shaun-tan-la-peresEn pleine nuit, avec pour seul bagage sa modeste valise dans laquelle il a pris soin de glisser la photographie de sa famille, un homme arrive à la gare. Il abandonne sa femme et sa fille sur le quai et monte seul dans le train.
Pour quelles raisons les quitte-t-il ? Part-il définitivement ? Où va-t-il ? Après son voyage en train, il embarque sur un énorme paquebot, en compagnie de centaines d’autres, comme lui, et arrive enfin à destination, dans ce pays inconnu où il vient “en éclaireur” trouver une vie meilleure et libre.
Mais son voyage loin de s’achever ne fait que commencer : il va devoir s’acclimater à ce nouveau monde, comprendre les rouages de cette société qu’il ne connaît pas, en apprendre la langue et les usages pour pouvoir se bâtir une vie nouvelle. Dans cette ville impressionnante, il va rencontrer d’autres migrants comme lui, qui l’aideront et lui conteront leurs parcours.

Les vélos pliants de la gamme Montague ne concèdent aucun sacrifice à la dimension des roues.

Histoire sans paroles. La langue universelle existe. Shaun Tan l’a trouvée : le dessin, plus fort que l’Esperanto ou l’Anglais. Là où vont nos pères en est une parfaite démonstration qui finira de convaincre les plus incrédules.
Véritable OGNI (objet graphique non identifié), ce livre n’est pas tout à fait une bande dessinée, car il n’y a aucun texte, ni phylactère (ce n’est pas une maladie honteuse, mais le nom “savant” désignant une bulle de texte, ça en jette hein ?) mais bien plus qu’un simple recueil d’illustrations, car Shaun Tan fait preuve d’une puissance narrative et d’une maîtrise du découpage exceptionnelles.

En réussissant à nous mettre dans la peau d’un migrant et à nous faire ressentir cette condition si particulière, Tan réalise un vrai coup de force. Comme le héros de son récit initiatique, il nous plonge dans un univers onirique, à la lisière du rêve et du cauchemar, où l’introduction du fantastique ne fait que souligner sa difficulté d’appréhender ce monde étrange, si proche et pourtant si différent de celui qu’il vient de quitter. Comme le héros, nous sommes éberlués par ce que nous voyons, déconcertés par chaque nouveau détail du quotidien devenu obstacle à surmonter, désespérés et abattus par notre difficulté à communiquer et à nous faire comprendre. On se retrouve déraciné, perdu au milieu d’un monde qui n’est pas sans rappeler Les temps modernes de Chaplin, Metropolis de Fritz Lang ou l’univers de Salvador Dali.

Toute l’émotion de Là où vont nos pères passe donc par le dessin, rien que le dessin. Un dessin réaliste, d’une grande douceur, triste même par moments, uniquement décliné dans les tons sépia, noir et blanc, comme les vieux albums photos de famille. Pour le rendre encore plus efficace, Shaun Tan a pris soin de rendre son récit universel et intemporel : les vêtements ne sont pas datés, les visages ne sont ni tout à fait caucasiens ni tout à fait asiatiques, les villes sont trop oniriques pour ressembler à des lieux existants (même si l’arrivée du paquebot rappelle fort New York et Ellis Island), l’alphabet utilisé dans ce nouveau monde est constitué de symboles graphiques bizarres…

Là où vont nos pères est un ouvrage d’une grande beauté formelle où se succèdent des illustrations pleine page, voire double page, et des planches découpées d’une multitude de vignettes. Il est vivement conseillé de prendre le temps d’observer, de détailler chaque illustration. Cet album a demandé quatre années de travail à Shaun Tan qui s’est notamment inspiré du récit de son père, qui a quitté la Malaisie en 1960 pour rejoindre l’Australie. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il a pris le parti d’une vision idéalisée de l’immigration.
Parallèlement au livre, une pièce de théâtre a été créée : The Arrival (titre original de l’album, plus fidèle à l’esprit du récit à mon avis).

Le site officiel de Shaun Tan
Les avis de Menear, qui m’a donné envie de découvrir ce livre, et de Chiffonette.

Là où vont nos pères, de Shaun Tan
Dargaud – 128 pages