Voilà, en substance, ce que prétend Spoiler alert: Stories are not spoiled by spoilers, une étude menée par le département de psychologie sociale de l’Université de Californie à San Diego (UCSD), à paraître dans Psychological Science.
Cette étude affirme que, contrairement à une idée largement partagée, le suspense ne fait pas le sel d’une histoire. Au contraire, la tension qu’il induit chez le lecteur nuit à son plaisir.
Autrement dit, se préserver des spoilers est non seulement une perte de temps inutile mais, en plus, cela amoindrit le plaisir que l’on tire de sa lecture !

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Inutile de vous dire que cet article, qui va à contre-courant des préoccupations exprimées lors de l’enquête sur la quatrième de couverture, a retenu toute mon attention.

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Pour les besoins de leur étude, Nicholas J. S. Christenfeld, professeur en psychologie sociale à l’UCSD et Jonathan D. Leavitt, étudiant doctorant à UCSD, ont sélectionné douze nouvelles de trois types distincts : des nouvelles à chute (ironic twist short stories, dont la chute remet en perspective l’ensemble du texte), des nouvelles policières (mystery short stories, sur le modèle de l’enquête policière) et des nouvelles de littérature générale (literary short stories) [1].
Pour chacune des douze nouvelles, trois versions différentes ont été préparées : une version « normale », une version avec un paragraphe introductif contenant les spoilers, et une version dans laquelle le paragraphe contenant les spoilers a été glissé dans le corps du texte original, comme faisant partie intégrante de l’histoire.
Chaque version de chaque nouvelle a été distribuée à une trentaine de personnes au moins (les résultats de personnes ayant déjà lu la nouvelle auparavant n’ont pas été pris en compte).

Il ressort de cette expérience que les sujets de l’étude ont largement préféré les versions spoilées des nouvelles à chute et des nouvelles policières. Des trois types, les nouvelles littéraires ont été les moins appréciées, mais là encore les versions spoilées ont été préférées aux versions originales.
Dans tous les cas, les cobayes ont assuré que cela n’avait pas gâché leur plaisir, au contraire, puisqu’ils ont ainsi pu se concentrer pleinement sur l’intrigue elle-même sans avoir à se préoccuper de ce qu’allait leur réserver le récit.
Seule exception à ces résultats pour le moins surprenants : les spoilers insérés au cœur de l’histoire ont engendré des réactions inverses (voir tableau ci-dessous).

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Pour Christenfeld et Leavitt, ces résultats sont en parfaite cohérence avec l’exemple des enfants qui réclament qu’on leur lise et relise la même histoire sans qu’ils s’en lassent jamais, ou de la même façon, des adultes qui prennent plaisir à relire leurs livres de chevet.
Première interprétation avancée par les chercheurs, l’importance accordée à l’intrigue est surfaite. Selon Christenfeld, « L’intrigue n’est que le prétexte d’un bon livre. Tout ce qui a trait à l’intrigue est (presque) hors sujet. Le plaisir réside dans le texte lui-même. » A l’en croire, le suspense n’aurait d’autre effet que de détourner l’attention du lecteur des détails importants et des qualités esthétiques du récit.
Deuxième interprétation, lire une histoire spoilée est un exercice plus facile. « Une fois que l’on sait ce qu’il va se passer, cela devient plus facile au niveau cognitif – traiter les informations devient plus simple. On peut mieux se concentrer sur l’histoire et mieux en comprendre les moindres détails », ajoute Leavitt. En résumé, moins il y a de surprise, plus il y a de plaisir. En matière d’imaginaire, laissez-moi en douter.

Les deux chercheurs vont même jusqu’à suggérer qu’il se peut que notre conception du suspense soit faussée dans d’autres domaines que la littérature ou le cinéma. « Peut-être que les cadeaux d’anniversaire seraient mieux appréciés s’ils étaient emballés dans du papier cellophane, de même que les bagues de fiançailles, si elles n’étaient pas dissimulées dans la mousse au chocolat. » A voir.

Contrairement à L’Express qui se contente de reprendre l’info sans la remettre en question, dans son article paru sur Wired.com, Jonah Lehrer prend le temps de reconsidérer les résultats de cette étude.

