Finn Prescott. Ce patronyme fleure bon les héros des classiques de la littérature anglaise. D’emblée, rien qu’en découvrant le titre du second roman de Jérôme Lambert, on se retrouve projeté dans l’Angleterre victorienne.
Mais qui est ce Finn Prescott, dont le narrateur lui-même n’avait jamais entendu parler avant d’être invité à son enterrement ? « La première fois que j’ai entendu parler de Finn Prescott, c’était deux jours avant son enterrement.
» En déambulant parmi l’assistance, il va surprendre certaines conversations et reconstituer le parcours de ce lointain cousin.
Fils de bonne famille, plutôt insignifiant, (il a grandi « comme dans une glaise grisâtre, sans passion, sans force »), Finn Prescott, aveuglé par ses illusions, est bien décidé à prendre à bras le corps la vie d’exception à laquelle il se croit destiné. « Le fameux temps dont Finn avait besoin passa presque entièrement dans la lecture de romans. Tous les mêmes. Le narrateur, adolescent ou en pleine mutation psychologique, se trouvait confronté à l’effroi du vaste monde, en faisait les apprentissages rudimentaires, voyait son cœur déchiré par un chagrin d’amour terrible et injuste. La fin offrait toujours la même alternative : le suicide ou la folie. Tous ces romans n’étaient pas forcément russes. »
Pianiste raté, il finit par se tourner vers la médecine. Ses rêves de grands voyages ne le mèneront pas plus loin que la Hollande, où sa communion avec la nature lui fait miroiter un avenir de « médecin naturel. » Plus tard, il se découvre des propensions à l’écriture et s’imagine déjà en écrivain à succès. « Il pensa bien un jour acheter une liasse de cahiers d’écolier et une poignée de stylos neufs pour coucher tous ces projets déjà écrits dans sa tête sur le papier, mais l’envie, le courage et la passion s’évaporèrent en lui à la seule idée de se diriger vers la papeterie du bout de la rue. Et c’est ainsi que les chefs-d’œuvre de Finn Prescott, qu’hier encore la postérité réclamait à grands cris, furent délaissés au profit de grasses matinées délicieuses et de beignets aux pommes recouverts de sucre. »
Vite oubliée, cette pseudo carrière littéraire : sa rencontre avec Nina Carolyn Newland occupe désormais toute son attention. « Si la beauté de cette femme l’avait frappé ainsi, c’est bien parce qu’elle puisait sa force et sa singularité dans un cerveau en proie aux questionnements les plus ontologiques et les plus absolus. Elle en portait la noble marque dans le fond de ses yeux noirs. Finn pouvait enfin tomber amoureux de lui-même. »
Mais son exaltation de jeunesse va faire long feu. Dix ans plus tard, Finn Prescott se retrouve seul. Nina est partie avec un autre. Solitaire englué dans sa routine de médecin de province, il rencontrera fortuitement un jour son ami Tomas, dont il a été très proche à la fac et qu’il a perdu de vue pendant dix ans.
Le livre des désillusions. Finn Prescott, ou comment passer à côté de sa vie à trop la rêver. Sa vie durant, le décalage entre ce qu’il veut être et ce qu’il est vraiment, va l’emmener de désillusions en désillusions, résumant son existence à une suite d’échecs.
Tout le plaisir à suivre cette vie, somme toute assez banale, vient de la plume de Jérôme Lambert, délicatement trempée dans l’acide. Après La mémoire neuve, son premier roman, et ses excellents livres pour la jeunesse (parus à L’Ecole des Loisirs), Jérôme Lambert prend avec Finn Prescott un virage à 180 degrés.
A l’image du style de littérature dont il s’inspire sans jamais tomber dans la parodie lourde ou l’exercice de style scolaire (les critiques évoquent volontiers Jane Austen, Henry James, ou encore Edith Wharton), c’est ironique, plein d’humour, parfois cruel, mais toujours élégant, distancié et léger. Jérôme Lambert sait aussi manier l’ellipse, laissant à chacun le soin de combler les vides à sa manière et selon sa sensibilité.
Un (tout) petit bémol cependant : j’ai trouvé les grandes parties du roman trop marquées, trop distinctes les unes des autres, ce qui brouille l’homogénéité de l’ensemble. Ce travers est plus flagrant encore dans le passage des retrouvailles de Finn et Tomas où les dialogues dominent, bien plus que dans le reste du livre, et lui donnent une touche beaucoup plus contemporaine. Ces retrouvailles sont d’ailleurs, à mon avis, le plus beau moment du livre qui vaut à lui seul de lire Finn Prescott.
Pour en savoir plus, trois fois plus de Jérôme Lambert :
– en interview dans la Zone Littéraire
– en reportage sur ArteTV
– en message audio sur Passion du Livre.