Héritier de la grande bourgeoisie, ruiné par le premier conflit mondial, Yves Heurteloup est venu passer cet été 1924 sur la côte basque, en souvenir des beaux jours de son enfance.
« Cependant il restait debout près de la fenêtre ouverte, et, peu à peu, ainsi qu’on reconnaît dans un visage modifié par les années, un sourire, un regard, et que, guidé par eux, on retrouve, en hésitant les traits aimés, de même, il redécouvrait, avec une émotion profondément douce, des lignes, des nuances, le contour des montagnes, la surface miroitante du golfe, la chevelure vivante et légère des tamaris. Et, quand il eut perçu de nouveau, dans l’air, ce parfum de cannelle et d’orangers en fleur qu’y apporte le vent d’Andalousie, il fut tout à fait réconcilié avec l’œuvre du temps, il sourit, et l’ancienne allégresse lui dilata le cœur. »
Tandis qu’il lézarde sur une plage d’Hendaye, une poignée de sable lancée par la fillette d’une jeune femme va lui donner l’occasion d’entrer en contact avec la charmante maman qu’il observe à la dérobée depuis plusieurs jours.
Mariée à un riche industriel souvent absent pour affaires, Denise Jessaint s’ennuie, n’ayant que sa petite fille et la gouvernante pour seule compagnie. Un jour, aux abords de l’hôtel, Heurteloup croise Denise en compagnie de son mari, qui s’avère être une de ses lointaines relations.
Le jeune célibataire se rapproche du couple et quand Jessaint est appelé à Londres, Yves passe l’essentiel de son temps en compagnie de Denise. La jeune femme délaissée apprécie qu’un homme s’intéresse à elle et lui fasse oublier la solitude de son quotidien. C’est ainsi qu’une romance nait entre eux.
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Née sous le soleil de la côte basque, la liaison adultère tourne court sous la grisaille de Paris, où les amants se retrouvent, les vacances terminées. Le charme est rompu : désormais obligé de gagner sa vie, Heurteloup a retrouvé le chemin du bureau alors que Denise poursuit son existence oisive de femme riche.
« Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » (Saint-Exupéry – Terre des hommes, 1938). Leur regard, c’est chacun vers leur petite personne que Denise et Yves le dirigent.
Pauvre petite fille riche gâtée par la vie, Denise n’envisage l’amour que sous le prisme d’une passion romanesque et absolue… mais à sens unique : c’est elle qui doit être le centre de toutes les attentions, l’objet de la dévotion (lire extraits ici).
« Ce qu’il lui fallait, comme il faut de l’air pour respirer, c’était l’assurance d’être aimée. Elle ne le savait pas. Elle ne savait rien. Toujours las, fatigué, préoccupé, ennuyé, il avait, cependant, pour elle, de la tendresse et de l’attrait physique, elle le sentait. Mais, tout le temps, elle avait l’impression que c’était elle seule qui se cramponnait, de toutes ses forces, à leur amour ; si elle le quittait, elle savait qu’il ne ferait pas un geste pour la retenir, par paresse, par découragement inné et, de cela, elle éprouvait comme une immense fatigue morale, comme si elle eût porté en tremblant, entre ses mains faibles, un précieux fardeau trop lourd. »
Pour sa part, Yves se montre incapable de répondre ne serait-ce qu’un minimum aux attentes démesurées de Denise. Avant même de l’avoir jouée, il abandonne la partie, préférant fuir et se résigner. Depuis son retour du front, Heurteloup avance dans la vie le regard fixé sur le rétroviseur. Doublement meurtri par la guerre, c’est un homme à la fois traumatisé par son expérience des tranchées et blessé de se retrouver privé de ses privilèges de nanti.
La vie insouciante de Denise lui rappelle cruellement qu’il est dorénavant exclu de ce monde auquel il appartenait. Incapable de mettre son orgueil en sourdine, il s’enferme toujours plus profondément dans un mutisme qui deviendra source d’une incompréhension grandissante entre les deux amants.
