Couple mythique s’il en est, Scott et Zelda Fitzgerald, amants terribles, ne pouvaient vivre l’un sans l’autre, ni l’un avec l’autre.
Zelda Sayre naît dans une famille riche de l’Alabama : son père est juge et sénateur, son grand-père gouverneur. Jolie jeune fille gâtée, fantasque et capricieuse, elle traîne à sa suite toute une cour de prétendants empressés.
Beau blond aux yeux verts, Francis Scott Fitzgerald tombe follement amoureux de Zelda dès qu’il la voit à une fête du Country Club de Montgomerry, en 1918. Sa classe naturelle, le prestige de son uniforme de lieutenant, mais surtout son statut d’écrivain (même s’il n’a encore rien publié) compensent sa petite taille et sa condition modeste aux yeux de la jeune fille.
1920 sera l’année de tous les succès pour Fitzgerald : il publie L’Envers du paradis, un premier roman qui lui vaut une notoriété immédiate ; puis, ayant distancé tous ses rivaux, il épouse Zelda.
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Rapidement, le couple le plus glamour et flamboyant du moment, symbole de la jeunesse dorée et libérée des Années folles, devient le sujet favori des échos mondains des gazettes de l’époque.
Jeunesse, amour, gloire et beauté. Ils ont tout ; le monde leur appartient. Au son du jazz, Scott et Zelda sont de toutes les soirées mondaines à New York et à Paris. Suivis d’un cortège de domestiques, ils séjournent dans de somptueuses villas sur la Riviera.
L’argent coule à flot. Le champagne aussi. Tous deux fragiles et instables, ils se saoulent de fêtes somptueuses qui durent jusqu’au bout de la nuit.
« Zelda et Fitzgerald se sentaient comme de petits enfants qui ont pénétré « dans une grande et lumineuse remise inexplorée ». Ils ne savaient pas s’ils étaient réels, ou échappés d’un roman : aussi se baignaient-ils habillés dans les fontaines, ils voyageaient sur les toits des taxis, se déshabillaient pendant les représentations théâtrales, ou se battaient avec les policiers. Ils ne restaient jamais seuls. A l’hôtel, chez eux et partout, il y avait toujours trop de monde : Zelda et Scott croyaient que c’étaient de vraies personnes, alors que ce n’était que la projection des démons qu’ils portaient en eux. »
Elizabeth Taylor et Richard Burton n’ont qu’à bien se tenir. Tout autant excessifs dans leur vie sentimentale, Scott et Zelda se déchirent à grands coups de scènes de ménage passionnelles, de disputes épiques, de crises de jalousie et d’accès de violence qui les détruisent lentement. Pourtant, même dans leurs moments de crise les plus intenses, ces deux-là ne peuvent se passer l’un de l’autre.
« Peut-être n’existait-il ni forts ni faibles, ni enfants ni adultes. Zelda et Fitzgerald étaient trop proches : proches comme le furent rarement des êtres humains ; et une trop grande proximité entre les dieux et les hommes, ou les hommes et les femmes, brûle le cœur et les vies. Aussi bien comme personnes que comme écrivains, les Fitzgerald étaient complices. Fitzgerald recopiait les lettres et les journaux de Zelda, pour les insérer en cachette dans L’Envers du Paradis, Les Heureux et les Damnés et Tendre est la Nuit ; il lui soumettait, page après page, ses récits et ses romans ; et, quand il ne parvenait pas à voir les personnages de Gatsby le Magnifique, sa femme les dessinait encore et encore, à s’en faire mal aux doigts, essayant de capturer les images qui fuyaient la plume de son mari. Ils étaient une même personne, avec deux cœurs et deux têtes ; et ces cœurs et ces têtes se tournaient passionnément l’un vers l’autre, l’une contre l’autre, jusqu’à se consumer sur un seul bûcher. »
Ainsi, le papillon du titre de cet essai de Pietro Citati va finir par se brûler les ailes et trouver la mort.
Zelda, papillon qui se prend subitement de passion pour le ballet et entreprend de devenir danseuse étoile à 27 ans. Cette frénésie qui va tourner à l’obsession sera le premier signe tangible de sa schizophrénie, maladie qui la conduira de cliniques en établissements psychiatriques.
Scott, « papillon aux ailes couvertes de poudre iridescente »
, noie son mal-être et son inquiétude réelle pour l’état de santé de Zelda dans le gin. L’alcool aura raison de son talent. Après une longue période de déchéance qui le laissera ruiné, il mourra à 44 ans. Hemingway aura pour son « rival » ces paroles acerbes : « il avait encore assez de technique et d’esprit romantique, mais depuis longtemps toute la poussière avait disparu de l’aile du papillon, même si cette aile a continué à battre jusqu’à la mort du papillon ».
