur/narrateur, dans une de ses adresses au lecteur, avait pris la peine de prévenir au préalable :
« Ceux qui attendaient une fin spectaculaire risquent d’être un peu déçus et je m’en excuse. »

Quelques mots supplémentaires, pour ce billet déjà bien trop long, sur le format ultra-poche Point Deux (.2) que j’étais très curieux de tester.
Premier point positif : son poids (le livre est vraiment très léger en main) et sa taille réduite m’ont permis de limiter l’encombrement dû aux livres dans ma valise.
En ce qui concerne la lecture proprement dite, non seulement je me suis très rapidement habitué à la prise en main et au sens de lecture mais ma plus grosse crainte concernant le papier bible s’est envolée : une légère opacification du papier permet à l’œil de glisser facilement sur la page sans être gêné par le texte imprimé au verso (ce qui n’est malheureusement pas le cas pour les volumes de la Pléiade, par exemple). Certes la police est plus petite qu’un livre de poche traditionnel et les marges réduites à leur portion congrue, mais le texte se lit sans problème.
Bref, une expérience concluante que je n’hésiterai pas à renouveler à l’occasion d’un prochain voyage.

Ce qu’ils en ont pensé :

Amanda : « Un bon roman, servi par une intrigue particulièrement captivante et une plume saisissante qui maintient le lecteur en haleine. »

Aproposdelivres : « C’est un livre qui se lit facilement et que j’ai beaucoup aimé. A lire ! »

BMR-MAM : « Le style de Jesse Kellerman semble bien un peu superficiel : on le regrette d’autant plus qu’on le sent bien à certains moments capable d’aller gratter au plus profond de l’âme humaine. Un bouquin curieux pour les curieux. »

Cathulu : « Un roman qui alterne passé et présent, avec des personnages à multiples facettes et qui n’est jamais complaisant. Un style agréable et élégant pour passer un bon moment de lecture. »

Cécile : « C’est un bon roman pour se détendre et lire une histoire originale bien écrite mais ce n’est pas le chef d’œuvre annoncé quand même. »

Cuné : « Au final, c’est une lecture à laquelle on s’intéresse de plus en plus au fil des pages, et dont l’épilogue ne déçoit pas. Pas le grand roman vanté en 4° de couv, mais une composition non formatée qui allie l’intimiste à un vrai sens du suspens. »

Dasola : « J’ai trouvé le roman très bien construit et l’histoire originale. J’ai lu en un week-end les 470 pages et je vous les recommande. »

Émeraude : « Malgré un début plutôt lent, “Les visages” est un roman (plus qu’un polar) étrange par les dessins de Victor Cracke, amusant par son narrateur, dérangeant par ses non-dits et intéressant pour sa vision de l’art contemporain à New-York. A lire sans modération donc. »

Keisha : « Je me suis laissée entraîner avec plaisir dans ce thriller vraiment bien ficelé, original, avec une patte personnelle. A découvrir! »

Stéphanie : « L’auteur nous malmène, nous emmène sur de mauvaises pistes, nous perd parfois avec ces flashbacks. Pourtant petit à petit, l’étau se resserre, et le plaisir reste entier. Dites quand sort le prochain roman ? »

Voyelle et Consonne : « Un mélange d’humour et de tension brillant, une écriture juste et tendue. »

Yspaddaden : « C’est absolument terrible et redoutablement bien construit. »

Zarline : « Un polar décidément original, mais peut-on vraiment le classer comme un polar alors qu’il présente bien plus qu’une simple enquête, en particulier une intéressante histoire familiale. A lire ! »

Et sur Babelio.

Les visages, de Jesse Kellerman
(The genius) Traduction de l’anglais (États-Unis) : Julie Sibony
Éditions Point2 (2011) – 775 pages