Hier pilote de brousse, aujourd’hui trappeur, de tout temps porté sur la bouteille, le vieux Will Bird gît sur son lit d’hôpital. Victime d’une violente agression, il est plongé dans le coma.
Si son corps semble sans vie, son esprit, toujours alerte, vadrouille et remonte le cours des événements qui l’ont conduit dans ce service de réanimation.
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A la demande du personnel médical qui estime que parler au vieil homme peut l’aider à sortir de sa léthargie, sa nièce Annie se rend chaque jour à son chevet. Au fond d’elle, elle doute que ses mots puissent avoir un tel pouvoir sur son oncle, mais elle se sent redevable envers celui qui les a élevées, elle et sa sœur.
Alors elle fait ce qu’on attend d’elle. Au début, elle ne sait quoi lui dire ; les silences s’éternisent. Puis, elle finit par céder au pouvoir libérateur de la parole et se confie chaque jour un peu plus.
Trappeuse redoutable, Annie est une fonceuse. Un peu garçon manqué, rien ne lui plait tant que d’enfourcher sa motoneige pour traverser les étendues enneigées à pleins gaz. Cette vie à la dure, sa sœur Suzanne n’en pouvait plus. Avec son petit copain, elle a fuit la réserve pour tenter sa chance à la ville en devenant mannequin.
Alors que Suzanne a cessé de donner signe de vie à sa famille depuis plusieurs semaines, Annie décide de partir à sa recherche. De Toronto à Montréal, en passant par New York, elle va suivre la piste de cette sœur dont elle a toujours secrètement jalousé la beauté. Elle, la fille de la réserve, va se coltiner au monde de la mode et de la jet-set au risque de s’y perdre à son tour.
Il est des livres dont je n’ai pas encore parlé ici. Non pas parce que je ne les ai pas aimés, mais tout simplement parce que le temps m’a manqué sur le moment pour écrire un billet, et qu’entre temps d’autres se sont imposés. Les saisons de la solitude, de Joseph Boyden, est de ceux-là. Sa récente sortie en poche me donne enfin l’occasion de partager ce très beau roman avec vous.
Cette fois encore, Boyden s’intéresse à la communauté Cree, indiens de la baie James, au nord du Canada. Alors qu’il explorait l’histoire et la première guerre mondiale dans Le chemin des âmes, il renoue ici avec le temps présent, comme déjà dans son recueil de nouvelles, Là-haut vers le nord.
Dans la lignée des mythes indiens de tradition orale, chapitre après chapitre, les voix du vieux Will et d’Annie se font entendre. Dans un dialogue silencieux, tour à tour, elles vont tantôt se faire écho, tantôt se répondre.
À la confluence des deux histoires de l’oncle et de la nièce, il y a Suzanne. Suzanne, incarnation du mal de vivre des indiens, de leur difficulté à trouver une place dans la société, écartelés qu’ils sont entre deux mondes, deux cultures.
Aux jeunes générations qui rêvent de modernité, d’une vie facile, la réserve ne laisse entrevoir qu’un avenir de chômage, de désœuvrement, d’alcool et de violence.
« La vie dans la forêt est simple. Répétitive. Mon père savait qu’il n’y a que trois choses indispensables dans les bois. Du feu, un abri, de la nourriture. On consacre chaque instant à y penser. »
Tous n’ont de cesse de troquer leurs forêts d’épicéas pour d’autres forêts, celles des gratte-ciel des métropoles. Et s’ils sont moins attachés que leurs aînés à leur héritage séculaire, les jeunes indiens n’en sont pas pour autant armés pour un monde qui ne veut pas d’eux. A l’instar de Suzanne, beaucoup se brûlent les ailes aux lumières de la ville. Ils découvrent à leurs dépends que la jungle urbaine est tout aussi hostile que la nature sauvage du Grand Nord et que les requins de la jet-set, dealers et autres marchands de bonheur factice ne sont pas moins dangereux que les ours bruns de leurs forêts.