Huit ans après la mort de Scott, Zelda périra à 48 ans dans l’incendie de l’hôpital où elle était internée.
Je dois avouer que, malgré un indéniable plaisir à la lecture, mon premier sentiment une fois le livre refermé a été la frustration. Pas assez d’éléments historiques sur l’époque et le milieu où évoluaient Scott et Zelda, pas suffisamment d’informations biographiques précises à leur sujet, sur le parcours d’écrivain de Fitzgerald…
Et puis, il a suffit que je prenne le livre pour le ranger sur son étagère pour que je réalise que là n’était pas de toute évidence le propos de Pietro Citati (Comment pourrait-il livrer une biographie exhaustive sur ces « monstres sacrés » en à peine plus de cent pages ?) et que je reconsidère ma lecture.
En fait, tout l’intérêt de La mort du papillon réside justement dans le parti pris de son auteur de ne s’intéresser au destin tragique des Fitzgerald qu’à travers le prisme de leur couple. Comme un entomologiste qui présenterait une des pièces les plus remarquables, les plus rares et les plus fragiles de sa collection (on sent souvent sa tendresse toute particulière pour Zelda), il revient tout en finesse et sensibilité sur les principaux événements qui ont jalonné les vingt années de vie commune de Scott et Zelda. Son évocation d’une relation bien moins simpliste que celle qui nous est généralement servie n’en a que plus de valeur et d’intérêt.
Aussi, il y a ces 16 pages insérées au cœur du livre, où se succèdent chronologiquement une vingtaine de portraits de Scott et Zelda, des jours heureux au naufrage. Il est très émouvant de constater comment la progression de la maladie se lit sur le visage de Zelda ; de la jolie jeune fille des années 20, aux allures de poupée de porcelaine, rien ou presque ne subsiste sur la dernière photo prise quelques temps avant sa mort tragique.
A qui souhaiterait se lancer dans la lecture d’une biographie plus traditionnelle et plus conséquente, La mort du papillon (paru depuis chez Folio) peut donc faire office d’introduction. L’essai de Citati peut également apporter un éclairage particulier à la lecture d‘Alabama Song, roman que Gilles Leroy a consacré à Zelda.
« A l’automne 1930, elle avait écrit à son mari ses premières lettres heureuses : « Goofy, mon trésor, n’était-ce pas une journée délicieuse ? Je me suis réveillée ce matin et le soleil était posé sur ma table comme un cadeau d’anniversaire, alors je l’ai ouvert, et tant de choses heureuses en sont sorties en voletant dans l’air… Je t’aime énormément et tu m’as téléphoné – j’ai marché sur ces fils du téléphone pendant deux heures, après avoir pris ton amour à la main comme un parasol pour me tenir en équilibre. »
J’en profite pour signaler que P.O.L. publie en ce mois de janvier une nouvelle traduction de Gatsby le Magnifique signée de Julie Wolkenstein.
Déjà, on s’en serait douté, certaines voix s’élèvent et crient au sacrilège. Le plus simple est de se faire sa propre opinion en comparant les premières pages (disponibles en annexe de ce billet) à la traduction originelle. Ou mieux encore, quand cela est possible, de le lire dans sa version originale.
Ce qu’ils en ont pensé :
Hécate : « En quelques cent pages, Pietro Citati, qui est un spécialiste du genre puisqu’il a également écrit sur d’autres grandes figures littéraires comme Goethe, Tolstoï ou Homère, a parfaitement saisi l’enjeu de l’exercice : ne pas s’abîmer dans des détails qui n’intéresseront que les étudiants ou les fans de biographies in extenso, mais saisir l’essentiel ; ici le chatoiement délicat d’une passion éblouissante et fragile. »
Rosalinde : « Un beau livre… Une belle histoire (shakespearienne ? Pourquoi pas…)… et contée avec tant de finesse et de délicatesse. »
Sophie : « Cette lecture, qui une fois de plus, date de plusieurs mois, m’a très intéressée mais m’a aussi un peu laissée sur ma faim car j’ai trouvé que Citati n’allait pas assez dans les détails (…) Un destin tragique que celui de Zelda, raconté un peu trop brièvement, mais de manière pudique et respectueuse. »
La mort du papillon. Zelda et Francis Scott Fitzgerald
(La morte della farfalla) Traduction de l’italien : Brigitte Pérol
Gallimard / Collection L’Arpenteur (2007) – 132 pages (+ 16 pages hors texte, 22 illustrations)