(c) Albert_Harlingue_-_Roger-Viollet De nouveau, ils se turent. Enfin, elle soupira :
– Je suis heureuse de vous voir. Et vous ? Autrefois, vous sembliez me fuir. Pourquoi ?
– Vous êtes terriblement femme, Gladys.
– Pourquoi ?
– Vous ne vous contentez jamais de deviner. Vous voulez savoir.
– Pendant vingt ans, dit-elle en souriant, je n’ai rien demandé.
– Vous serez déçue, Gladys, dit-il à voix basse : vous voulez que je vous dise que j’ai été fou de vous. Cela est vrai. Mais vous voulez savoir si je suis toujours amoureux de vous ?… Non. Cela, c’est fini… Que voulez-vous ? Rien n’est éternel…
– Est-ce bien vrai, Claude ? dit-elle en souriant, tandis qu’une douleur aiguë lui traversait le cœur.
– Vous êtes encore belle, Gladys, mais je vous regarde et je ne vous reconnais plus… Pour d’autres, sans doute, vous êtes encore belle et désirable. Pour moi, vous n’êtes que le fantôme de ce que vous avez été. Je suis délivré enfin, heureux, libre enfin. Je ne vous aime plus. J’ai aimé une jeune fille en robe de bal, debout sur un balcon de Londres, une nuit de juin… Elle s’est bien moquée de loi cette nuit-là…
– Un peu seulement, mais vous vous vengez, Claude…
– Même pas…
– Vous êtes cruel…
– Un peu seulement…
Ils se regardèrent silencieusement. Elle posa sa joue sur sa main :
– Vous m’en voulez, Claude. Est-ce que cela vous ferait plaisir de savoir que vous avez joué dans ma vie un rôle plus important que vous ne le croyez ? Je n’ai jamais été amoureuse de vous et, pourtant, je ne vous oublierai jamais… J’étais une enfant innocente. C’est vous qui m’avez, pour la première fois, montré mon pouvoir. Vous m’en voulez, mais, sans le savoir, vous avez empoisonné ma vie. Je n’ai jamais retrouvé cette sensation d’enivrant orgueil, jamais, jamais… Je n’ai jamais retrouvé exactement cette qualité de jouissance… Je devrais mortellement vous en vouloir…
Il fit un mouvement :
– Vous riez ?
– Allons, allons, dit-elle doucement, tremblant d’une émotion sournoise et cruelle : tout cela est le passé… Écoutez, en ce temps lointain, vous avez désiré un baiser, n’est-ce pas ? Prenez-le donc maintenant, et que tout soit oublié et pardonné.
– Non, dit-il en secouant la tête : si doux que soit votre baiser, il n’aura jamais la saveur de celui que j’ai désiré si longtemps.
Ils se mesurèrent du regard, comme deux ennemis, puis Gladys, lentement, détourna le visage. Elle eut un petit rire étouffé, douloureux, insensé.

(Jézabel, p. 81-83)

La position de conduite est confortable, moins étriquée que sur beaucoup de vélos pliants.

Crédit photo : Irène Némirovsky © Albert Harlingue – Roger-Viollet