ovalde-deloger-animalRose ne fait pas son âge. Beaucoup de femmes que je connais l’envieraient, quoique… Si à quinze ans, Rose n’en paraît que la moitié tout au plus, c’est qu’elle n’est pas vraiment comme les autres enfants. On ne sait pas très bien ce qui cloche chez cette «grosse petite fille» limite monstrueuse (est-elle mentalement retardée ou juste un peu trop rêveuse ?) sinon qu’elle est scolarisée dans un institut spécialisé et qu’elle voue une vraie passion à ses lapins qu’elle élève sur la terrasse. Comme la banalité du réel ne lui sied pas vraiment, Rose invente, imagine, enjolive. Elle triture la réalité jusqu’à ce qu’elle corresponde mieux à son monde à elle, rendant ainsi son existence plus supportable.

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Elle adore sa mère, qui s’appelle Rose comme elle, pin up un peu vulgaire (mais véritable déesse, sublimée par le regard de sa fille) dont la -fausse- chevelure blonde cache un crâne à vif, brûlé lors d’un mystérieux accident. Son père, Rose ne le connaît pas. C’est Monsieur Loyal, l’homme qui vit avec sa mère, qui en fait office.
Le jour où sa mère disparaît soudainement, l’imagination débordante de Rose va s’emballer. Pour comprendre pourquoi sa mère a disparu, elle va reconstituer (recréer serait plus juste) l’histoire de sa mère et de sa rencontre avec son père, à partir d’éléments saisis ça et là, et notamment auprès de sa nouvelle amie, Madame Isis, sa voisine de 65 ans devenue sa confidente. « Madame Isis parle par bribes. Je récolte, j’assemble et j’ajuste les éléments mâles aux éléments femelles, j’étale le soir les éléments mixtes sur le dessus-de-lit dans la chambre dérobée – le garde-manger – et je fabrique quelque chose, j’ajoute à cet appareil une pincée de tout ce que je connais de maman Rose et de Markus, je saupoudre, je colmate et j’invente jusqu’à ce que ça tienne debout, je m’échine à ce que leur histoire tienne debout. Parfois, ce labeur me désespère, il me manque trop d’étais, mon pouvoir se délite, clignote et s’évanouit tout à fait. Je n’y arrive pas. »

Petits arrangements avec la vérité. La vérité sort de la bouche des enfants dit-on… mais pas de celle de Rose. Non-dits, silences, mensonges… comme beaucoup d’enfants, Rose est tenue à l’écart par les adultes sous le prétexte (souvent fallacieux et bien trop commode) de la protéger. Pourtant, si seulement ses parents s’étaient donné la peine de prendre le temps et de trouver les mots adéquats pour lui expliquer, Rose aurait été capable de comprendre et d’assimiler beaucoup de choses. A plusieurs occasions, on s’étonnera de ses analyses pertinentes et perspicaces. « Ils disaient, nous ne répéterons rien, tu peux avoir confiance en nous – mais je n’avais confiance en personne, excepté mes lapins, je n’avais pas confiance en maman qui, je le savais, devait être surveillée, je n’avais pas confiance en papa parce que ce n’était pas le vrai, celui qui a giclé, et que ça faisait malgré tout une différence. Alors, voyez donc, je n’aurais jamais pu leur faire confiance aux psychologues de l’hôpital. Je leur souriais. Fais-nous confiance, répétaient-ils, et je faisais l’étonnée, comment ne pas vous faire confiance les gars, vous avez de si jolies blouses blanches même pas tâchées de sang, vos yeux sont si clairs et si francs (…) »
Alors, quand un événement particulièrement déstabilisant survient, il ne lui reste pour y faire face qu’à mettre en branle sa machine à rêves, à se raconter des histoires pour compenser l’ignorance dans laquelle l’ont volontairement confinée ses parents. Pourquoi Monsieur Loyal reste-t-il inerte et ne se lance-t-il pas comme elle à la recherche de sa mère ? Et s’il avait à voir avec sa disparition ? Et si sa mère était partie à la rencontre de son vrai père, Markus, « celui qui a giclé » ? D’ailleurs, comment sa mère l’a-t-elle rencontré ? Autant de questions qui traversent et s’entrechoquent dans la tête de la petite fille et auxquelles elle va apporter ses réponses, toutes personnelles. Malheureusement, il arrive un moment où sa vision du monde achoppe à la réalité et paradoxalement, on sent bien qu’alors Rose se sert aussi de son imagination comme d’un bouclier protecteur contre le monde des adultes. Quand elle perçoit que la réalité peut s’avérer désagréable, elle se raccroche à ses rêves, n’hésitant pas en dernier recours à « fermer les écoutilles ».

Dans Déloger l’animal, Véronique Ovaldé propulse son lecteur dans les méandres de l’esprit de Rose où il suit les chemins sinueux des monologues intérieurs de la petite fille. Si elle mélange gaillardement rêve et réalité, le lecteur lui sent bien par moment que quelque chose “ne colle pas” et commence alors à envisager une autre réalité aux faits tout empreints de merveilleux et de poésie rapportés par Rose.
Si j’ai pris énormément de plaisir à suivre la petite Rose dans sa recherche pour la vérité, j’ai également été sous le charme de la rencontre (fantasmée ?) de Rose – la mère – et de Markus, le père de Rose. « Markus est resté debout adossé à l’évier et il l’a regardée se brûler les mains et les lèvres avec le bol – quelque chose de malséant, un bol qu’il a dû offrir à sa mère quand il était gamin, avec un message mièvre « à la reine des mamans » qui l’émeut encore parce qu’elle a gardé le bol, et l’agace, parce qu’elle a gardé le bol. Markus a croisé les bras mais cette posture lui donne l’air d’une vieille dame alors il enfonce les mains dans ses poches en se disant, si maman rentre elle ne va rien y comprendre (…) Rose ne dit rien et ce silence rassure Markus, incapable et épuisé déjà à l’idée de raconter sa vie ici avec sa mère, de parler du lac aux silures, de la rivière et du frasil et du bruit du frasil sous la surface des eaux, abasourdi brusquement de la pauvreté de son existence où il n’y a rien d’autre que le lycée et son échec annoncé au lycée, où il n’y a rien d’autre que son ennui profond, la lenteur que met le monde à s’ordonner, la lenteur des journées, encore tellement de temps devant moi que je ne sais qu’en faire, et Markus se sent si abattu devant Rose à l’idée de l’ennui infini de sa propre existence. »

A noter que, pour une fois, l’illustration de Marion Peck dont l’univers n’est pas sans me rappeler celui de Loretta Lux, est parfaitement adaptée au roman de Véronique Ovaldé. Sous couvert d’enfance et de douceurs pastel, son univers onirique est néanmoins inquiétant, voire dérangeant. L’œuvre choisie en couverture, si elle rappelle Rose et sa passion pour les lapins, n’est pas sans évoquer non plus l’Alice de Lewis Carroll égarée dans son pays des merveilles, faisant ainsi écho à l’épisode où Rose, qui joue avec le service à thé « microscopique » de son enfance, prend conscience de sa « propre incapacité à être en adéquation avec le monde ».

Ici, le billet de Cuné qui m’a donné envie de découvrir ce livre à mon tour. Là, les avis enthousiastes de Chaperlipopette, Chimère, Karine Fougeray, Lily et Musky ; et ceux plus réservés de Flo, Laure et Sophie.

Déloger l’animal, de Véronique Ovaldé
Actes Sud – 166 pages