Il est loin l’adolescent, le looser à l’avenir plus qu’incertain dont personne ne donnait pas cher de la peau. En suivant dix ans plus tôt Susan, jeune anglaise de la bonne société britannique, Vincent a choisi de couper définitivement les amarres qui le reliaient à son passé, à la loose : sa ville, sa famille, ses amis…
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Sa nouvelle vie lui a plutôt bien réussi : il se retrouve aujourd’hui brillant entrepreneur à la tête d’une chaîne de restauration et d’une petite famille.
Finalement, le bonheur tient à peu de chose, il lui aura suffit de franchir le Channel. Du moins le croit-il, jusqu’à ce qu’il se trouve plus ou moins contraint par Susan de passer une semaine en France, chez ses parents. «Jérôme s’avance, bras ouverts, l’œil légèrement humide. «Content de te voir, frérot.»
Voilà. Tout le tableau en un seul mot. Je ne connais personne d’autre qui utilise le mot «frérot». D’autant que c’est moi l’aîné. L’accolade est une épreuve, elle aussi. Moite et légèrement gluante. Mon frère la pieuvre. Laissez-moi sortit. Et les parents qui tombent dans le panneau. Je les vois, derrière le dos de Jérôme. Ils se rapprochent insensiblement. Ils en auraient presque la chair de poule. L’émotion qui monte comme s’ils étaient invités à une émission télévisée en prime time pour assister aux retrouvailles de deux perdus de vue.»
Partir, tout quitter lui a été si facile. Mais aujourd’hui, il doit se confronter malgré lui à ce passé, qu’il n’a de cesse d’oublier depuis dix ans, retrouver tous ces gens qu’il a laissés sans aucun regret, sans un regard derrière lui – parents, frère, anciens amis, ex -, et reprendre cette première partie de sa vie à peu de choses près là où il l’a laissée en partant. A peu de choses près… Car la vie n’est pas une chanson d’amour. En s’accrochant à Susan, comme un rescapé du Titanic à son canot de sauvetage, Vincent n’a qu’une idée en tête : sauver sa peau. Il tenait là sa chance, pas question de la laisser passer, quels que soient les dégâts collatéraux que cela devait irrémédiablement engendrer. Et tant pis pour Etienne, son meilleur ami, son pote à jamais…
Mais il ne suffit pas de détourner le regard ou de tourner le dos pour que la réalité s’estompe. Il ne suffit pas d’ignorer sciemment ce qui fâche, là où ça gratte, pour soulager sa bonne conscience. De nouveau de plein pied avec le quotidien de ses amis d’autrefois, lui qui est devenu “quelqu’un”, sorte de symbole de la réussite du libéralisme à l’anglaise, va réaliser que sa réussite dans les affaires cache mal un échec bien plus profond. Son cynisme ne suffira plus à le préserver, lui et ses fausses certitudes. «Le dîner est un enfer.
Fanny m’en veut de ne pas me prêter à son petit jeu.
Olivier m’en veut de rendre Fanny malheureuse.
Le poulet au mile est dégueulasse mais on prétend tous qu’il est délicieux.
C’est ma première soirée française hors de chez mes parents.
Je suis radieux.»
Comme beaucoup, je dois avouer que j’ai été quelque peu désorienté en lisant les premières pages de ce nouveau roman de Jean-Philippe Blondel. Je ne voyais où il voulait en venir, où il voulait m’emmener et il n’a pas fallu longtemps avant que son narrateur me tape sur les nerfs. Les concessions, la nuance, c’est pas son truc à Vincent. Il se complait mieux dans l’arrogance, voire le mépris, et la condescendance. «Parfois, je l’appelais “mon deuxième meilleur ami” et cela me faisait rire, parce que tout le monde sait que c’est un concept qui n’existe pas, une élucubration de faux-jeton. Le “deuxième meilleur ami”, c’est celui qu’on appelle quand le premier n’est pas là ou qu’il est occupé à draguer. C’est celui avec qui on a énormément de points communs, tellement que c’en est saoulant. C’est celui qui nous renvoie de nous une image qui nous déplaît. Ce n’est pas exactement un bouche-trou, parce que, des bouche-trous, on en a d’autres – mais c’est quelqu’un qui gravite à la périphérie de notre vie, sans faire de bruit.»
ou encore : «Je ne veux pas me souvenir de dimanche.
J’avais oublié les dimanches. A Londres, maintenant, tout est ouvert. C’est le deuxième jour de la semaine pour la fréquentation des magasins, juste après le samedi. (…) je me suis coulé dans ces nouvelles habitudes, comme tous les Anglais. Nous avons passé des années vociférer pour garder intacte l’organisation de la semaine de travail et, dès que les commerces ont eu le droit d’ouvrir le dimanche, nous n’avons plus rien dit. Nous nous sommes installés dans notre nouveau moule. Et nous l’avons adoré. Je ne pourrai pas revenir en arrière.»
Mais pour qui il se prend celui-là, si sûr de lui avec ses jugements à l’emporte-pièce ? Si tout est merdique ici et tellement mieux là-bas, qu’est-ce qui l’empêche d’y retourner ? Puis, peu à peu, on comprend que cette froideur de surface n’est qu’un bouclier dérisoire. Par petites touches, Blondel fait apparaître la souffrance de Vincent. Le “petit con” imbuvable devient plus humain, plus touchant, jusqu’à l’estocade finale que lui infligera Céline, sa belle-sœur.
Au fil de la lecture ne manquent pas de survenir les questions dérangeantes : «Si ma survie en dépendait, qu’aurais-je fait à sa place ?»
, «En quoi serais-je responsable des actes des personnes que j’aurais laissées derrière moi ?»
… Forcément, ça remue, ça vrille à l’intérieur, ça fout le souk dans les préjugés et ça continue, même après le dernier mot du roman.
En totale empathie avec ses personnages – même les salauds !-, Jean-Philippe Blondel nous emmène avec lui dans les tréfonds de leurs âmes. Il parvient à ce que le lecteur se trouve des affinités avec son narrateur pour le moins antipathique même si cette fois-ci, il le fait avec un style plus rugueux, plus violent même parfois.
«A aucun moment elle ne m’a nommé.
A aucun moment elle n’a pensé à moi.
A aucun moment je n’ai voulu son bien.»
This is not a love song. Pas sûr… Méfiez-vous des apparences. Moi j’y ai vu une histoire d’amour, un amour qui n’a jamais dit son nom et que Vincent va enfin concrétiser par-delà la mort. «On peut croire que je ne pense pas à lui. On peut croire que je ne l’ai pas pleuré. Que je n’ai pas été dévasté. Que mes années londoniennes ont créé autour de moi une bulle de verre et que plus rien ne m’atteint. Que mon cerveau ne hurle pas son nom aux moments les plus inattendus. Que ma seule réaction aura été de baiser ma belle-sœur et de faire la nique à la mort
.
On peut croire ce qu’on veut.
Je ne croirai que ma belle-sœur.
Parce que ma belle-sœur était là. Qu’elle sait la dose de douleur dans notre orgasme. Qu’elle m’a tenu dans ses bras alors que je voulais la dominer et qu’elle m’a bercé doucement. Qu’elle a vu mon visage dans l’oreiller. Qu’elle sait que pour faire la nique aux défunts, il faut d’abord faire son deuil. Le mien a été violent, rapide et charnel. J’espère que j’ai ensemencé la mort.»
Si Clarabel, Anne et Laurence ont été séduites, Laure en revanche a été déstabilisée par le “nouveau Blondel”.
This is not a love song, de Jean-Philippe Blondel
Robert Laffont – 211 pages