taha-armee-salut Dans la maison où il est né, au Maroc, le père a sa chambre, le frère aîné la sienne. Lui dort avec sa mère et ses sœurs. Cocon familial chaleureux et sensuel. Les enfants savent tout des amours de leurs parents. Mais, par pudeur, on n’en parle pas.Il est adolescent lorsque son grand frère l’emmène à Tanger. Premier voyage qui lui révèle la vraie nature de ses désirs. Il se prend de passion pour cet aîné qu’il vénère et qui, tombant amoureux d’une femme, l’abandonne à son désespoir. Il a vingt ans. Il débarque à Genève pour poursuivre ses brillantes études. Il a tant rêvé d’Europe, de livres, de cinéma, de liberté ! C’est la solitude qu’il découvre, loin des siens. Il est séduisant, il en joue. Dès lors, comment échapper à l’image d’objet sexuel que lui renvoient les hommes qu’il rencontre, y compris ceux qui veulent son bien ? Abdellah Taïa a écrit l’itinéraire d’un enfant de notre siècle, en recherche d’équilibre entre la tradition marocaine et la culture occidentale, entre le désarroi et l’ambition de réussir. Il brave les hypocrisies, à la fois cru et délicat, naïf et malin, drôle et émouvant. (Texte de la 4e de couverture)

J’ai découvert Abdellah Taïa, jeune écrivain marocain, avec Le Rouge du tarbouche, paru en 2004 chez Séguier, récits à la fois pudiques et crus, où se mêlent souvenirs intimes et fiction.

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Au moment de la parution de son dernier livre, L’Armée du Salut, aux éditions du Seuil, il m’a accordé un long entretien dans lequel il revient sur ses relations avec la littérature et sur sa passion dévorante pour le cinéma…

Possédé par l’écriture, et pas pressé d’être exorcisé. Voilà comment Abdellah Taïa décrit son rapport à la littérature. « Je n’ai jamais rêvé d’être écrivain, explique-t-il dans un Français parfait. L’écriture est arrivée de façon inattendue, puis s’est emparée de moi. »
A l’origine de la naissance de l’écrivain Taïa, le cinéma. « C’est le cinéma qui m’a conduit à l’écriture. Enfant et adolescent, j’étais obsédé par le cinéma, je collectionnais les photographies de stars, et particulièrement d’Isabelle Adjani. Je dévorais toutes les revues de cinéma que je pouvais, et il se trouve qu’elles étaient toutes en Français. Pour moi, le cinéma a toujours été lié au Français, quelle que soit l’origine du film. »

Abdellah décide de vivre sa passion à fond et de faire du cinéma son métier. « Comme il n’y avait pas d’école de cinéma au Maroc, j’ai écrit à la FEMIS pour connaître les conditions d’accès au concours. L’obtention d’un DEUG était obligatoire, alors je me suis dit que comme j’allais vivre en France, je devais perfectionner mon Français. Je me suis donc inscrit en DEUG de Français. »
Mais, à la fac de Rabat, Abdellah prend conscience de ses lacunes. « Originaire d’une famille modeste, j’ai suivi ma scolarité à l’école publique où l’enseignement du Français est d’un faible niveau. Comme je ne voulais pas abandonner mes rêves de cinéma, j’ai décidé de travailler dur. »
Le jeune étudiant décide alors de tenir un journal intime en français, ne réservant l’usage de son arabe maternel qu’à sa famille. « Tous les jours, j’y consignais mes journées, les films que j’étais allé voir. Au fur et à mesure du temps, les pensées jetées dans ce journal se sont transformées en quelque chose de plus construit, de plus libre et de plus travaillé, prenant la forme de textes courts qui racontaient de vraies histoires. C’est ainsi que l’écriture a pris possession de moi, si je puis dire. J’écris directement en Français, c’est spontané. Je trouve cet exercice très stimulant, car il me permet de progresser toujours plus. Rien n’est jamais acquis et aujourd’hui encore, j’ai peur de perdre la maîtrise de cette langue. »

