Le-photographeJe ne vous en ai pas encore parlé : je suis allé récemment en Afghanistan accompagner une mission humanitaire. Au départ de Peshawar, il nous a fallu traverser des zones montagneuses à pied, franchir la frontière de nuit sous la protection de nos passeurs.
Une fois sur place, notre hôpital de campagne installé, j’ai vu défiler les populations afghanes des villages alentours, victimes des combats incessants. Et malgré des problèmes de communication, aucun de nous ne parlant la langue de l’autre, eux et moi avons partagé des moments d’une richesse sans pareil sur le plan humain.
J’ai connu la fierté, l’hospitalité, la générosité, l’endurance et la reconnaissance de ce peuple afghan.
Ce qui aura été une véritable expédition restera pour moi une expérience inoubliable.

Fini les contraintes liées aux déplacements en taxi ou à pied, votre vélo pliable étant opérationnel en quelques secondes.

Une expérience inoubliable que j’ai vécue le temps d’un après-midi, avec les trois tomes du Photographe de Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier, bien calé dans mon canapé.
Mais je vous assure que ce n’était pas Didier Lefèvre mais bien moi qui suis parti là-bas en 1986, en plein conflit afghano-soviétique. Habile mélange de dessins et de photographies noir et blanc (et même vidéo), le récit du Photographe vous happe pour monter en puissance et en émotion au fil des trois volumes. En l’espace de quelques cases, on se retrouve plongé au cœur de cette expédition humanitaire, sur les pas (pour ne pas dire dans les chaussures) du narrateur.

En 1986 donc, Didier Lefèvre, photographe, part avec Médecins Sans Frontières avec pour mission d’illustrer leur action en Afghanistan. Près de vingt ans plus tard, il décide d’évoquer son voyage. Les dessins de son ami Emmanuel Guibert (mis en couleur par Frédéric Lemercier) raconteront tous ces moments que ses photos n’ont pas immortalisés. Parfois même, ils viendront en redondance souligner un événement particulièrement marquant d’une épopée afghane résolument placée sous le signe de l’humanisme. Jamais on ne verra le conflit armé lui-même ; toute l’attention de Lefèvre est dévolue aux populations civiles, premières victimes de la guerre avec les soviétiques.
Le récit, de par le temps écoulé et sa “reconstitution”, va donc subir quelques petits arrangements avec la réalité, mais n’en reste pas moins un document unique

Chaque volume du triptyque représente trois étapes bien marquées de l’expédition de Didier Lefèvre. Le premier tome se concentre sur la préparation de la mission et sur l’expédition depuis Peshawar jusqu’en Afghanistan, la traversée des frontières de nuit pour échapper aux russes, en compagnie de leurs passeurs, des moudjahiddines afghans qui transportent des armes pour ravitailler la résistance dans les montagnes. Ce qui se révèlera bien plus épuisant que Lefèvre ne l’avait imaginé. Toutefois, toujours à l’affût de “LA photo”, il ne cesse de mitrailler les paysages somptueux qu’il traverse et les paysans qu’il croise. Sa fougue de jeune chien fou, qui tranche avec la réserve des membres de la mission plus aguerris que lui, donne lieu à quelques scènes cocasses.

L’installation de la mission et le fonctionnement de l’hôpital de campagne occupe tout le tome 2. A l’enthousiasme des premiers temps fait place la fatigue, le découragement. Les conditions de vie, le défilé des blessés à l’hôpital sont éprouvants. A tel point que Lefèvre arrête de prendre des photos. Le cas d’une jeune adolescente blessée va lui remettre le pied à l’étrier, il va donc continuer à photographier pour témoigner.

La vie avec la mission pèse à Didier Lefèvre qui décide, dans une sorte d’inconscience, de rentrer à Peshawar plus tôt que prévu, et donc en solitaire. Dans le troisième tome, qui est certainement le plus intimiste, l’aventure humaniste devient aventure intérieure. Malgré les recommandations des membres de la mission, sa méconnaissance évidente de la langue et des usages locaux, Lefèvre quitte la mission pour refaire le chemin à l’envers jusqu’au Pakistan. Après plusieurs altercations, ses guides (qui n’en étaient pas vraiment mais qui au moins faisaient office d’interprètes) l’abandonnent. Résolu à rentrer à Paris coûte que coûte, le photographe poursuit son voyage. Perdu, il se retrouve en haut d’un col pris dans une tempête de neige. A bout de forces, il prend ce qu’il croit être sa dernière photo, témoignage du lieu où il se trouvait sa dernière heure venue.

De cette épopée, Didier Lefèvre va garder de graves séquelles physiques : il souffrira d’une furonculose chronique pendant un an et perdra quatorze dents. Et tout ça pour voir la publication dans Libération de six de ses 4000 clichés ! Une « apothéose professionnelle », comme il le dit ironiquement.

Le dernier tome contient un DVD de 40 minutes d’images filmées par Juliette Fournot, la responsable de la mission, qui replacent le récit de plain-pied dans la réalité crue du conflit armé.
On trouve également les biographies des différents protagonistes de cette aventure, la plupart ayant coupé les ponts avec cette vie de baroudeurs. La notule sur Didier Lefèvre, écrite en 2006, ne dit rien sur son décès en 2007 d’une crise cardiaque à l’âge de 50 ans, deux jours après avoir reçu le Prix Essentiel du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême des mains de Lewis Trondheim.
Mieux qu’aucun discours, le site que Dupuis a dédié au Photographe.

Ce qu’ils en ont pensé :

« Les dessins plutôt naïfs juxtaposés aux photos en noir en blanc donnent un éclat et une vérité à cet ouvrage qui émeut profondément. Vraiment une bande dessinée magnifique à conseiller aux amateurs de BD mais aussi de récits de voyage ! » Cathe (aussi ici et )
« Vraiment une BD originale et très humaniste, à découvrir en trois tomes. » Sylvie
« Une BD originale, poignante et tout simplement géniale. Pour les amoureux du photoreportage, à lire ABSOLUMENT. » Laurent
« Ces trois volumes sont encore une fois l’illustration que la BD ne se limite vraiment pas à Astérix ou Tintin. » Hervé

Le Photographe, de Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier
Éditions Dupuis (collection Aire libre)
Tome 1 (2003), 80 pages – Tome 2 (2004), 80 pages – Tome 3 (2006), 104 pages