boissel_paris_leurre Saviez-vous que pendant la première guerre mondiale, l’état-major français avait entrepris le projet fou de construire un Paris « bis » en région parisienne pour contrer l’aviation allemande et protéger la population des bombardements ennemis ?
C’est dans un article de Slate.fr paru en novembre dernier (reprenant les informations de Ptak Science Books) que j’ai eu vent pour la première fois de cette histoire ahurissante.
Aussi quand j’ai appris que les éditions Inculte publiaient un essai de Xavier Boissel sur le sujet, Paris est un leurre, je n’ai pas hésité une seconde.
J’aurais dû. Car si Paris est un leurre, l’essai de Boissel, à sa façon, en est un également.

Quand débute le premier conflit mondial, l’aviation en est encore à ses balbutiements ; le premier vol motorisé contrôlé réalisé par les frères Wright date seulement de 1903 !
Effectués depuis des Zeppelins, puis des bombardiers Gotha G, les bombardements aériens allemands étaient approximatifs et faisaient peu de victimes, mais leur impact psychologique sur l’ennemi était considérable.
À cause des systèmes de défense antiaérienne, ces bombardements, réalisés à faible altitude, se faisaient essentiellement de nuit. Sans l’aide des systèmes de navigation et de repérage modernes qui n’existaient pas encore, les pilotes allemands se repéraient en fonction de ce qu’ils pouvaient distinguer dans l’obscurité depuis leur avion : routes, lignes de chemin de fer, usines, monuments éclairés…

Un vélo électrique pliable, oui.

À partir de ce constat, l’armée française échafaude le projet fou de construire une réplique de Paris sur une zone inhabitée, pas trop éloignée de la capitale pour ne pas éveiller la suspicion des pilotes.
Pour mener son projet à bien, le gouvernement fait appel à l’ingénieur Fernand Jacopozzi, qui gagnera plus tard ses lettres de noblesse en créant les illuminations de fin d’année pour les grands magasins parisiens. Le plus grand fait d’arme de celui qui fut surnommé le magicien de la lumière restera l’illumination de la tour Eiffel avec la pub Citroën en 1925.

Trois zones distinctes sont retenues ; la plus grande difficulté aura été de trouver un bras de Seine reproduisant parfaitement la courbe si caractéristique qui coupe Paris en deux.
La première tranche de travaux est engagée en 1917 près de Villepinte, sur la zone dite de l’Orme de Morlu. Là est construite une fausse gare de l’Est, dont les bâtiments sont figurés par des structures en bois, recouvertes de toiles censées imiter les verrières sales des usines. Le tout est éclairé par en-dessous par des lampes à acétylène de différentes couleurs dont il a fallu doser l’intensité lumineuse de façon à attirer l’attention des pilotes allemands sans qu’ils subodorent le subterfuge. Immobiles ou en marche, les trains sont également simulés grâce à un ingénieux système d’éclairage.
« En un mois et demi, il (Jacopozzi) installe des structures de bois sur lesquelles sont fixées les douilles de 250 000 ampoules de six couleurs différentes, alimentées par 90 km de câble électrique. »

De ces premières constructions ne subsistent que quelques photographies publiées en octobre 1920 dans L’Illustration. On ne saura jamais si le stratagème aura été efficace ou non : l’Armistice de novembre 1918 est signé avant que l’ensemble soit achevé.
« Du faux Paris, qui n’a donc existé qu’à l’état d’esquisses et d’illuminations, il ne reste rien. Quelques photographies, deux ou trois articles perdus dans des livres poussiéreux, exhumés de la mémoire de la presse populaire ou de quelques archives personnelles. Si ce n’était ces articles, on se dirait presque que l’histoire de ce faux Paris est elle-même un fake, un de ces faux récits inventés de toute pièce (…) »

Accompagné de son ami photographe Didier Vivien et du fils de celui-ci, Xavier Boissel décide d’aller sur le terrain, vérifier s’il peut déceler des traces du faux Paris sur les sites qui avaient été choisis. Il n’y a trouvé qu’un centre commercial, un terrain de tir à l’abandon, un terrain vague qui a dû servir de terrain d’exploration pour amateurs de paintball… Rien, bien évidemment, ne subsiste des quelques cabanons construits en 1918.
« Si nous n’avons pas retrouvé les lieux où fut édifiée la fausse gare de l’Est, ni l’emplacement exact où se trouvait le transformateur électrique assurant l’alimentation de l’objectif A, s’il semble improbable, sinon impossible de retrouver l’endroit précis où l’on pût dire « c’est ici, sur ce terrain, que s’est matérialisée l’ébauche stylisée d’une reproduction de la capitale », le paysage, les plans et les photographies qui en restent dessinent une constellation d’images lacunaires, propice à une nouvelle forme de rêverie. Ce fait historique marginal, les indices ténus qu’il aura semés, les fils quasi invisibles qu’il aura tressés, ouvrent les possibilités d’un éveil encore chevillé au rêve. Sa trame globale, faite d’incertitudes et de réminiscences, nous offre l’occasion de fermer humblement les yeux sans avoir peur dans le noir de nos paupières et de les ouvrir à la pleine clarté du jour. »

Si l’histoire insensée de la construction de ce Paris fictif est passionnante, elle ne sert à Xavier Boissel que de point de départ pour un essai socio-philosophique sur le leurre (tactique, depuis le cheval de Troie aux blindés gonflables irakiens de la guerre du Golfe; ou social, le Paris d’aujourd’hui comme leurre du Paris d’hier). On y croisera les figures tutélaires de Baudrillard, Kracauer, Debord… mais on n’y apprendra rien de plus sur le faux Paris que ce qu’on a déjà pu en lire dans les articles parus sur le web.
Le propos est sans doute passionnant pour qui s’intéresse à la question, mais moi qui y étais venu chercher des informations inédites sur le faux Paris, j’en ai été pour mes frais. Je me suis d’autant senti plus lésé qu’à aucun moment la quatrième de couverture ou les différentes présentations de l’ouvrage que j’ai pu lire avant de l’acheter ne m’ont détrompé quant à son contenu réel.

Passionnant et complet, le site dédié Paris est un leurre présente les rares documents parus dans la presse de l’époque et les photos de Didier Vivien (à noter que les reproductions – dans un noir et blanc de piètre qualité – de quelques-unes de ces illustrations ont été reléguées en fin d’ouvrage).

Sur le même sujet, et même si l’on n’en apprend pas plus, j’ai trouvé plus intéressant l’angle choisi par Bruce Bégout pour son article Faux Paris paru dans le numéro 3 de la revue Feuilleton.
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez écouter ici l’intervention de Bruce Bégout à la librairie Mollat de Bordeaux (pour zapper tout le blabla de promo, commencez la lecture à 4’12).

Paris est un leurre, de Xavier Boissel
Inculte (2012) – 128 pages