Pour commencer, il précise qu’il est de ces lecteurs de polars qui commencent par lire les cinq dernières pages « A cet instant, la révélation finale ne fait pas sens, mais ce n’est pas grave. J’aime lire l’histoire en gardant le grand finale à l’esprit. »
Il souligne pertinemment que l’obsession exagérée du spoiler chez les lecteurs/spectateurs est un phénomène relativement nouveau. La mode des fins à rebondissement aurait été lancée selon lui par Usual Suspects. Auparavant, les histoires étaient plus ou moins prévisibles : qu’attendre d’autre des Grecs qu’une tragédie, il y a toujours un mariage dans les pièces de Shakespeare, un happy end à Hollywood… « Ce n’est pas comme si Twitter pouvait déflorer un film de John Wayne ». Selon Lehrer, lire/voir un certain genre de livre/film est en lui-même est révélateur de ce que nous espérons y trouver. « Tout genre en lui-même est un spoiler. » Argument auquel j’adhère.

« It’s about the narrative journey, not the final destination », continue-t-il. En effet, ce n’est pas parce qu’on en connaît la fin que le livre/film ne va pas nous réserver quelques surprises. Selon lui, le plaisir d’une fin qui marque les esprits a surclassé – à tort, et de façon excessive – celui que procurent les petites surprises qui jalonnent le récit. Il reconnait néanmoins que certaines intrigues méritent d’être préservées. Sur ce point-là encore, je le rejoins.

Enfin, il fournit une explication supplémentaire qui justifierait les résultats de l’étude : l’esprit humain fonctionne comme une machine à prédictions, c’est à dire qu’il enregistre la plupart des surprises comme une erreur cognitive, une erreur mentale. « Quand on investit de son temps dans une histoire et qu’il s’avère finalement que nous avions faux sur toute la ligne depuis le début, notre première réaction n’est pas « Woaww, génial, je ne l’avais pas vu venir ! » En fait, on se sent plutôt gêné de s’être fait avoir. » Le spoiler serait donc une façon pour le lecteur/spectateur de se préserver de ce genre de déceptions. Si son argument tient la route, il ne peut être transposé à tous les lecteurs/spectateurs. Une telle réaction trahit plutôt, pour moi, le refus du moindre effort et une propension à se complaire dans la facilité.

Globalement, je reste dubitatif sur la pertinence des résultats de cette étude qui, s’ils sont partiellement exacts comme le montrent les judicieuses réflexions de Jonah Lehrer, sont érigés en vérité universelle par Christenfeld et Leavitt.

Prétendre que les lecteurs dans leur ensemble préfèrent les histoires spoilées est une hérésie. Il aurait été plus honnête de leur part d’annoncer que, contrairement à ce que l’on aurait tendance à penser, connaître à l’avance ce qui va se passer dans le récit n’empêche pas nécessairement d’apprécier un livre ou un film. Et indubitablement, il y a du plaisir à lire une histoire bien écrite, au style maîtrisé et à la narration bien construite. Si tel n’avait pas été le cas, Titanic n’aurait pas connu le succès que l’on sait (qui, depuis 1912, ignore comment l’histoire se finit ?). Des séries à succès comme Columbo ont même bâti leur succès sur ce principe.

N’empêche, je persiste à croire que spoiler n’est pas jouer. Le plaisir que l’on prend à lire Dix petits nègres, à regarder Le sixième sens ou Memento sans rien connaître de l’intrigue est incomparable. Ce que tend à ignorer l’étude de Christenfeld et Leavitt.
Le plaisir pris à relire ou revoir ces histoires ne réside plus dans la surprise mais dans le décorticage du récit, dans le repérage de tous les indices distillés dans le texte qui auraient dû nous mener sur la bonne piste.
Tant qu’à faire, je préfèrerai toujours que les coups de théâtre que me réservent un récit n’aient pas été éventés au moment où je commence ma lecture. Tout comme je ne crains pas de devoir me concentrer davantage sur ma lecture, j’aime qu’un auteur me « cueille » et n’ai aucune honte à reconnaître que je me suis planté.

Pas vous ?

Notes

[1] Ironic twist : A dark brown dog – Stephen Crane / An occurrence at Owl Creek Bridge – Ambrose Pierce / Lamb to the slaughter – Roald Dahl / The bet – Anton Chekov **** Mysteries : Blitzed – Robert Swindells / A chess problem – Agatha Christie / McHenry’s gift – Mike McLean / Rhyme never pays – Robert Bloch **** Literary : The calm – Raymond Carver / Good dog – ? / Plumbing – John Updike /Up at a villa – Somerset Maugham.