trede-vie-petrifieeDès qu’elle est entrée dans son restaurant ce soir-là, Xavier l’a reconnue. « (…) j’avais reconnu la fille. Je la connaissais depuis longtemps. C’était la fille que j’attendais depuis toujours, dont je rêvais toutes les nuits et que je désirais si ardemment rencontrer. Je savais bien qu’elle existait et qu’elle vivait quelque part. Et maintenant elle était là, si proche, si réelle, à quelques pas de moi, mais… oh, c’était injuste. J’avais rêvé d’elle depuis toujours. C’était injuste. »
Injuste parce que la jeune femme est accompagnée du jeune homme qu’elle aime. Injuste parce que Xavier, qui vit avec sa mère malade, clouée au lit, crève de solitude. « Il y a de la violence dans l’absence. Et des cris dans le silence. Une violence qu’on ne peut pas fuir et des cris qu’on ne peut pas comprendre. Quelle tristesse, quel découragement dans un geste fait pour la dernière fois. Depuis ce moment-là, je sais que la solitude, cette solitude qui s’est imposée, qui ne laisse aucune chance de lui échapper, est le pire des maux. Et pourtant, même si la solitude est définitive, on ne peut pas rester en place, on ne peut pas attendre, il faut bouger avant qu’elle ne nous tue. Elle fait naître une agitation immaîtrisable, un besoin impératif de fuir, de chercher un autre, un mot, un geste humain, aussi infime soit-il. »

Le vélo pliant Mobiky Solexmini est une édition limitée de la célèbre marque de vélos pliants.

Dès lors, Xavier n’aura d’autre objectif que d’entrer dans la vie de la jeune fille. Coup de foudre sincère ou fixation obsessionnelle ? Le lecteur est en droit de se poser la question tant la personnalité de Xavier se révèle inquiétante.
Introverti, inadapté au quotidien, handicapé dans ses rapports avec autrui, Xavier est souvent en total décalage avec le réel. « …tout m’échappe. Tout me dépasse. Je ne suis pas fait pour la vie. Il y a une triste distance entre moi et tout. Je ne peux pas me faire comprendre. Et personne ne me comprend. Les choses s’en vont en ma présence. Elles se dissimulent au moment où je m’approche. Les gens ont peur de moi. Ils reculent quand je leur parle. Et je ne les comprends pas… »
Plus inquiétant encore, sa personnalité semble scindée en deux, limite schizophrène. « Ma vie est coupée en deux et mes aspirations et la réalité sont coupées en deux également. Je ne connais plus rien d’entier, rien qui ne serait pas coupé en deux. J’ai deux vies. Je n’ai pas de vie. Que des morceaux, que des restes. Tout est déchiré. La justice et l’humanité sont coupées en deux. Je suis devenu indifférent aux pires choses par habitude. Je suis malade. Je souffre de cette maladie qui s’appelle absence d’harmonie. »

Symbole de ce dédoublement, la ville où vit Xavier est constituée de deux îles (si on pense d’emblée à Paris, il peut tout aussi bien s’agir de Budapest). Sur l’une il est médecin de police le jour ; sur l’autre, il est restaurateur le soir. Deux univers distincts, l’un, aseptisé, aux lumières froides ; l’autre, plus cosy, baignant dans les lueurs chaudes des bougies. Chaque jour, il effectue le même rituel, passant immuablement de l’un à l’autre en franchissant le pont qui surplombe le fleuve. « L’autre île se situe à proximité de la nôtre, il n’y a qu’un pont qui les sépare l’une de l’autre. Depuis, je suis médecin sur l’autre île. Depuis, j’ai deux métiers et deux vies, chacune des deux unies seulement par le pont entre elles. »
Torturé, ambivalent, paradoxal, inquiétant, mais finalement tellement humain, Xavier est un fou ordinaire qui n’a au fond qu’un seul désir : vivre, tout simplement. Maladroitement souvent, sincèrement toujours, il cherche à sortir de cette solitude qu’il subit et qu’il entretient tout à la fois. « Je me suis retrouvé seul dans la rue le bruit de la porte encore retentissant dans mes oreilles me rappelait une autre porte : celle de l’écluse. Celle qui se fermait derrière le bateau, pour l’aider. Pour l’aider à monter dans la cage des murs, à continuer sa course contre le courant. Je me suis rendu compte que je n’avais jamais appliqué cette règle. Que je n’avais jamais fermé les portes qu’il fallait. Qu’au contraire, je me laissais faire.

Je voulais mettre un terme à tout cela.
Dans le taxi, j’ai encore pensé au gardien. Il aurait pu être un ami. S’il n’y avait eu cette chose chez lui qui me déplaisait : il était un spécialiste de la mort. Je ne voulais pas être l’ami d’un spécialiste de la mort.

Je voulais une vie. »

La vie pétrifiée, titre qui renvoie à l’existence de Xavier mais aussi à la vague de froid qui va paralyser la ville, est un roman à l’atmosphère oppressante, voire menaçante. Oscillant constamment entre onirisme et fantastique, le lecteur se débat dans un monde ambigu où, à l’instar de la vie de Xavier, les repères sont flous. On évolue sur le fil du rasoir, conscient que la situation peut basculer à tout moment. Si j’ai envisagé un moment que Xavier puisse entretenir avec sa mère des relations à la Norman Bates, j’ai également ressenti une forte empathie à son encontre lors de la scène du karaoké.
Enfin, je ne peux terminer sans souligner la sobriété de l’écriture de Nils Trede, auteur né en Allemagne qui écrit en français, et de sa musicalité, signe d’une plume originale, qui persiste bien après le livre refermé.
Je vous invite d’ailleurs à goûter à cette petite musique avec les premières pages de La vie pétrifiée ou avec ce texte inédit consultable sur le site personnel de l’auteur.

Ce qu’ils en ont pensé :

« On entre dans ce livre, comme on sombre dans un rêve noir et cristallin tout à la fois. » Lily
« Au-delà des singularités de l’intrigue, l’auteur parle de la solitude et des frustrations qu’elle entraîne avec une sensibilité et une acuité remarquables (sans oublier les tentations factices qui s’offrent aux solitaires, auxquelles le personnage refuse de céder, par crainte de perdre son intégrité). » Blandine Longre
« C’est en pensant à Meursault que j’ai lu La Vie pétrifiée de Nils Trede. (…) Peut-être suis-je la seule à y voir une parenté en tout cas, la façon dont son narrateur, Xavier, perçoit son univers entre en écho avec celle de Meursault. » Anne-Sophie
« C’est un premier roman subtilement étrange et attachant, à l’image de Xavier, dont le rythme et le style, lancinants comme une mélopée, hantent le lecteur même quand il l’a refermé. » Fashion
« Austère et silencieux, ce roman s’impose à nous en nous rappelant l’ambiance implacable d’un Pascal Garnier, sans aucune ironie, l’humour à plat, bien au ras des pâquerettes. » Clarabel

La vie pétrifiée, de Nils Trede
Quidam Éditeur, collection Made in Europe – 138 pages.