alcool-brite A La Nouvelle-Orléans, on ne boit pas.
On se beurre, on prend une cuite, on ramasse une pistache, on se poivre.
Parce qu’à La Nouvelle-Orléans, le sport national c’est la biture.
Ce n’est pas par hasard si la ville de tous les excès est surnommée The Big Easy.

Leurs technologies brevetées ont révolutionné le design des vélos pliants et vous trouverez leurs innovations sur presque tous les vélos pliants de la planète.

Tout comme les bars, les restaurants sont légion à La Nouvelle-Orléans, offrant autant d’emplois à qui ne craint pas le stress de la cuisine, de la plonge ou du service et -surtout !- n’a pas de grandes prétentions salariales.
Ces établissements apparaissent et disparaissent tout aussi soudainement selon les modes et l’air du temps. Quant à leur qualité, elle est inversement proportionnelle à leur nombre.

Alors qu’ils viennent de se faire virer pour avoir consommé de l’alcool sur leur lieu de travail, Rickey et G-man ont décidé de fêter l’événement en éclusant une pleine thermos de vodka et en fumant de la beuh dans un parc de la ville.
L’un comme l’autre ont la cuisine dans la peau, mais lassés de bosser pour des salaires de misère dans des bouibouis à touristes, ils rêvent de vivre de leur passion et de monter un jour leur propre affaire.
Des brumes éthyliques, surgit soudain le concept du siècle : ouvrir un restaurant dont tous les plats seraient agrémentés d’alcool, entrées, plats et desserts. Dans la ville où l’alcool est roi, c’est le pactole assuré.
Une fois dégrisés, les deux amis/amants redescendent sur terre. Si l’idée reste séduisante, la concrétiser sera plus facile à dire qu’à faire, aucun des deux ne possédant les fonds nécessaires, ni les relations susceptibles de leur apporter le coup de pouce indispensable.

Néanmoins, leur idée poursuit son chemin et parvient jusqu’aux oreilles de la star locale des fourneaux, Lenny Duveteaux, restaurateur renommé et animateur d’une émission télévisée. Celui-ci propose à Rickey et G-man de financer leur projet et de les aider à ouvrir Alcool.

Dès lors, obstacles, imprévus, contretemps et rebondissements inattendus joncheront le parcours qui mènera les deux hommes jusqu’au jour de l’inauguration.

Les avis emballés de plusieurs d’entre-vous auront eu raison de mes dernières résistances à me replonger dans l’univers de Poppy Z. Brite dont je n’avais lu jusqu’ici que Le corps exquis, roman qui a marqué au fer rouge ma mémoire de lecteur. Et le souvenir prégnant de cette lecture a quelque peu parasité mon entrée dans l’univers d’Alcool, qui est loin des ambiances qui ont fait la réputation de l’auteur.

Si bien que, dans la première centaine de pages, j’ai progressé à tâtons, ne sachant pas trop où Brite voulait en venir et où elle comptait m’amener, redoutant –et attendant- un brusque coup de théâtre qui tardait à venir. Et qui n’est jamais venu, d’ailleurs. Car Alcool est un polar Canada Dry, un roman à suspens sans véritable suspens, ni réelle intrigue, au demeurant.

Une fois remisées mes vaines expectations, je me suis laissé promener avec plaisir dans le monde des cuisines et des arrière-cuisines. D’autant que, fidèle à sa réputation d’écrivain subversif, Poppy Z. Brite présente un visage de La Nouvelle-Orléans qui tranche avec la vision de carte postale associée à son fameux Mardi Gras. La cuisine locale, qui n’a rien de gastronomique, celle-là, a des arrière-goûts de racisme, de violence, de malversation, de corruption… Et des coups de feu, il n’y en a pas que dans les cuisines !

