« Oui, peut-être avais-je peur finalement – Windy Cahill était un géant et lorsqu’il me claquait la nuque « pour rire » j’avais l’impression que tous mes os allaient être réduits en poussière et lorsqu’il me pinçait, mon bras gardait la marque bleue de ses doigts vicieux pendant plusieurs semaines – mais cette violence ne me faisait pas peur, j’y étais habitué pour ainsi dire, il suffit de regarder autour de soi pour réaliser que l’homme n’est pas un animal pacifique – non, ce qui devait me terrifier c’était ses mots – ses mots vides qui pourtant remplissaient l’espace de leur sens vide – ses mots creux comme des balles qui dévastaient tout sur leur passage – je tremblais sous leur choc, comme si ces paroles m’arrachaient mes vêtements et montraient à tous mes bras maigres, mes côtes saillantes, mes courtes jambes – me montraient à tous comme une petit corps ridicule où « Kid » devenait péjoratif, un petit corps destiné par sa fragilité même à être bousculé, pincé, maltraité.
Bon, cela étant dit, abstraction faite du nom, ce vélo pliant Tern est une belle réussite esthétique.
Windy Cahill riait toujours quand il m’insultait et son rire était contagieux comme une peste invisible – tous étaient malades sauf moi, mais c’était de moi qu’ils riaient – les mâchoires grandes ouvertes, même si beaucoup d’entre eux avaient de la tristesse ou de la honte dans le regard – Windy avait déjà tué plus d’un homme et quand il était soûl il aurait fait peur au Diable lui-même – oui, ils riaient et les mots filaient vers moi comme des flèches pour s’enfoncer profond, profond entre ma peau et mes côtes, fouillant le cœur, l’estomac et les tripes, comme de l’acide.
« Bâtard » était son insulte préférée car il savait qu’elle me fauchait les jambes – quand on n’a pas de père les larmes vous viennent plus facilement aux yeux – « Bâtard ! » – c’était plus qu’une insulte, c’était la vérité. »
(p.22-23)
Billy the Kid, par Ben Wittick (ferrotype)
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« (…) mais moi, j’ai quatre noms et pas de père – un « bâtard », comme criait Windy Cahill, ce salopard – oui, un bâtard, un orphelin comme cette nation tout entière et même si ce mot me déchirait, j’aurais aussi pu le revendiquer avec fierté – car ma mère avait ainsi choisi de me concevoir avec la liberté en personne – et quel plus beau cadeau une mère peut-elle faire à un enfant ? – c’est un cadeau que je chéris aujourd’hui plus que tous les autres, mais à l’époque de Windy Cahill je n’avais que quinze ans et je n’avais pas encore compris sa valeur – (…) »
(p.31)
Quién es ?, de Sébastien Doubinsky
Éditions Joëlle Losfeld (2010) – 82 pages