Ce n’est certainement pas un hasard si Benjamin Adam a baptisé ses deux personnages principaux d’après deux figures emblématiques de la France des années d’après-guerre : le photographe Jacques-Henri Lartigue (sans “s”) et le poète Jacques Prévert.
On retrouve dans son Lartigues & Prévert une atmosphère pittoresque similaire à celle de ces films noirs des années 50/60 auxquels Auguste Le Breton et Albert Simonin ont donné leurs lettres de noblesse[1].
L’histoire en elle-même tient en peu de mots : dans les années 70, Prévert a repris l’épicerie du village que lui a légué son père. Pour arrondir les fins de mois rendues difficiles par la concurrence des supermarchés, il trempe dans un petit trafic de contrebande de cigarettes, qu’il va chercher en Belgique.
Je cherche un vélo pliable qui me permettrait de faire un kilométrage pas négligeable pour aller bosser, le temps que mes pattes soient en état de courir.
Alors que Prévert vient de se faire larguer par sa femme, partie avec son gamin, lasse de ses magouilles et de la vie dans ce patelin paumé, débarque Lartigues. Lartigues, l’ami d’enfance de Prévert, s’installe à l’épicerie et, ensemble, les deux compères continuent à gérer l’épicerie et le trafic de cigarettes comme avant le départ de Nicole et de Lionel.
Jusqu’à ce matin d’hiver où, en lieu et place des cartouches de cigarettes, ils découvrent dans le coffre de leur voiture un cadavre encore chaud.
Les voilà embringués malgré eux dans une course à l’échalote pour sauver leur peau.
En planque à la campagne dans la maison de la grand-mère de Prévert, les deux hommes ne sont pas d’accord sur la façon de régler cette affaire. Leur indéfectible amitié va-t-elle résister à leurs divergences de points de vue ?
Dans ce récit plutôt classique à la base, c’est le rythme imposé par la (dé)construction narrative qui ferre le lecteur : on prend le fil de l’histoire à un moment donné, sans savoir que l’élément déclencheur de cette situation a déjà eu lieu et sans rien savoir sur les protagonistes. Les différents éléments d’information et les éclairages annexes sont délivrés tout au long du récit via des flash-backs, les témoignages des habitants du village et clients de l’épicerie, des gros plans sur des protagonistes-clés de l’affaire…
Cette déconstruction se traduit également dans la composition des planches, notamment celles qui occupent une double-page, qui se présentent souvent comme le plateau d’un jeu de société et exigent du lecteur un court moment de réflexion avant de saisir le sens de lecture approprié.
Autre singularité qui démarque cette BD du tout-venant : son dessin géométrique, aux traits anguleux et à-plats de couleurs. Si les années 70, règne du formica, de la tsf, de la R12, etc., sont très bien restituées, j’ai eu du mal à décrypter certaines cases cadrées en très gros plan. De même, signe de mon âge avancé sans doute, la petite taille de la police m’a rendu le texte parfois difficile à déchiffrer.
Au final, Lartigues & Prévert est un album à part, original à plus d’un titre, qui mérite pleinement le détour. Il décontenancera certainement les amoureux d’une BD « traditionnelle » mais ravira les curieux amateurs d’une BD plus aventureuse dans sa forme narrative et graphique.
Pour en savoir plus sur le travail de Benjamin Adam, une petite visite sur son site perso et/ou son blog s’impose.
Les premières planches sont à découvrir sur digiBiDi.
D’autres avis sur Babélio.
Fin mars, Benjamin Adam sera en signature à Paris et Strasbourg.
Pour connaître les lieux et dates de sa tournée Lartigues & Prévert, rendez-vous sur le site de La Pastèque ou sur la page Facebook dédiée.
Lartigues & Prévert, de Benjamin Adam
La Pastèque (2013) – 134 pages
Notes
[1] J’omets volontairement de citer Michel Audiard pour ne pas créer de confusion et laisser penser qu’on retrouve sa verve dans les dialogues de Lartigues et Prévert