« Je m’étais promis de ne pas chialer en voyant le cadavre de mon fils, mais j’ai regretté de ne pas avoir apporté de mouchoir. C’est encore Bourdeau qui m’a tendu un paquet de Kleenex. J’ai pleuré comme une madeleine. J’ai eu envie de me jeter sur son corps froid, d’embrasser ses cheveux, de me rouler par terre en maudissant les dieux. Je l’ai fait en moi, tout au fond, dans mon théâtre privé, mais après m’être mouché plusieurs fois, j’ai dit « oui, c’est bien lui », Bourdeau a hoché la tête, et le drap a recouvert pour toujours le visage rafistolé tant bien que mal de mon enfant. »
À 67 ans, André Thiriet, alias Dédé la Classe, est rangé des voitures.Cela fait des années qu’il a quitté Paname où il régnait en caïd dans les années 70.
Aujourd’hui, il coule ses vieux jours au soleil de la Costa Brava, aux côtés de sa femme, Gloria, une diva qu’il a épousée alors qu’elle trustait les pages mondaines des journaux. Atteinte d’Alzheimer, celle-ci n’est plus que l’ombre d’elle-même.
C’est donc à contrecœur que Dédé quitte la douceur espagnole : son fils unique, Alexandre, à qui il avait transmis le flambeau, vient d’être abattu par un motard à un feu rouge, en plein jour.
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Quand il débarque à Paris pour identifier le corps de son fils et régler les funérailles, le vieux briscard ne reconnaît plus son « territoire » d’antan : les choses ont bien changé depuis ses années de règne.
Le milieu n’est plus celui qu’il a connu : le code d’honneur a disparu en même temps que les Arabes et les Corses, quand sont arrivés les Russes et les Chinois ; tout comme dans le camp adverse l’éthique s’en est allée quand les flics ont remplacé les poulets.
Heureusement pour Dédé, le commissaire Bourdeau est toujours dans la place et c’est lui qui est en charge de l’affaire Lui possède encore cette éthique du métier et des relations truands/forces de l’ordre. Avec lui, Dédé est en terrain connu et il lui fait confiance quand il l’assure que tout sera fait pour retrouver l’assassin de son fils.
Mais le vieux truand n’a pas l’intention d’attendre la fin de l’enquête de la maison Poulaga pour venger Alexandre.
Déboussolé dans une ville et un monde qui lui sont désormais étrangers, il commence par faire la tournée de ses anciens complices, censés veiller sur Alexandre.
Dans Le feu au Royaume, Sébastien Doubinsky ressuscite la grande époque des romans et films noirs des années 60/70, et tout particulièrement les incomparables Tontons Flingueurs de Lautner. Le Dédé la Classe de Doubinsky est le digne cousin éloigné du Fernand Naudin d’Audiard, et ses acolytes font bigrement écho aux Raoul Volfoni, Maître Folace et autres Théo immortalisés par Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche et Robert Dalban.
L’histoire en elle-même est classique : pour venger la mort de l’un des siens, un truand part sur les traces du/des coupable(s) à travers la ville. Mais en l’occurrence ici, ce qui fait l’originalité de Le feu au royaume, c’est la mélancolie et la nostalgie, voire une certaine tristesse, qui s’en dégagent.
L’homme est loin d’’être un ange, mais on s’attache à Dédé, caïd vieillissant forcé de sortir de sa retraite, qui prend pleinement conscience qu’il est définitivement hors-jeu dans un Paris sur lequel il a jadis régné en maître mais qui aujourd’hui n’existe plus. Dédé, amoureux fou d’une femme dont l’esprit est irrémédiablement parti en sucette. Dédé, père meurtri par la mort prématurée de son fils unique.
Diablement efficace, l’action du Feu au royaume se déroule sur dix jours, séquencée en chapitres on ne peut plus ramassés, quelques pages seulement, souvent une seule, voire une demie (ce qui, sur un format de livre aussi petit, ne représente guère plus d’une phrase ou deux).
Le rythme soutenu, les dialogues enlevés, le style sans fioriture font qu’on dévore d’une traite cette courte histoire, suffisamment émouvante pour qu’on referme le livre avec un petit pincement au cœur.
J’en profite pour vous inciter à découvrir également, Quién es ?, autre roman de Sébastien Doubinsky que j’ai également beaucoup aimé.
* Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs (1963), écrit par Michel Audiard.
Ce qu’ils en ont pensé :
L’anagnoste : « Le Feu au royaume fait montre de qualités cinématographiques incontestables (…) et comblera de plaisir tous les amateurs de polars et de cinéma français d’après-guerre. »
Encore du noir : « Dans une atmosphère crépusculaire à la Melville, Doubinsky nous fait faire un bout de chemin aux côtés de ce personnage repoussant par bien des aspects et terriblement attachant. Et il nous prouve que l’on peut dire beaucoup et le dire bien en moins de 500 pages. »
D’autres avis sur Babelio.
Le feu au royaume, de Sébastien Doubinsky
L’Écailler (2012) – 145 pages