Incroyable ! Qui aurait cru que j’adorerais me coltiner plus de 40 ans de la correspondance d’un écrivain ?
Ce fut pourtant le cas avec Un plaisir trop bref, le recueil des échanges épistolaires de Truman Capote avec ses amis proches (les écrivains John Malcolm Brinnin, Donald Windham et Andrew Lyndon, Phoebe Pierce, Cecil Beaton), ses connaissances (les Dewey, Perry Smith) et ses relations professionnelles (Mary Louise Aswell de Harper’s Bazaar, son agent littéraire Robert Linscott, Bennett Cerf de la maison d’édition Random House, le critique littéraire Leo Lerman).
Spontanées, tour à tour tendres, ironiques, vachardes ou drôles, ces lettres éditées par Gerard Clarke se lisent aisément, avec plaisir. Dans l’une d’elles, Capote avoue qu’il écrit pour le simple plaisir de recevoir lui aussi des nouvelles – et des potins, son pêché mignon – par retour du courrier.
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Dans ces missives, il se livre en toute franchise. «Lui, qui polissait et repolissait la moindre phrase parue sous sa signature, traquant parfois pendant des heures le mot juste, écrivait ses lettres à la diable, comme s’il craignait toujours de rater la dernière levée»
, écrit Clarke.
Capote y évoque aussi bien des banalités (ses matinées à préparer des confitures de figues, les nouvelles de ses animaux domestiques, les livres, les pièces de théâtre ou les films qu’il a lus et vus, mais rarement l’actualité internationale…), que des détails plus intimes (l’état d’avancement de ses œuvres, ses problèmes de santé, sa peine à la mort de son bouledogue, ses aventures sentimentales…).
Il ne dédaigne pas non plus livrer de temps à autre quelques anecdotes salaces, comme l’arrestation par la police de John Gielgud dans des pissotières londoniennes ou encore celle-ci : «J’ai vu un graffiti très drôle dans une pissotière. Quelqu’un a écrit “Je mesure 19 centimètres et demi et je serai là lundi prochain”. Et quelqu’un a écrit au-dessous : “D’accord, mais ta queue, combien mesure-t-elle ?”»
. On y retrouve donc le Capote que l’on connaissait déjà, folasse mondaine à la langue de vipère aussi affûtée que son esprit était brillant (il y a quelque chose en lui de Tennesse d’Oscar Wilde). Craint du tout New York, il n’hésite pas à “balancer” sur ses contemporains : Gide, Tennessee Williams, Carson Mc Cullers, Montgomery Clift, Marlon Brando, Garbo, Huston…
Plaisir d’offrir, joie de recevoir. Mais, cette correspondance fait apparaître, un Capote autrement plus complexe que l’image superficielle à laquelle il est trop souvent réduit. Car plus que les ragots, son travail d’écrivain a toujours été son obsession constante. Au fil des lettres, on éprouve réellement le sentiment de suivre “en direct live” la genèse de son l’œuvre littéraire, et surtout de ce qui apparaîtra comme son chef d’œuvre : De sang froid.
Quand il n’écrit pas, Capote lit. Il a un don pour repérer les talents prometteurs, comme Patricia Highsmith ou William Goyen, qu’il n’hésite pas à recommander et promouvoir auprès des éditeurs et autres personnes influentes de son entourage.
Alors qu’on l’imaginait dilettante, on le découvre travailleur acharné, exigent et rigoureux : «les efforts que m’imposent l’écriture de ce livre sont d’une telle violence que j’en ai chaque matin des nausées. Plus grave encore : c’est de loin le meilleur livre que j’aie jamais écrit. Que faire, Dieu du ciel ? Je n’en sais plus rien».
A tel point que l’écriture de son œuvre majeure, De sang froid, le vampirisera sept années durant, le laissant exsangue et épuisé, tant physiquement que moralement (les lettres de cette période sont parmi les plus fortes, émotionnellement parlant). D’ailleurs, plus rien ne sera jamais plus pareil après De sang froid, «épreuve atroce dont (il) ne (se) remettr(a) jamais complètement»
, comme il l’avoue à Beaton. Comme s’il était mort lui aussi le soir de la pendaison de Perry Smith et Dick Hickock, les assassins de la famille Clutter, Truman Capote ne sera désormais plus que l’ombre de lui-même, abusant de toutes sortes d’alcool et de drogues. Sa correspondance s’en ressent : il n’écrit plus de lettres, seulement quelques cartes postales dénuées d’éclat et d’humour. Autre qualité dévoilée dans cette correspondance : la régularité de ses missives prouve qu’il était très fidèle en amitié ; certains échanges ont duré jusqu’à sa mort ou celle de son correspondant. Certaines lettres (notamment celles à la famille d’Alvin Dewey, l’inspecteur en charge de l’affaire Clutter) prouvent qu’il savait se montrer attentif et généreux envers ses amis.
Un plaisir trop bref est divisé selon les quatre grandes périodes de la vie de Capote : son enfance et ses débuts (ses premières nouvelles publiées par le New Yorker et Harper’s Bazaar, sa relation avec Newton Arvin, son passage à Yaddo), ses voyages en Espagne, Grèce, Suisse, Sicile et au Maroc, la genèse de De sang froid (son déplacement au Kensas avec son amie Harper Lee, son amitié avec les Dewey) et l’après De sang froid, la lente descente aux enfers.
De la lettre qu’il enverra à Arch Persons, son père biologique, à l’âge de douze ans («Comme tu le sais, mon nom a été changé de Persons en Capote, et je te serais reconnaissant de ne plus m’appeler que Truman Capote, car tout le monde désormais me connaît sous ce nom-là.
») au dernier télégramme qu’il enverra cinquante-huit ans plus tard à Jack Dunphy, le compagnon de sa vie («Tu me manques. Ai besoin de toi. Télégraphie quelle date aurais droit t’espérer. A toi. Truman.»
), cette correspondance se révèle être finalement une autobiographie en creux de Truman Capote. Bien entendu, elle n’est pas exhaustive. J’ai d’ailleurs été étonné qu’Harper Lee ou Tennessee Williams soient absents des destinataires.
A peine refermé Un plaisir trop bref, qui porte si bien son nom, on n’a qu’une envie : (re)découvrir l’œuvre de Capote. Quand on aime, on ne compte pas. Alors grand gourmand que je suis, j’ai eu un regret : j’aurais apprécié que les lettres soient annotées ; les résumés explicatifs qui précèdent les quatre parties du recueil sont insuffisants à mon goût. Ça ne m’empêchera pas de m’en procurer une nouvelle copie, pour remplacer celle égarée (où étaient repérés tous les passages que j’aurais aimé retranscrire ici).
Comme moi, Bouquin a beaucoup aimé.
A découvrir : le premier texte introductif, une lettre à Andrew Lyndon et les premières lettres en V.O.
Un plaisir trop bref (lettres), de Truman Capote
Traduction : Jacques Tournier
Éditions 10/18 – 510 pages