chessex-crane-sade J’ai découvert Jacques Chessex sur le tard, avec Le vampire de Ropraz, dont j’ai aimé le style incisif et austère.

vélo-pliant-blitz-impulse-noir.

Aussi, quand Yspaddaden a proposé de faire voyager l’ultime roman de l’écrivain suisse, Le dernier crâne de M. de Sade, je me suis mis sur les rangs.

Cette fois-ci, le sujet d’étude de Chessex est un libertin athée de soixante-quatorze ans, à quelques mois de sa mort, malade, obèse mais lucide, séquestré à l’asile de Charenton depuis plus de dix ans.
« Donatien Alphonse François, Marquis de Sade, écrivain, philosophe, ennemi de Dieu, coupable de crimes abominables sur des jeunes filles et des femmes, abuseur de garçons, salisseur d’hosties et d’objets de culte »
La position sociale de ce pensionnaire étroitement surveillé lui permet de jouir de certains privilèges, dont celui d’avoir sa maîtresse attitrée à demeure, dans une chambre voisine. Car même s’il est quasi-impotent, le vieillard ne s’en montre pas moins toujours aussi enflammé ; il ne cesse d’éructer blasphèmes et propos anticléricaux orduriers. En plus de sa maîtresse, il s’adonne fougueusement à son goût immodéré pour les pratiques sexuelles extrêmes avec une repasseuse d’une quinzaine d’années qui le visite régulièrement.
« La conduite d’un homme avant sa mort a quelque chose d’un destin au trait aggravé. Il y acquiert un timbre à la fois plus mystérieux, et plus explicite de son destin. Dans la lumière de la mort, dont le personnage ne peut ignorer entièrement la proximité, chacune de ses paroles, chacun de ses actes résonne plus fort, de par la cruauté du sursis. »

Une fois le marquis passé à trépas, son crâne va attiser les convoitises de nombreuses personnes et passera de mains en mains au fil des années, jusqu’en novembre 2009. Sorte de relique démoniaque, le crâne sera à l’origine des déboires de ses propriétaires successifs. Cette “malédiction” est-elle réelle ou le fruit de superstitions ? Une chose est certaine, l’aura sulfureuse du divin marquis lui aura survécu par-delà la tombe.
Ce sont ces aventures qui nous sont contées, dans une seconde partie, par un narrateur dont on ignore l’identité, lui-même à la recherche du fameux crâne.

Après avoir lu Le vampire de Ropraz, je n’ai pas eu de mal à imaginer ce qui pouvait attirer Jacques Chessex chez le célèbre libertin, autre “monstre” qu’il ajoute ainsi à sa collection : un esprit libre et brillant, farouche opposant à l’Église et à l’obscurantisme, ennemi juré des bien-pensants, provoquant les pudibonds, et fidèle à ses convictions jusqu’à son dernier souffle.

D’entrée, j’ai retrouvé le style de Chessex qui m’avait plu. Dans Le dernier crâne de M. de Sade, il s’en donne à cœur joie; avec une certaine jubilation, il ne nous épargne rien de la décrépitude physique du marquis, ni de ses pratiques sexuelles rapportées dans leur moindre détail, de façon réaliste et crue, pour le moins.
Si j’ai été gêné dans les premières pages justement par la crudité des descriptions pornographiques quasi chirurgicales des exploits sexuels du marquis, ce malaise a été contrebalancé ensuite par l’intérêt de Chessex pour Sade, oscillant entre respect et répulsion, que l’on devine en filigrane.

En revanche, mon intérêt s’est fortement émoussé dans la seconde partie, dérangé que j’étais de ne pas savoir distinguer le vrai de la fiction, les éléments historiques de la pure création littéraire. J’ai vite décroché de la suite des péripéties du crâne maudit, et trouvé le temps long jusque la fin.
Et là, m’attendait la dernière phrase, troublante, aux accents prémonitoires[1] : « Comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ? ».
Et si la malédiction du crâne de Sade était bien réelle ?

Merci Yspaddaden pour ce prêt.

Ce qu’ils en ont pensé :

Dasola : « Je ne sais pas si ce roman donne envie de lire ou de relire l’œuvre de Sade mais pourquoi pas ? A mon avis, Chessex a une certaine tendresse pour ce personnage malgré ses vices. A moins qu’il ne l’envie d’avoir eu un esprit si libre. »

Laurent : « L’univers de Chessex est là, dans ce que l’homme compte de plus noir, dans la fascination et tellement proche de la mort. Une exploration de l’âme humaine pour une œuvre qui se veut dérangeante, blasphématoire parfois écœurante et toujours critique. »

Le Merydien : « Bien sûr, la fin de l’auteur, décédé en décembre 2009 juste avant la publication, trouve une résonance particulière dans le sens ou il donne à penser qu’il est le narrateur. Et de cela, c’est certainement ce qui restera le plus de ce livre. Le dernier des livres de M. Chessex. »

Loutarwen : « Le dernier crâne de M. de Sade est moins grave, moins sérieux que le vampire de Ropraz. Le sujet prête plus à sourire. On reconnaît bien le style de Chessex, cette violence dans les propos, les descriptions très crues. »

Mango : « Ce qui domine cependant dans ce récit limpide et sans temps mort, d’une écriture toute classique, c’est le côté blasphémateur et explosif de Sade dont la frénésie sexuelle ne masque pas l’ardeur des convictions matérialistes et anticléricales. Outre le débauché condamnable et condamné que l’on connaît essentiellement, c’était aussi un esprit éclairé de ce temps et Chessex ne l’oublie pas ! »

Nanne : « “Le dernier crâne de M. de Sade” est un roman tout à la fois historique dans sa première partie et jubilatoire, fin, rebondissant, poétique, dans sa deuxième partie avec le parcours d’un crâne au destin au moins aussi singulier que l’a été la vie du marquis de Sade. C’est tout simplement étourdissant ! »

Pauline : « En une trentaine de chapitres concis, en général égaux, le « sulfureux » – comme dit dans Lire de Février 2010 -, J. Chessex partage la possession dans tous ses états de sa une plume illuminée. »

Stéphie : « On m’avait prévenue que Chessex était cru… on ne m’avait pas menti. Lire sur Sade a été une expérience aussi frappante que lire du Sade lorsque j’étais à la fac. Néanmoins, la crudité du fond n’est pas gratuite et l’auteur a un style incisif qui me plaît beaucoup. »

Yspaddaden : « Si on y lit une évidente charge contre l’obscurantisme du Siècle des Lumières et l’imbécillité du clergé (sans pour autant que l’auteur approuve les excès sadiques de son modèle), la tonalité d’ensemble est plus joyeuse et amène le lecteur à sourire, même si c’est parfois en se pinçant le nez… »

Yv : « Ce que j’ai lu de Jacques Chessex ne peut laisser indifférent. Ce livre ne déroge pas à cette règle. »

…et d’autres avis encore, répertoriés sur Blog-O-Book.

Le dernier crâne de M. de Sade, de Jacques Chessex
Grasset (2009) – 172 pages

Notes

[1] Jacques Chessex est mort à 75 ans, foudroyé à l’issue d’une conférence, quelques semaines seulement après avoir rendu ce livre à son éditeur.