Ses personnages, drogués, alcooliques, hommes de main borderline, gangsters à la petite semaine, politiciens véreux, sont tous en marge de la “norme”.
De tous, le duo de chefs, Rickey et G-man, sort du lot. Les deux hommes, issus des quartiers pauvres de la ville, sont inséparables depuis leur enfance. Le lien qui les unit est si fort, si naturel, que leur homosexualité va de soi, et ne nécessite pas que l’on s’y attarde. J’ai particulièrement apprécié cette approche de leur relation, qui considère leur orientation sexuelle aussi peu notable que s’ils avaient été végétariens ou fans de foot.
Brite réussit également à apporter un peu de complexité au personnage de Lenny Duveteaux qui apparaît au premier abord comme un parvenu primaire mais qui dévoilera d’autres aspects de sa personnalité au fil de l’histoire. On doute souvent de la sincérité des intentions de cet homme qui ne s’embarrasse pas de scrupules pour éliminer les obstacles barrant sa route, parfois à la limite de l’illégalité.
En revanche, j’ai trouvé caricatural Mike Mouton, l’ex-patron cocaïnomane de G-man, qui nourrit à son encontre rancœurs et amertume. Puisqu’il m’attend dans ma PAL, je verrai si ce défaut sera gommé dans La belle rouge, deuxième partie du triptyque auquel appartient Alcool.

Mais sans conteste, la grande réussite d’Alcool est la retranscription réaliste du monde de la cuisine et de la gastronomie, l’ambiance et la vie des cuisines. Chaque évocation de plats fait surgir arômes et saveurs.
Je mets d’ailleurs au défi quiconque aura lu ce livre de ne pas avoir envie de se retrouver aux fourneaux, ne serait-ce que pour essayer de réaliser les recettes citées dans le roman. En ce qui me concerne, j’envisage sérieusement de tester le pouvoir thérapeutique de la confection d’allumettes au fromage sur les coups de blues.

L’occasion de ce billet est trop belle pour vous rappeler le challenge A lire et à manger, créée par Chiffonnette. Toutes les infos sont récapitulées sur ce billet.

Ce qu’ils en ont pensé :

Amanda : « Il y a de la coke, il y a du whisky consommé sans modération, c’est sûr. Il y a aussi tout plein de jolies petites choses qui clignotent dans ce roman. Des roulés de prosciutto aux figues marinés au Calva, des braves gars, des litres d’alcool versés ou avalés, quelques pincées de tendresse qui pourraient tourner à la sauce sentimentheàl’eau si le roman ne titillait vos papilles et ne pétillait comme des bulles de champagne bien frais ! A consommer sans modération, pour le plaisir, donc. »

Anne-Sophie : « Alcool de Poppy Z. Brite est un roman qui sent la bouffe et le bon vin à plein nez. Les descriptions des mets succulents agrémentés de différents spiritueux donnent l’eau à la bouche. »

Brize : « Au final, on aura vécu quelques mois à forte teneur gastronomique en compagnie de deux jeunes hommes volontaires et passionnés par leur art, qui se connaissent très bien l’un l’autre, et dont les caractères, complémentaires, sont finement brossés par l’auteur. Une sympathique découverte ! »

Chiffonnette : « Le moins qu’on puisse dire, c’est que Poppy Z. Brite a l’écriture sensuelle ! (…) C’est fin, c’est goûtu, ça s’avale sans faim aucune et avec un plaisir certain ! »

Cuné : « C’est un roman qui donne une furieuse envie d’aller au restaurant, qui ouvre une porte hyper tentatrice sur le monde de la cuisine. »

Daniel Fattore : « Voilà donc le portrait d’une certaine Amérique qui, par-delà les images puritaines, sait s’éclater avec outrance, que ce soit avec des moyens légaux (l’alcool, apanage des “gentils” du récit) ou moins légaux (la cocaïne, dada de Mike Mouton). »

Emma : « Tout l’intérêt d’Alcool réside dans l’évocation des goûts et des saveurs, les associations inédites entre nourriture et alcool, l’ambiance surchauffée des cuisines, les rivalités entre chefs. »

Kathel : « J’ai passé un très bon moment au sein des cuisines et des bars de La Nouvelle-Orléans : les plats y semblent délicieux, les alcools forts, et le langage des cuisines est particulièrement fleuri et plein d’humour. On s’attache à ce couple de cuisiniers fauchés qui devront faire quelques compromis pour réussir à ouvrir le restaurant de leurs rêves. »

Papillon : « Si l’intrigue est assez mince et cousue de fil blanc, tout le charme de ce roman repose sur le milieu dans lequel il se déroule et sur la personnalité de ses deux héros. (…) Mais ce qui est vraiment agréable dans ce roman, pour peu que l’on soit un peu gourmand, c’est d’y assister à une véritable leçon de cuisine et de tourner les pages en se léchant les babines. »

Alcool, de Poppy Z. Brite
(Liquor) – Traduction de l’anglais (États-Unis) : Morgane Saysana
Au Diable Vauvert (2008) – 459 pages