– Ça a déjà commencé ?
– À 7h et demie, Michel. Ça commence à 7h et demie.

Zidrou-Roger-Pendant-que-le-roi-de-Prusse-faisait-la-guerre-qui-lui-reprisait-ses-chaussettes Tous les jours, plusieurs heures avant l’heure fatidique, Michel, affectueusement rebaptisé Michelou par sa maman Catherine, s’inquiète de savoir si son dessin animé a commencé. Inlassablement, elle lui répond, soucieuse de calmer ses angoisses.

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Hippie Papy est une des passions de Michel ; il n’en rate aucun épisode à la télé et arbore fièrement le héros sur son T-shirt fétiche. Il aime aussi beaucoup le chocolat et les parties de Puissance 4 qu’il remporte à tous les coups… en feignant d’ignorer la règle de base qui veut qu’on ne joue qu’un jeton à la fois.
Sans oublier Les jumelles perverses, le porno dont il ne se lasse jamais et que sa mère rapporte pour lui du vidéoclub.

– 13 fois que vous l’avez déjà loué ! Vous feriez mieux de le lui acheter.
– Surtout pas ! Je tiens à contrôler ses fréquentations !…

C’est que Michelou est un grand bonhomme… de 43 ans.
Lorsqu’il avait une vingtaine d’années, un accident de voiture a fait de lui un enfant prisonnier à jamais du corps massif et pansu de l’adulte qu’il est devenu.
Comme tous les gamins dont il a l’âge mental, il a ses habitudes, ses inquiétudes, ses lubies, ses caprices… et exige une attention de tous les instants.
Septuagénaire, Catherine Hubeau veille amoureusement sur lui, seule depuis que son mari n’est plus.

Pas facile de traiter le retard mental, sujet casse-gueule s’il en est, où l’on a vite fait de glisser dans le larmoyant, la démagogie et la bien-pensance.
Non seulement, il n’y a rien de tout ça dans Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ?, mais surtout l’auteur, Zidrou, s’est penché sur l’autre face du handicap : les parents accompagnants et la famille, trop souvent oubliés[1].

Au travers d’une série de saynètes, des situations simples de la vie de tous les jours, Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ? raconte sans tabou une relation d’amour et de complicité, où la patience, le dévouement, le sacrifice d’une mère se le disputent à l’abattement, la colère, le découragement.

> – Comment va Michel ?
– Bien. Enfin ! Mieux qu’on ne l’aurait espéré. Il vit sa vie quoi ! Avec ses petites misères et ses grandes joies.
– Et vous, Madame Hubeau ?
– Moi aussi… Je vis sa vie.

Il raconte aussi ces moments où le temps d’avant l’accident refait surface, et dit comment les regrets et les frustrations sont alors plus forts que les petites victoires sur le quotidien.
Mais que faire, sinon continuer. « Que veux-tu qu’on fasse d’autre ? », demande Mme Hubeau à sa fille.

L’auteur ne tait pas non plus les débordements de Michel, ses impressionnantes crises de furie dès qu’un petit quelque chose vient bousculer les rituels qui le rassurent, ou la façon espiègle dont il « joue » de son handicap auprès des adultes pour arriver à ses fins.

– Il a mis deux jetons en même temps ! On ne peut pas mettre deux jetons en même temps !
– Moi, si ! J’ai droit à un handicap ! Hu ! Hu !

Entre Catherine et Michel s’est instauré un état de dépendance mutuelle. Si de facto, le fils est tributaire de sa mère, celle-ci ne sait rester éloignée de lui trop longtemps, préférant écourter quelques jours de repos pourtant bien mérités, trop inquiète pour Michel pour pouvoir pleinement profiter du court répit qui lui est alloué.

À l’âge où les enfants commencent à prendre leurs aînés en charge, Catherine doit prendre son fils et ses problèmes à bras le corps. À plus de 70 ans, elle s’inquiète de savoir qui s’occupera de Michelou quand elle ne sera plus là.
Sa fille l’a déjà prévenue : « J’en ai assez bavé pendant des années pour élever deux enfants toute seule ! Ce n’est pas pour me mettre, maintenant qu’ils sont grands, un frère handicapé sur les bras ! ». Il va donc bien falloir se résigner à envisager un jour de placer Michel en centre d’hébergement pour adultes 24h/24.

