cherfi-trempeD’ici ou de là-bas ? Français ou Arabe ? Français il se sent, Français il est, et pourtant, depuis son enfance, tout ramène Magyd Cherfi, membre et parolier du groupe Zebda, à son arabité.
Tendres, rageuses ou douces-amères, les huit nouvelles autobiographiques de La trempe sont avant tout politiques. Toutes parlent de la difficulté de sortir de sa condition pour s’intégrer dans une société qui peine à accepter en son sein ses immigrés, familles souvent nombreuses «Le nombre… ce boulet. Et comble de l’infamie, dans la maison il n’y avait pas d’endroit propice aux confidences. L’idée d’une confidence n’interpellait personne. Le meilleur ami c’était encore soi-même», et souvent démunies «Ici nulle crainte d’être dépouillé à moins que la semoule n’entrât au CAC 40 par je ne sais quelle inflammation du coût de la farine. Dans ces maisons, que du lourd, de l’huile d’olive, des pommes de terre et des caisses pleines d’oignons. Le braquage culinaire n’était pas en vue.»

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A travers ses souvenirs d’enfance, il dit la difficulté de grandir sous le poids de l’amour excessif d’une mère dont la seule ambition est que ses enfants s’en sortent mieux qu’elle. «De l’amour, de l’amour sous forme de baisers ou de claques… des claques, oui, à mobiliser la protection de l’enfance, mais toujours dans le souci de nous préserver des hyènes alentour. On l’a crainte jusqu’à l’âge des poils. Non, on la craint toujours en vérité. D’une véritable crainte, comme devant les vieux fauves : ils sont vieux, mais ils restent des fauves.»ou encore «Elle s’en foutait : sa beauté, c’était nous. Elle n’existait plus depuis nous. Elle disait : – Moi, j’existe pas, c’est vous mes dieux ! Aussitôt, elle demandait pardon au ciel. Je me rappelle que très vite ces mots ont pesé, et pour toute la vie, un âne mort. Je sentais la charge qui à terme allait me broyer.» et «C’est bien ce qui nous déchire le cœur, ce sentiment d’avoir été aimés au-dessus de ce qui aurait suffi.»
Il dit comment l’intrusion d’un simple bleu de travail dans le foyer familial a détruit les rêves de cette mère (Le bleu de travail). «En voyant pleurer ma mère ce jour-là, j’ai cessé d’être un enfant. (…) Elle voulait qu’on apprenne, elle n’avait jamais été à l’école ; elle voulait qu’on compte, elle ne connaissait pas les chiffres ; qu’on lise, elle ne savait pas lire ; elle voulait qu’on s’exprime, elle ne parlait pas français. Elle n’avait que son cœur et son ventre à offrir, et ses deux mains pour étrangler les hommes et les animaux qui entravaient notre ascension. Dans son amour, elle a empêché la corne de se former dans la paume de nos mains, mais en tombant la blessure s’est faite plus profonde. Quand son amour s’est tu, je me suis retrouvé tout nu dans la neige.»

A l’occasion de l’évocation de la mort de son père, il revient sur la difficulté de dire ses sentiments quand sa culture exige d’un homme qu’il taise ses émotions (Le baiser). «Tout était interdit qui dévoilait des émotions. Avoir peur, avoir froid, avoir faim. Alors on simulait et c’est souvent qu’un sourire traduisait le plus gros chagrin. – Pourquoi tu ris ? – J’ai mal !» Ou encore : «Dans cette salle d’attente on ressemble à des immigrés, on se sent presque de passage, et pourtant. J’aurais aimé me sentir plus chez moi et offrir à mon père un peu de chez lui avant qu’il ne s’en aille. Je pèse tout le poids de notre étrangeté. J’aurais tellement aimé un service de la consolation, des psychothérapeutes bilingues pour ma mère, des assistantes en chagrin oriental, des pleureuses qui nous auraient débordés à l’endroit du cœur, un curé même, un imam, un rabbin qu’importe, pourvu qu’on ait moins mal, des porteuses de seaux pour toute l’eau du chagrin. Je me serais servi comme au marché des larmes.»
Cette même difficulté à s’ouvrir pèse parfois au sein de son couple (La crise) «Elle venait de me dire : “Bonne nuit” comme on dit “Bon appétit”. J’aime pas cette formule, “bon appétit”, elle n’a rien de spontané, c’est le réflexe de ceux qui se veulent sociables. C’est comme “bon vent”, “bonne soirée”, “bon réveillon”, on est en droit dans ces moments-là de penser qu’on vous souhaite le contraire, ou pire qu’on fait preuve à votre égard d’une indifférence parfaite. Non ! Je préfère un regard, un sourire ou le silence qui vous laisse en apprécier la teneur.»

