Prince Charles & Elisabeth © Matt Groening

– Le prince Charles est âgé de quarante-deux ans, poursuivit Lydia. Et il est toujours le prince de Galles. Qui a jamais entendu parler d’un prince de quarante-deux ans ? Les princes sont sensés être de jeunes garçons, pas des hommes aux cheveux gris avec des problèmes de prostate. La plupart des monarques britanniques avaient une petite trentaine d’années lorsqu’ils furent couronnés. George III avait vingt-deux ans. Henry VIII, Défenseur de la foi, en avait tout juste dix-huit. Le petit nombre d’entre eux qui montèrent sur le trône tard dans leur vie n’ont laissé aucune trace durable dans les livres d’histoire. Ils ne pouvaient pas : leurs meilleures années étaient derrière eux. Ce pauvre prince Charles appartient à cette catégorie, condamné à sombrer dans l’oubli. Il a gâché sa vie à attendre. Attendre, attendre, encore, encore, toujours attendre que sa mère immortelle rende le dernier soupir pour que la couronne lui revienne enfin. A en juger d’après les apparences, ce n’est pas près d’arriver.
(Lydia Murtomaki avait vu juste. Dix-huit ans plus tard, la reine a toujours bon pied bon œil, et le prince Charles ne rajeunit pas.)
– Votre génération, ma chère, joue le même jeu d’attente que le prince Charles, sur une plus grande échelle. Vos parents et grands-parents, ma génération, occupent les emplois que vous convoitez, les emplois qui normalement devraient vous revenir. Et nous sommes plus que réticents à transmettre le flambeau. Le problème n’est pas que vous n’arrivez pas à trouver de bons emplois. C’est qu’il n’y a pas de bons emplois à trouver : ils sont tous déjà pris.
(…)
– Bon. Ces emplois que mes contemporains occupent… quel est le moyen le plus simple de les rendre disponibles ?
Taylor ne dit rien, elle ne pouvait plus parler. Elle avait compris, à présent, où ça la menait. Elle était suffisamment tordue pour saisir. Elle ne voulait pas y croire, mais elle savait.
– Que ferait le prince Charles ? S’il en avait assez d’attendre et voulait devenir roi demain ?
– Pour commencer, il se débarrasserait de cette dingue qui lui sert de femme.
Charles et Diana ne se séparèrent qu’en 1992 et ils ne divorcèrent que quatre ans plus tard. Toutefois, en 1991, l’apothéose de Diana suite à sa mort tragique était encore bien loin ; la perception que le public en avait à l’époque était plus celle d’une emmerdeuse de première un peu frappée, que celle d’une mère Teresa avec une plus belle coiffure que la vraie.
Mais Lydia Murtomaki ne trouva pas cela drôle.
– Que ferait-il, Taylor ?
– Eh bien, il… vous savez… il déposerait la reine.
– Oui, il tuerait sa mère. En ce qui concerne votre génération, comme je l’ai déjà dit, c’est la même chose, sauf que c’est sur une plus grande échelle. La méthode la plus simple, la seule méthode, en fait, pour obliger les baby-boomers à céder leur emploi, c’est de…
Toutes deux complétèrent la phrase en silence. Et puis Taylor la compléta tout haut :
– De les tuer ?
– Nous utilisons l’expression « les licencier ». C’est beaucoup moins désagréable, vous ne pensez pas ?

(p. 142-144)

Le vélo pliant est un vrai investissement, mais il permet une réelle intermodularité.

Totally killer, de Greg Olear
(Totally killer) Traduction de l’anglais (États-Unis) : François Happe
Gallmeister / Collection Americana (2011) – 314 pages