Brice Depasse

Faire de sa passion son métier, lire et rencontrer les auteurs tout en gagnant sa vie, le chroniqueur littéraire est pour nous autres lecteurs anonymes l’incarnation du rêve devenu réalité.
Brice Depasse, avec son émission Lire est un plaisir, sur Nostalgie Belgique, est de ceux-là. A ma demande, l’intervieweur a accepté, l’espace d’un instant, d’être interviewé.

Comment êtes-vous devenu chroniqueur littéraire ?

En fait, ça a été purement accidentel. J’habite à 80 kilomètres de Bruxelles. Quand je suis devenu responsable de la programmation musicale sur Nostalgie Belgique, la radio se trouvant loin de chez moi, j’ai du prendre le train tous les jours. J’ai donc naturellement cherché dans ma bibliothèque de quoi occuper ce temps de trajet. A l’époque, il y avait sur Nostalgie un garçon qui faisait une chronique littéraire de trente secondes chaque semaine. Quand la place s’est retrouvée vacante, je l’ai occupée, en l’étoffant de rencontres avec les auteurs. En 2005, on a créé le blog Lire est un plaisir pour mettre ces interviews et les archives à la disposition des internautes. On a été les premiers à faire du podcast en Belgique. Aujourd’hui, on est autour de 170 000 visites par mois. Ma femme m’a rejoint, ainsi que d’autres chroniqueurs. Mais c’est quelque chose que l’on fait en plus de notre travail, c’est un truc de passionnés.

Quelles sont les qualités d’un bon chroniqueur littéraire ?

Comme pour tout ce qui touche à l’art, qu’il s’agisse de littérature, de peinture, de musique, de vin…, l’important c’est d’aimer ce que l’on fait. Un bon chroniqueur littéraire doit aimer la littérature. Il ne faut pas que ce soit un métier. Il doit également savoir s’adresser aux gens. Rester entre spécialistes, ça n’a pas vraiment d’intérêt. Je suis contre les jugements péremptoires, du genre «Untel, c’est de la merde». Un provocateur comme Richard Millet dans son dernier ouvrage, Harcèlement littéraire, peut se le permettre. Moi, je n’ai pas envie de ça. Je trouve que ça ne sert à rien. On peut aborder les livres avec le grand public, en leur parlant de Marc Lévy ou de Guillaume Musso, mais aussi en leur suggérant que Sartre, Camus ou Sollers, finalement, c’est pas mal non plus. La littérature, c’est comme le cinéma : il y a les films d’auteurs et les films de pur divertissement. Et il n’y a pas de honte ni d’incompatibilité à aimer les uns et les autres. Grâce à Lire est un plaisir, dans les cadeaux offerts aux auditeurs de Nostalgie, il y a non seulement des CD et DVD mais aussi des livres. C’est un signe encourageant.

Lisez-vous tous les livres dont vous parlez à l’antenne ?

Je mets un point d’honneur à lire tous les livres dont je parle. Quand on sait qu’il faut de six mois à un an, voire plus, pour écrire un livre, la moindre des choses, c’est de lire le livre, par respect pour le travail de l’auteur.
Je me souviens d’une rencontre avec Dominique Lapierre lors de laquelle il m’avait demandé si j’avais lu son livre. Quand je lui ai répondu : «Oui, bien sûr», il a insisté : «Jusqu’au bout ?» Par expérience, il savait que la plupart des chroniqueurs littéraires, surtout les plus célèbres, n’ont matériellement pas le temps de lire tous les livres dont ils parlent. Mais je dois avouer également que quand j’ai reçu Dominique de Villepin pour son livre Le soleil noir de la puissance, je ne l’ai su que l’avant-veille. Il est évident que je n’ai pas eu le temps de lire son livre (qui fait quand même 570 pages !) dans son intégralité. Mais comme je suis, moi aussi, passionné par Napoléon, je maîtrisais assez le sujet pour conduire l’interview.

Qu’est ce qui fait que vous allez lire un livre plutôt qu’un autre ?

Quand on connaît l’auteur, on va forcément avoir envie d’ouvrir son dernier livre et de le lire. Quand il s’agit d’auteurs que l’on ne connaît pas, c’est différent. D’abord, on va s’intéresser à la couverture. C’est très important une couverture. Actes Sud, par exemple, l’a compris depuis très longtemps. On va également jeter un œil à la quatrième de couverture. Et puis, le travail de l’attaché(e) de presse fait le reste.

De la rencontre avec le livre ou avec l’auteur, laquelle préférez-vous ?

Si je devais faire un choix, je ne pourrais pas. Ce qui est formidable, c’est la première fois qu’on rencontre les auteurs. Désormais, tous les quinze jours, je passe une journée à Paris pour interviewer plusieurs auteurs. Ce sont des journées très denses mais passionnantes.