« Cette liaison pour lui n’était, en somme, que fatigue. A heure fixe, il fallait être tendre, amoureux, passionné ; préoccupé par les mille petits soucis quotidiens qui le harcelaient, comme des mouches un jour de chaleur, il fallait dire de jolies choses, sourire, caresser ; quand la migraine lui tenaillait les tempes, il fallait parler pour ne pas voir les yeux anxieux de Denise, pour ne pas entendre l’éternelle petite question triste : « Qu’est-ce que tu as ? à quoi penses-tu ? tu ne m’aimes pas ? » Il ne voulait pas faire de cette femme jeune et jolie, bonne et charmante, faite pour le rire, le bonheur et l’amour, la confidente de ses mille petits soucis mesquins (…) Alors il fallait se taire, ou parler de choses indifférentes ou bien dire de jolis riens qui n’étaient pas précisément des mensonges, mais qui lui causaient, parce qu’il se sentait forcé de les prononcer, une mortelle fatigue…
Avec elle, pensa-t-il avec une irritation singulière, il faudrait toujours être moralement en smoking. Ça ne rentre plus dans mes moyens, hélas… »
Le malentendu, c’est l’histoire de la rencontre de deux égoïsmes qui, aveuglés par le soleil de la côte basque et la douce vie de palace, ne voient pas qu’ils courent inévitablement à l’échec. Bâtie sur une méprise, ce que Denise et Yves prenaient pour une passion tenace ne résistera pas à la réalité crue du quotidien et les humiliations nées de la différence de classes, et finira engluée dans l’amertume et le désenchantement.
« Comme c’était étrange… Quand il était sûr qu’il allait la voir, il retardait tant qu’il le pouvait l’instant de leur rencontre ; ce n’était pas précisément de l’ennui qu’il ressentait, mais de l’absence de désir ; il avait envie de reculer l’heure, il flânait dans les rues, il inventait mille prétextes pour se mettre en retard, trop certain de sa présence, de sa tendresse, de son amour. Mais il suffisait que survînt de la part de Denise un empêchement quelconque pour qu’il se sentît de nouveau amoureux, inquiet et plein d’une impatience délicieuse ; quand il arrivait à Denise d’être un peu malade, il s’affolait, se tourmentait, devenait câlin et doux ; il avait mal dans sa chair quand elle souffrait ; il ne pouvait la quitter ; elle lui était subitement plus précieuse que tout au monde. Mais le lendemain, elle guérissait, et il recommençait à traîner son amour comme un fardeau. »
J’ai retrouvé avec toujours autant de plaisir la plume impitoyable d’Irène Némirovsky, qui décortique avec justesse et acuité la psychologie de personnages auto centrés, et égratigne au passage la haute société de l’entre-deux-guerres.
Cette fois encore, le parallèle avec Sagan s’impose au lecteur. Parallèle plus que jamais pertinent pour Le malentendu puisque, comme Sagan des années plus tard dans Bonjour Tristesse, Némirovsky fait preuve dans ce premier roman (écrit en 1924 et publié deux ans plus tard) d’une clairvoyance rare chez une jeune fille de seulement vingt-et-un ans.
Ce qu’ils en ont pensé :
Carmadou : « Si on n’avait pas oublié Irène Némirovsky, Bonjour tristesse de Françoise Sagan eut-il été un tel phénomène ? »
Du soleil sur la page : « C’est le deuxième d’Irène Némirovsky que je découvre et que je dévore. Quel talent ! Quelle maturité à un si jeune âge ! »
Gambadou : « Une superbe écriture moderne. On a du mal à croire que ce roman a été écrit il y a près de quatre-vingt-dix ans ! »
Isa : « Sous une apparence légère, ce roman est une analyse de l’amour et de la vie de l’entre deux guerres. C’est également, comme souvent dans les romans d’Irène Némirovsky, une vraie critique sociale. »
Mango : « Un roman d’amour des années folles, léger et classique à la fois, brillant par le style, délicieux à la lecture ! »
Marie Bouquine : « Un court roman à lire d’urgence pour un week-end ! »
Nanou : « Le style est limpide, précis, la langue d’Irène Némirovsky est belle et toujours actuelle. (…) Un beau roman mélancolique… »
D’autres avis sur Babelio
Le malentendu, d’Irène Némirovsky
Denoël (2010) – 169 pages