J’ai toujours aimé la variétoche, ces rengaines sans prétention, aux paroles souvent indigentes, dont la mélodie vous trotte dans la tête presque malgré vous, dès la seconde écoute.
Je les aime ces chansons qui ont fait les grandes heures de la télé, de Guy Lux aux Carpentier, je n’ai jamais eu honte de l’avouer.
Et pourtant, à l’air stupéfait, voire incrédule, des mes copains de lycée, je sais que mon image en est rarement ressortie grandie quand je leur avouais ne rien connaître de Led Zep ou des Who qu’ils piquaient à leurs grands frères, alors que moi, j’écoutais plutôt en boucle le dernier tube d’ABBA ou de Balavoine, le soir, dans ma chambre.
Je les aime ces chansons de variété, car même si ce ne sont pas toujours celles que l’on préfère, elles jalonnent notre existence.
Karsten bricole son prototype et arrive à la conclusion que son vélo ferait un modèle pliable intéressant. Très vite, il trouve un mode de pliage hyper compact.
Avec ce livre, je me suis aperçu que finalement, notre mémoire personnelle n’est jamais très différente de la mémoire collective. Dans Juke-box, Yoann, le narrateur à l’aube de son quarantième anniversaire, fait défiler la bande originale de sa vie.
De Let the sunshine in, de Hair à Respire, de Mickey 3D, en passant par Voyage, voyage ou Freed from desire, passent en revue trois décennies de tubes, dont la légèreté contraste avec ces grands moments qui ont marqué sa vie.
On se régale de ses souvenirs d’enfance : les dimanches chez les grands-parents, les crises de couple des parents, la première boum, les corres’, les cours d’anglais (« Where is Richard ? Hizinizbedroum », Jean-Philippe Blondel et moi avons du avoir la même prof d’Anglais !)…
On rit souvent, et pour peu qu’on appartienne à cette génération, on a un petit pincement au cœur au souvenir ému des R16, des débuts de la mixité à l’école, des papiers peints psychédéliques, de Jean-Loup Laffon, du concours Miss Podium, des croissants Danerolle, des mobylettes 103 Peugeot…
Puis, le ton devient plus grave. Finie l’insouciance. Au hit-parade de l’existence, Cruel Summer détrône Y’a d’la joie. La vie n’est plus un long sillon tranquille, le disque se met à craquer, le saphir saute, rendant parfois inaudible la petite musique de la vie. Vient le temps de l’adolescence troublée. Le jeune homme se cherche. « Est-il possible de changer à nouveau de chemin et de se résoudre à l’adulte ? »
A deux doigts de se perdre dans une relation difficile à trois, Yoann décide de fuir. A l’autre bout du monde une chanson décidera de son retour en France. Puis, le saphir retrouve le chemin tout tracé de son sillon, Yoann devient mari, père de famille…
Confidence pour confidence. Et si finalement toute notre vie tenait dans un juke-box ? Un juke-box dont chaque ritournelle, petite madeleine musicale, aurait le pouvoir magique de faire revivre le passé.
Une chose est sûre, avec son style tout en simplicité et limpidité, Jean-Philippe Blondel a ce pouvoir. A partir du cas personnel de Yoann, il touche à l’universel en renvoyant le lecteur à ses propres souvenirs. Il vise tellement juste à chaque fois qu’on ne peut s’empêcher de déceler dans ce roman des accents d’autobiographie. On a tous en nous quelque chose Jean-Philippe Blondel.
Extrait : « Alors, pour éviter les questions et détourner la vague d’émotion, je dresse des listes négatives. C’est mon passe-temps favori. Des listes de ce que je ne veux pas, plus tard.
Je ne veux pas de pavillon Phénix.
Je ne veux pas de Tupperware ni de gâteaux faits dans les Tupperware.
Je ne veux pas de tapis achetés en solde chez Mondial Moquette avec cette ristourne pour le personnel hospitalier que l’on n’accorde jamais.
Je ne veux pas me marier et marcher dans l’Amour sur la voie des Cieux.
Je ne veux pas me coucher à huit heures du soir juste après « Des chiffres et des lettres ».
Je ne veux pas passer mes soirées devant la télévision à regarder les autres vivre.
Je ne veux pas d’enfants, ou alors seulement adoptés lorsque j’aurai soixante ans et que j’aurai à cœur de rendre heureux les plus démunis, ce qui veut dire : pas tout de suite.
Je ne veux pas passer ma vie au boulot et ne rentrer que le week-end dans une maison où tout le monde me déteste cordialement et se dit « ah – dommage » quand je tourne la clé dans la serrure.»
Eux aussi ont été séduits par la petite musique de Jean-Philippe Blondel :
Sophie, Florinette, Papillon, Cuné, Brice Depasse et Clarabel.
Juke-box, de Jean-Philippe Blondel
Pocket – 211 pages