Justement, quels sont les auteurs que vous auriez aimé ou que vous aimeriez rencontrer ?

Albert Camus -j’ai lu La chute plus de vingt fois ces trente dernières années- et Umberto Eco. Avec Eco, ça a failli se faire, une fois. Sinon, parmi mes auteurs de chevet, je peux citer Sollers et d’Ormesson, qui sont un peu l’eau et le feu. Ils n’écrivent pas du tout dans le même sens mais se rejoignent parfois. Et puis, j’aime aussi Philip Roth.

Avez-vous déjà été déçu par un auteur ?

Non, jamais. Une fois cependant, nous avons fait un aller-retour à Rome pour aller interviewer Erri de Luca. Le voyage en train s’est révélé être une vraie galère, nous sommes arrivés en retard. Entretemps, nous avions essayé de joindre l’attachée de presse car nous n’avions pas son numéro de téléphone pour le prévenir. Bref, nous sommes arrivés plus tard que prévu, mais toujours dans les temps impartis. Mais Erri de Luca n’a rien voulu entendre et a refusé de nous recevoir. Ça a été une “non rencontre” très décevante.
Sinon, je n’ai jamais été désillusionné par un auteur que je rencontrais pour la première fois. Au contraire, avec des gens comme Jean d’Ormesson, Philippe Sollers ou Erik Orsenna qui connaissent très bien leur second métier, la promo, c’est un vrai plaisir.

Êtes-vous devenu ami avec certains ?

Au fil du temps, j’ai effectivement lié de vraies amitiés avec des gens comme Guillaume Musso, Jean-Philippe Blondel, et ma femme qui travaille avec moi est devenue amie avec Marc Lévy ou Nadine Trintignant. Ces amitiés sont le fruit du hasard. Le côté fabuleux du net, c’est de pouvoir entrer facilement en contact. C’est comme ça que ça a commencé avec Musso. Il faisait une veille sur son nom sur internet et il est tombé sur Lire est un plaisir. Il nous a envoyé un email, et voilà. L’amitié a suivi.

L’approche d’un livre est forcément différente quand on connaît son auteur…

Ce n’est pas parce qu’on est copain avec un auteur qu’on va tout lui passer. Si le livre est mauvais, je préfère ne pas en parler ou éluder la qualité du livre. Je ne dirai jamais que le livre d’un copain est formidable si ce n’est pas le cas. Contrairement à certains animateurs qui trouvent toujours tout formidable pour ne se fâcher avec personne, je préfère laisser à l’auditeur la possibilité de lire entre les lignes. Mais de la même façon, je m’abstiens de hurler avec la meute.

Quel est le plus grand plaisir d’un chroniqueur littéraire ?

Avoir tous les livres à portée de la main. C’est un grand plaisir d’être passé de l’obligation d’aller chez les bouquinistes pour satisfaire ma passion à moindres frais à n’avoir qu’à piocher dans les piles de livres qui me sont envoyés. Me vient alors à l’esprit la citation de Jules Renard «Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux». C’est vraiment du bonheur. En littérature, la découverte n’a pas de fond. Il sort des milliers de livre tous les ans. C’est le même enthousiasme toute l’année. Et puis, il y a aussi le plaisir de rencontrer des gens qu’on n’espérait pas rencontrer, de les revoir tous les ans, et reprendre les conversations là où on les avait laissées.

Est-ce que cela vous laisse du temps pour d’autres loisirs ?

Non, ce n’est pas possible. Je lis tout le temps. Sauf le week-end, quand on est avec les enfants. Là, c’est plus difficile. Ce qui est rageant, c’est de savoir qu’on ne pourra pas lire tous les livres. Si jamais, je me garde un livre pour plus tard, pour les vacances ou je ne sais quelle occasion, je suis quasiment certain que je ne le lirai jamais car il arrive toujours de nouveaux livres qui vont prendre sa place.

Quelles sont vos premières découvertes de 2008 ?

J’ai beaucoup aimé La langue du mensonge, d’Andrew Wilson, un polar qui se passe à Venise et qui rappelle à la fois Le limier et Le cercle des poètes disparus ; Fleur de glace, de Kitty Sewell, une histoire époustouflante qui se passe au niveau du cercle arctique, qui sort en février chez Belfond ; La mère horizontale, de Carole Zalberg qui va sortir chez Albin Michel. C’est très fort. Comme Lignes de faille mais en plus éclaté, il s’agit de quatre générations de femmes, de mère en fille, qui marquent de leurs échecs la génération suivante. Enfin, il y en a un qui m’a scié, c’est Michel Fugain. Il vient d’écrire son autobiographie -c’est vraiment lui qui l’a écrite- et c’est d’une grande qualité littéraire.