Avec une économie de mots, à force de vérités non formulées et d’émotions retenues, Zidrou fait de Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ? un récit subtil et pudique, jamais pesant, s’autorisant même, ici et là, quelques touches d’humour.

– Je revois encore le neurochirurgien prendre sa tête de cocker pour nous annoncer que Michel resterait sans doute un légume toute sa vie !
– Un légume ! Tu parles !! On a hérité de tout le potager, oui !!

Avec des personnages, profondément humains et réalistes, il touche droit au cœur sans tomber dans la surenchère affective.
En renfort aux dialogues de Zidrou, les personnages dessinés par Roger sont extrêmement expressifs (tellement qu’à plusieurs occasions j’ai eu l’impression de regarder un film d’animation plutôt que de lire une BD). La colorisation dans des camaïeux d’ocre, de jaune, de bleu, de vert, de sépia plante délicatement l’atmosphère de chaque scène.

Bouleversant et pétillant à la fois, Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ? déborde d’une humanité qui fait chaud au cœur. Dans une subtile alchimie, Zidrou et Roger transmutent le tragique en une émouvante leçon de vie pleine d’optimisme.

Les premières planches à découvrir chez Dargaud.
Un grand merci au tandem de choc Jéroukette/Noukrôme qui, en me donnant envie de découvrir cet album, contribue à parfaire mon éducation BD.

Ce qu’ils en ont pensé :

Cachou : « Le handicap est un sujet difficile, aussi bien à traiter qu’à lire, et parce qu’on devient facilement larmoyant et moralisateur en écrivant sur ce sujet, et parce qu’on serait presque plus indulgent et moins critique en lisant des récits tournant autour de la chose. Roger et Zidrou ont réussi ici à trouver un ton mélangeant humour et douleur, espoir et mal-être, qui parle sans culpabiliser mais qui touche pourtant. Surtout. »

Choco : « Zidrou et Roger nous offrent ici un magnifique portrait, et je pèse mes mots, d’une mère courage qui fait don de soi, devant laquelle il est impossible de rester indifférent. Le sujet délicat du handicap est ici abordé d’une façon fort différente, en présentant la vie telle qu’elle est sans insister sur les difficultés mais sans les cacher non plus. »

Jérôme : « Et tout ça sans pathos. Sans surjouer. Avec un enchaînement de petites scènes du quotidien où le voyeurisme et le misérabilisme n’ont pas leur place. Toujours cette humanité en marche chez Zidrou, cette façon de vous toucher avec trois fois rien. L’émotion est là, palpable mais jamais envahissante. C’est vraiment fort. »

Le bouquinovore : « Encore une fois, Zidrou nous offre un voyage dans l’intime, sans jamais faire de voyeurisme. »

manU : « Zidrou et Roger nous offrent un magnifique album poignant, plein d’humanité, de tendresse et de sensibilité sur un sujet pas si facile à traiter, un petit bijou sur le dévouement, l’abnégation d’une mère. »

Noukette : « Zidrou est réellement très fort dès qu’il s’agit de capturer sur le vif les émotions, les sentiments. Jamais il n’en fait trop. »

Solenn : « Si le handicap est le sujet principal, il est aussi beaucoup, et surtout, question d’amour maternel (c’est d’ailleurs dans ce sens que je comprends le titre). C’est beau, c’est triste, mais c’est drôle aussi parfois, je vous rassure. »

Et sur Babélio.

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? de Zidrou et Roger
Dargaud (2013) – 56 pages

Notes

[1] Ce n’est pas pour rien que Mme Hubeau se retrouve en 4e de couverture, à l’ombre de Michel qui prend toute la place et attire toute l’attention sur la 1e de couv, mais bien présente à ses côtés dès lors qu’on déploie la couverture.Pendant-que-le-roi-de-prusse-3.jpg