Pourquoi lit-on ?
Tout lecteur est amené un jour où l’autre à se poser la question. Certains ont apporté un début de réponse à l’occasion du tag lancé par Caro(line) l’an dernier, au nombre desquels Laétitia, dont je pourrais faire mienne cette phrase : « Je lis pour vivre plusieurs fois et pour être plus que moi. »
J’aime les lectures qui m’aident à mieux comprendre le monde et à mieux me comprendre moi-même, les lectures qui continuent à vivre leur vie de façon autonome quelque part en moi, bien après que le livre ait été refermé.
L’obligation du sentiment est de ceux-là.
Dans une petite ville de province, Louis et Jeanne Maisne forment un couple bourgeois respectable et sans histoire. Trente ans de vie commune. Lui est avocat, elle pharmacienne. Ils appartiennent au cercle privilégié des notables locaux.
Mais un beau jour, une simple lettre va faire voler en éclats ce tableau idyllique. Dix ans après avoir quitté le foyer familial alors qu’il n’était encore qu’adolescent, leur fils Martin refait surface et leur donne rendez-vous, entre deux avions, à l’aéroport.
Un vélo pliant pour rouler malin au meilleur prix.
Alors que l’ombre de ce fils maudit plane comme une menace, on comprend rapidement que Martin n’a jamais eu sa place dans le couple fusionnel que forment ses parents. Leur amour exclusif n’a jamais été destiné à nul autre qu’eux-mêmes. Ni désiré, ni aimé, souffrant de ce désamour lorsqu’il était enfant, Martin est allé au bout de lui-même pour tenter de briser l’indifférence de ses parents à son égard.
Comme à son habitude, Jeanne rassure Louis, le protège. Rien dans cette lettre ne laisse entendre que Martin ait projeté de perturber l’apparente quiétude familiale. Ils se rendront, comme convenu, au rendez-vous.
Cris et chuchotements. L’obligation du sentiment est une merveille à la beauté vénéneuse. Malgré les vagues successives de dégoût, de colère, de répulsion, j’ai été happé par le roman de Philippe Honoré. Une fois le secret de famille progressivement révélé, tout l’intérêt du récit réside dans le croisement des points de vue des protagonistes, chacun apportant un éclairage différent, ajoutant à la complexité du drame qui s’est joué dix ans auparavant.
Au lecteur de déterminer quelle est l’horreur véritable. L’acte abject du père ? La complicité coupable du fils ? Le silence complaisant de la mère ? Qui est la victime ? Qui est le bourreau ? Dans une ambiance trouble et pesante, Philippe Honoré montre subtilement comment les deux se nourrissent l’un de l’autre, comment l’un devient l’autre à la faveur des événements. A l’instar de son homonyme Christophe, il gratte le vernis de la respectabilité pour laisser apparaître la moins glorieuse nature des relations familiales, ces instants fugitifs où l’amour bascule dans la haine et vice versa.
Un premier* roman qui est un coup de maître.
(*) Ainsi que Cécile l’a justement relevé dans les commentaires, avant L’obligation du sentiment, Philippe Honoré a publié en 2001 un premier roman : La mère prodigue.
Ce qu’ils en ont pensé :
« Terrible, glaçant, mais réussi. Brillant, en quelque sorte. » Laure
« Le texte bref, terrible, inéluctable, effrayant est une belle réussite sur la douleur du désamour. » L’encreuse
« J’ai beaucoup aimé ce roman qui a su me captiver, me nouer l’estomac, me mettre k-o aussi. » Clarabel
L’obligation du sentiment, de Philippe Honoré
Arlea, coll. 1er/1000 (2008) – 124 pages