Magyd Cherfi raconte comment il a appris à s’endurcir auprès des gamins de sa bande débordants d’imagination pour faire la pire connerie (Pas en vivant avec son chien). «Maman n’aimait pas les chiens, sœur Marie-Madeleine aimait son chien. Elles aimaient les enfants. Maman beaucoup les siens, sœur Marie-Madeleine tous les siens. L’une en avait le ventre plein toute l’année et l’autre l’a gardé vide toujours. Maman donnait au monde de la vie à tout va, sœur Marie-Madeleine donnait à la vie tout son sens. L’une enfantait, l’autre savait, les deux m’allaient. Tout les réunissait, la propreté, la politesse, la parole du ciel, et peut-être un peu moi. Tout ! Sauf un chien car sœur Marie-Madeleine avait un chien,un petit chien amorphe et sans race…»
C’est toujours en compagnie de ses copains qu’il va connaître, grâce à la jolie Juliette, ses premiers émois sensuels, lui le garçon élevé parmi les femmes (Jour de fête).
Les deux textes qui ouvrent et ferment ce recueil sont ouvertement engagés. Le premier qui donne son nom au recueil évoque le lynchage dont a été victime le groupe Zebda en tournée dans une cité (La trempe). Dans ce texte, avec pudeur, Magyd Cherfi met à mal la croyance qui voudrait qu’un groupe de musiciens ne soit qu’une seule et même entité. Lui sait et ressent qu’il est composé d’une somme d’individualités. «Tu ne dis rien Joël, tu ne dis rien mais ton silence parle, on n’est pas dupes. On le sait bien que tu n’es ni heureux ni malheureux, t’es en stand-by mon frère, seul dans un ascenseur bloqué. T’appelles pas au secours, tu veux pas qu’on prenne ta peine en flagrant délit. Tu veux pas qu’on te sauve. Tu veux régler toi-même ton problème d’ascenseur et comme on est tous comme toi, coincés chacun à son étage, on n’entend plus que l’écho des ego.» Enfin, dans le dernier texte, De l’identité nationale et quelques beurs de droite, il crie sa colère et n’hésite pas à dire tout haut ce qu’il pense des “Arabes de service” et à y interpeller Azouz Begag et Rachida Dati.

Plus que jamais “motivé”. Lumineuses et pleines d’émotion, les chroniques de Magyd Cherfi dévoilent un homme d’une grande sensibilité qui pose un regard lucide mais sans jugement sur les problèmes d’insertion en France. Pas besoin d’être issu de l’immigration pour que certains passages aient une résonance chez le lecteur.
Cherfi laisse aussi cours à sa rage dans de vrais coups de gueule. D’ailleurs, même si je partage ses opinions, le dernier texte, plus directement engagé et revendicatif, est celui qui m’a le moins plu. Pour moi, de tels textes n’offrent pas grand intérêt dans ce sens qu’ils ne font que prêcher pour des convaincus et confortent les autres dans leurs certitudes. Ce sera mon seul (petit) bémol. La nouvelle Pas en vivant avec son chien valant à elle seule qu’on se jette sans attendre sur ce livre.

La trempe a reçu le Prix Marguerite Audoux 2007.
Le site MySpace de Magyd Cherfi.

La Trempe, de Magyd Cherfi
Actes Sud – 160 pages