« Aujourd’hui (date), après X jours de détention, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat n’ont toujours pas été libérés. » Pendant trois ans, chaque jour, le journal télévisé s’ouvrait sur ce message, accompagné des photos des quatre otages français retenus au Liban. Jusqu’à ce 5 mai 1988 où, à l’exception de Michel Seurat décédé en captivité, ils arrivent, enfin libres, à l’aéroport de Villacoublay. Ces noms, ces visages, sont devenus familiers à l’adolescent que j’étais alors. Dans La maison du retour, Jean-Paul Kauffmann revient sur les tous premiers mois qui ont suivi sa libération.
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Difficile après trois années d’enfermement de reprendre le cours de sa vie comme si de rien n’était. Kauffmann choisit donc de quitter Paris pour venir s’installer dans la région bordelaise, dont, en amateur éclairé, il affectionne les grands crus.
Finalement, alors qu’il désespère de trouver une maison qui lui convienne, il a le coup de foudre pour Les Tilleuls, une propriété au passé sulfureux, perdue au cœur de la forêt landaise. « C’est elle que je n’ai cessé de chercher. Tout de suite, j’apprécie son maintien élégant et modeste. Devant moi, la maison dont je rêve : une vaste retraite campagnarde, des arbres, beaucoup d’arbres, dont deux immenses platanes qui déploient leur ligne brisée autour de la façade. Et la forêt de pins qui entoure sans étouffer. »
Tout juste libéré, il va se cloîtrer avec délice dans cette demeure, prenant comme alibi la surveillance des travaux. Au milieu du chantier, il va établir une sorte de campement de fortune, avec pour seule compagnie les deux ouvriers qui rénovent la maison, Les Géorgiques de Virgile et la musique de Haydn.
Dans ce quasi-isolement, hors du temps et de l’agitation du monde extérieur, la maison va retrouver une nouvelle jeunesse tandis que l’ex-otage va réapprendre à vivre et retrouver le bonheur des plaisirs simples de la vie, au contact d’une nature qui stimule ses cinq sens. « Un vrai temps de Pâques, lumineux, vif et venteux. Un temps de convalescent. Je me relève d’une longue maladie. Je savoure cet entre-deux, à mi-distance de l’épreuve qui n’existe plus et d’une guérison qui s’annonce quoiqu’elle tarde un peu à venir. Encore dolent, mais ragaillardi par la force inépuisable du vent, source de vie. »
Tomber sous le(s) sens. Reconstruction, renaissance, convalescence ? Il s’agit bien de tout cela à la fois dans La maison du retour, un retour au pays mais aussi à la vie. Dans le cas de Jean-Paul Kauffmann, cela va se faire lentement, par étape, comme autant de paliers de décompression nécessaires pour passer progressivement de la captivité à la liberté retrouvée. Cette maison est pour lui comme un nouveau départ. « Cette maison m’a-t-elle guéri ? Je pense qu’elle m’a simplement décontaminé, débarrassé de mauvais ferments tels que le ressentiment, la soif de vengeance, la passivité, le goût de la dévastation, sans parler de cet esprit de lassitude qui a envahi le siècle. Cette maison m’a défripé le cerveau. »
Citadin dans l’âme, je ne conçois la campagne qu’à doses homéopathiques. Les maisons de campagnes ne sont définitivement pas pour moi. Et pourtant, je me suis senti bien aux Tilleuls où règnent plénitude et apaisement, une bulle en dehors du temps où les seules nouvelles du monde extérieur (fatwa lancée contre Salman Rushdie, nouveaux bombardements au Liban, mort de Khomeiny) sont diffusées par la radio des ouvriers, replongeant l’ex-otage dans un passé récent, encore douloureux.
Outre ces ouvriers pour le moins discrets, ils sont rares les visiteurs aux Tilleuls : l’agent immobilier, l’impayable Lapouyade, (« C’est M. Lapouyade qui s’occupera de nous. Celui-ci tient à me préciser que son nom vient du latin podium qui signifie tertre. Ce patronyme lui va bien, il a un côté vainqueur qui ne déteste pas monter sur l’estrade. «Je crois savoir ce que vous voulez», dit-il d’un air matois. Il est très fort : nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous recherchons. »
), Urbain, l’ami architecte, des voisins un peu excentriques, puis, quand les travaux sont terminés, Joëlle, sa femme accompagnée de ses enfants.
Sentir, observer, toucher, goûter… Kauffmann laisse libre court à ses cinq sens. Il y a ainsi dans La maison du retour de beaux passages sur l’éveil des sens attisés par la nature environnante : odeur de la pinède, bruits de la vieille demeure, vol des oiseaux, dégustation d’une bonne bouteille de vin… comme si l’auteur redécouvrait tout ce dont l’avait privé ses geôliers libanais pendant trois années. Grand lecteur, il va également découvrir que les livres ont perdu pour lui leur attrait, remplacés en cela par Dame nature. « Comme beaucoup de gros liseurs, j’ai longtemps entretenu un commerce névrotique avec les livres. Peur d’en manquer ? Cette hantise remonte à mes années de jeunesse où je ne lisais pas à ma faim. (…) Un jour, cette crainte est devenue réalité. J’ai dit combien j’avais été privé de livre pendant ma détention au Liban. Ils m’ont aussi sauvé. Quand je n’avais rien à lire, je me remémorais les lectures d’avant. Il ne s’agissait que d’une reconstitution. Evidemment ces romans, je ne les savais pas par cœur. Les poèmes, oui. Je pouvais en réciter encore un certain nombre. Pour le reste, je me livrais à une tentative de rétablissement ou de représentation d’une chose disparue. L’exercice m’absorbait à ce point que je parvenais pendant un certain temps à oublier ma condition. (…) Après ma libération, j’ai vite constaté avec un serrement au cœur que mon rapport aux livres avait radicalement changé. Quelques bouquins m’étaient parvenus dans ma geôle. Jamais je n’ai dévoré avec autant d’intensité. J’oubliais la cellule. (…) l’homme libre ne peut lire avec une telle concentration. Il est sans cesse distrait, éparpillé par le plein exercice de sa liberté. (…) La liberté nous émiette. Enchaîné, j’ai connu à la lueur d’une bougie l’adhésion absolue au texte, la fusion intégrale aux signes qui le composaient – la question du sens, je le répète, était secondaire.
Cet acquiescement total, je ne parviens pas à le retrouver depuis ma délivrance. (…) Je le constate avec tristesse : j’ouvre désormais les volumes d’un geste machinal et les parcours mollement. Manque cette vigilance impérative, élémentaire, qui m’a prémuni du désespoir.»
La maison du retour est un livre (j’ai failli écrire roman) optimiste, plein d’énergie positive, jamais mièvre ni pleurnichard, où Kauffmann, en sage ermite, nous fait partager tous les petits bonheurs simples du quotidien.
Cathe l’a lu avant moi et en parle très bien ici.
La maison du retour, de Jean-Paul Kauffmann
NiL éditions – 300 pages