Les âmes trop sensibles qui reprochent sa violence au Chemin des âmes et les puristes qui ont aimé la portée ethnologique de Là-haut vers le nord se voient réconciliés avec Les saisons de la solitude. Dans une prose poétique et désenchantée, Joseph Boyden donne à voir l’envers du mythe indien et déroule la destinée d’un peuple à la dérive sur un mode binaire : la voix de Will/la voix d’Annie, la jeune génération/les aînés, la tradition/la modernité, le nord /le sud, la froidure/la chaleur, les grands espaces/les villes…
Si je l’ai trouvé moins puissant et plus attendu que Le chemin des âmes, Les saisons de la solitude n’en reste pas moins un très beau roman.
Attachants par leur juste humanité, ses personnages authentiques démontrent si besoin était que les « sauvages » ne sont pas forcément ceux désignés comme tels.
Au parcours de la battante Annie, j’ai préféré celui de Will, vieille carcasse imbibée au grand cœur. Tout comme j’ai préféré les incursions dans la réserve à celles dans le monde superficiel des mannequins et pseudo-people.
Boyden prend également grand soin des protagonistes de second plan, donnant ainsi naissance à des personnages marquants comme le ténébreux Gordon, ange gardien d’Annie, ou la discrète Dorothy, amour de jeunesse de Will.
D’ailleurs, sans que cela ne parasite en rien le plaisir des néophytes, les fidèles de Boyden retrouveront avec plaisir dans Les saisons de la solitude certaines figures déjà croisées dans les précédents textes du Canadien. Le plus emblématique d’entre eux étant Will, puisqu’il est le fils de Xavier Bird, héros du Chemin des âmes.
J’espère que la sortie en poche des Chemins de la solitude augure la parution prochaine du nouveau roman de Joseph Boyden. Lors d’une rencontre organisée par Albin Michel à l’occasion de la sortie du roman en 2009, l’auteur avait annoncé travailler sur le dernier opus qui devrait clore sa trilogie sur le peuple Cree, et dans lequel Suzanne aurait un rôle plus conséquent.
Le site web officiel de Joseph Boyden
Ce qu’elles en ont pensé :
Amanda : « Un bon roman, écrit avec une plume toujours aussi forte, un rythme jamais lassant et des personnages toujours justes. »
Armande : « J’ai aimé passionnément ce roman, le souffle qui anime chaque page est remarquable. »
Charlotte : « Un auteur qui, en toute simplicité, vous plonge dans des vies qui sentent le vrai, avec leurs beautés et leurs parts obscures, vous transporte dans un univers – le Canada – et dans une culture – indienne. »
Dominique : « En filigrane de ce roman Joseph Boyden met l’accent sur la destruction lente du peuple Cree par la maladie, l’alcool, la violence, la drogue. »
Flora : « Un merveilleux roman, fort, sauvage, sans fard ni artifice. »
Joëlle : « Mon seul reproche concerne la fin prévisible du livre, ce qui n’enlève pourtant rien à la grande qualité de ce roman envoûtant. »
Kathel : « Le style très beau, poétique et imagé, sonne bien, et l’envie de suivre les personnages reste vive jusqu’au bout des 500 pages. »
Papillon : « C’est un très beau roman avec des personnages forts, complexes et attachants, qui nous dévoile un monde méconnu. »
Snowball : « J’ai éprouvé quelques difficultés à terminer cette lecture, à comprendre où l’auteur voulait en venir. Au final, mon avais reste donc très mitigé. »
Sophie : « J’ai quitté à regret la famille Bird. J’aurais voulu que les 500 pages, pourtant déjà très denses, en soient 1000 ! »
Zarline : « Un très beau roman dont les 500 pages s’avalent toutes seules. »
Et sur Babelio
Les saisons de la solitude, de Joseph Boyden
(Through Black Spruce) Traduction de l’anglais (Canada) : Michel Lederer
Albin Michel (2009) – 507 pages