Passé le moment de surprise, Abdellah Taïa a du apprendre à gérer cette irruption de l’écriture dans sa vie. « Il a fallu que je la prenne au sérieux, car l’écriture est un processus que je ne contrôle pas complètement. En mettant à jour des choses inattendues enfouies dans mon esprit, elle a toujours le dessus sur moi. Elle me révèle le vrai pourquoi d’événements qui se sont déroulés des années auparavant, et dont je ne soupçonnais même pas l’existence avant de les coucher sur le papier. C’est un phénomène qui s’apparente beaucoup au sommeil, à l’inconscient. »
L’écriture serait-elle, comme on l’entend souvent, une psychothérapie ? « Non, pas du tout. Pour moi, c’est la lecture des autres auteurs qui a valeur de psychothérapie. En ce qui me concerne, ce n’est simplement qu’une réflexion sur soi. L’écriture m’amène à me poser des questions mais ne résout rien dans ma vie privée, en tant qu’individu, puisque même si j’écris sur mon vécu, le travail d’écriture implique certaines manipulations (raccourcis, concentration de plusieurs personnages en un seul, déplacement de lieux, etc.) qui modifient la réalité. Cela dit, j’ai remarqué qu’à force d’interroger mon moi intérieur, apparaît de plus en plus une certaine noirceur dans mon écriture. Je le sens, même si pour le moment ce n’est pas encore trop apparent. »

Jeune écrivain Marocain homosexuel vivant à Paris, Abdellah Taïa n’a pas échappé aux comparaisons avec son aîné Rachid O., ce qui à la longue peut agacer. « Ça ne me gêne pas du tout, car je l’adore. J’étais encore au Maroc, quand j’ai découvert ses livres. Il a été pour moi une vraie révélation. Nous venons tous les deux d’un pays où l’individualité est niée, et plus encore l’individualité homosexuelle. Je ne le connais pas personnellement mais j’ai aimé chacun de ses livres, que j’ai relus plusieurs fois. Ce rapprochement est compréhensible, nous sommes originaires de deux villes voisines -Rabat et Salé- et nous avons à peu près le même âge. Même si nous avons un fond d’imaginaire commun, je sais que je suis différent dans mon écriture et dans mon style. »

Vivre à Paris relevait du rêve. « Pour les jeunes Marocains des classes sociales modestes comme moi, monter à Paris pour tenter sa chance est un mythe toujours très fort. Paris est une ville fascinante mais très dure, qui ne vous fait pas de cadeaux. Alors, au début, j’ai été un peu déçu. Je l’avais tellement rêvée cette ville que forcément elle n’était pas à la hauteur de mes espérances. Mais cette déception n’a été que passagère. »

Abdellah s’est vite acclimaté à la réalité du quotidien à Paris. « Au cours de mes études, j’ai obtenu une bourse pour aller étudier à Genève. J’évoque d’ailleurs cette période dans “L’armée du salut”. Là bas, je suis tombé amoureux de quelqu’un qui habitait Paris, et donc j’ai fait de nombreux aller-retour entre Paris et la Suisse. Une fois mon DES terminé, je suis venu vivre avec lui à Paris où je me suis inscrit à la Sorbonne. Alors, je n’ai pas vraiment eu de choc culturel. »

Pourtant, la douceur et la vie en communauté de Salé font place à la violence et à la solitude de la vie parisienne. Le jeune écrivain se surprend à avoir la nostalgie de son pays « J’avais un peu oublié qu’avant tout je suis Marocain. Ce qui m’a le plus manqué au début, ce sont les rituels qu’imposait ma mère au quotidien. Tout seul, je ne pouvais réinventer de tels rituels, j’étais perdu… C’est curieux, on quitte un cercle familial parce qu’on s’y sent à l’étroit et les premières choses qui vous manquent vous y ramènent. Pendant longtemps, je ne suis pas retourné au Maroc. J’y vais un peu plus souvent depuis cet été, car “Le Rouge du Tarbouche” a été édité au Maroc. »

Et le cinéma dans tout ça ? Son influence est palpable dans le style d’Abdellah Taïa qui nous dépeint des scènes par touches, et privilégie les images aux longues descriptions physiques ou morales de ses personnages, émaillant ses textes de références cinématographiques. Mais le jeune auteur n’a pas abandonné ses rêves de cinéma pour autant. « J’ai des projets d’écriture et de réalisation mais je ne peux rien en dire pour le moment car, contrairement à la littérature, ça ne dépend pas que de moi. Je reste prudent et patient. Je ne suis plus pressé, ça n’a plus autant d’importance qu’avant. Le temps et l’âge mon appris à travailler dans l’attente. »

L’Armée du Salut, d’Abdellah Taïa
Le Seuil – 153 pages