percin-age-ange Il va falloir que je redouble de précaution si je ne veux pas déflorer tout ce qui fait le charme de ce roman jeunesse d’Anne Percin, dans lequel il est question de L’âge d’ange, cette période androgyne de la vie où l’identité sexuelle n’est pas encore clairement définie, où l’on n’est pas encore homme ou femme.

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Dans son lycée (gymnasium, pardon, nous sommes au Luxembourg), notre ange est un élève effacé et solitaire. Il n’y a que lors des cours de grec, sa passion, qu’il se fait remarquer :
« Je m’étais inventé un monde totalement inaccessible et parfait, un domaine inviolé. Dans ce domaine, j’aimais. Je ne m’intéressais à personne, puisque personne ne s’intéressait à la même chose que moi. Je me croyais au-dessus des autres, juste parce que j’étais à l’écart. Je me croyais unique, je n’étais que solitaire. Quand on se sent incompris, l’orgueil tient compagnie. »

Il a fait de la bibliothèque son antre. Là, il vient se réfugier dès qu’il le peut et s’évade en feuilletant son livre préféré, Les amours des dieux et des héros de la mythologie grecque.
« La couverture poussiéreuse dissimulait des illustrations que les adultes, s’ils en avaient eu connaissance, se seraient empressés de nous cacher. La beauté de ces images est encore dans mes yeux. Ce fut pour moi, pendant des mois, la vraie beauté, la seule possible. »
Un jour qu’il vient à la bibliothèque, l’ange découvre que SON livre n’est plus à sa place sur les étagères : quelqu’un l’a emprunté !

Le précieux livre est de retour la semaine suivante. Mais, le soulagement est de courte durée car, sacrilège !, certaines pages sont maculées de traces de crayon et de miettes. L’ange se sent floué, son livre perd de sa magie.
Un jour, à l’occasion de l’absence d’un prof, l’ange va découvrir l’identité du mystérieux emprunteur : Tadeusz, un des rares élèves issus des quartiers défavorisés de la ville, exception dans cet établissement scolaire pour la jeunesse nantie.

Leur rencontre est comme une évidence. Les deux âmes solitaires se reconnaissent : l’ange timide et le “mauvais” garçon aux airs de Marlon Brando « du temps de sa splendeur » vont devenir inséparables… jusqu’à ce que d’autres se chargent de les éloigner. Et dès le premier chapitre, on le sait, l’issue sera tragique.

Anne Percin est-elle un écrivain queer ? On est en droit de se poser la question à la lecture de L’âge d’ange qui, à défaut de redéfinir les questions de genre et d’identité sexuelle, les sort des sentiers (re)battus et balisés.
Jusqu’au deux tiers du roman, elle réussit le tour de force d’éviter toutes les marques de genre susceptibles de trahir le sexe de son ange narrateur. Le trouble est habilement entretenu. La révélation de la page 79 déconcertera plus d’un lecteur.

Les deux adolescents dont il est question dans le roman ne trouvent pas leur place, pas plus parmi leurs camarades de classe que dans leur entourage. L’un, invisible aux yeux de ses parents bourgeois, préoccupés par leur seule carrière professionnelle ; l’autre, né de parents immigrés polonais, pas assez en marge pour être intégré par les bandes des quartiers où il vit.
Ces deux êtres en décalage, habitués à être mis à l’écart, se découvrent des affinités, se rapprochent, se retrouvent autour des Amours des dieux et des héros, de leur attrait pour les corps et leur sensualité (l’épisode des miettes de biscottes découvertes entre les pages du livre est d’une sensualité absolue).

Anne Percin milite pour le refus des préjugés, décolle les étiquettes que les autres sont toujours prompts à vous coller, détruit les cases dans lesquelles on enferme volontiers les gens. Alors, queer peut-être, mais elle est sans conteste un écrivain engagé, contestataire tout au moins.
En même temps que le corps de ses personnages s’éveille à la sensualité/sexualité, leur conscience s’éveille à la politique. Le récit qui jusque-là avait des allures de conte, d’allégorie, glisse vers le récit social. Des émeutes éclatent dans les quartiers sensibles. En compagnie de Tadeusz (allusion à l’éphèbe de Mort à Venise ?), le personnage des beaux quartiers découvre que « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. », comme l’a dit Victor Hugo dans L’homme qui rit, cité en ouverture de L’âge d’ange.
Témoin des injustices sociales, il va peu à peu prendre ses distances avec son milieu et ses parents. Cette prise de conscience décidera de sa vie d’adulte.
« Leur justice à la petite semaine, leur justice au coup par coup, elle m’écœurait. Je voulais ce que Tadeusz et son père auraient voulu, je voulais ce que Rose Luxembourg avait voulu, je voulais la justice sociale, pas la punition, je voulais la paix, pas l’apaisement.
Je voulais le changement, pas l’oubli. »

Cet aspect politique du roman m’a moins convaincu, pour deux raisons. La principale est que j’ai trouvé l’opposition des classes sociales sans nuance, trop manichéenne, trop simpliste. Le discours d’ailleurs tranche avec le reste du roman, tout en suggestion et subtilité. Comme si le sujet est trop viscéral pour que l’auteur puisse garder toute mesure (un des personnages dit à la page 66 « La naïveté,… C’est ce qu’on invoque quand on a peur d’être généreux ». La générosité me fait peut-être ici défaut).
Ensuite, la maturité du discours politique me semble assez rare chez les ados. Toutefois, elle peut s’expliquer par le fait que le narrateur, devenu adulte, porte un regard rétrospectif sur les événements.

Il n’empêche que L’âge d’ange est un roman émouvant et fort troublant, qui joue avec virtuosité de la confusion des genres, des identités et des sentiments. Un plaidoyer pour la différence qui saura toucher quiconque s’est senti un jour ou l‘autre mis à l’index
Preuve de sa singularité dans le paysage de la littérature jeunesse, L’âge d’ange a raflé cinq prix cette année : Prix des Dévoreurs de livres, Prix littérature ado de la Télévision Suisse Romande, Prix jeunesse Hautes-Pyrénées, Prix Escapages, Prix littérature jeunesse E.Leclerc.

Pour suivre l’actualité d’Anne Percin, on peut se rendre ici ou .

Elles l’ont lu :

Clarabel : « Je ne sais pas comment dire, mais j’ai été touchée par ce roman. Ce n’est pas simple, mais c’est fort. »

Laure : « Ce n’est pas un livre joyeux, mais c’est un livre fort. (…) Avec un goût prononcé de tragédie (grecque), mais quel talent, cette Anne Percin ! »

L’âge d’ange, d’Anne Percin
L’École des Loisirs – Collection Médium Club (2008) – 127 pages

(*) Des attractions désastres – Étienne Daho (écouter)