jean-philippe_blondel_06_h_41 Installée dans le premier train du matin au départ de Troyes, celui de 06h41, Cécile Duffaut s’apprête à rentrer chez elle, à Paris.
« J’aime bien les trains. Les heures passées à ne rien faire de particulier. On prépare un sac pour le trajet – pareil que les enfants quand ils sont encore petits. On y fourre deux livres de poche, des chewing-gums, une bouteille d’eau – pour un peu on y mettrait aussi sa couverture fétiche. Tout pour que le temps passe agréablement. En arrivant à la gare, on traîne même du côté des magazines, et on en achète un, de préférence sur les riches et célèbres. C’est comme si on allait à la plage – et, comme à la plage, on n’ouvre ni les romans, ni le magazine, on ne mâche pas de sucreries et on oublie même de s’hydrater. On est hypnotisé par le paysage qui défile ou par le rythme des vagues. »
Cette trêve est la bienvenue : le week-end passé chez ses parents s’est révélé pénible, comme d’habitude. À tel point que son mari et sa fille de dix-sept-ans esquivent dès qu’ils le peuvent cette corvée qu’elle s’impose deux fois par mois pour garder bonne conscience.

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L’homme qui s’installe sur le siège voisin du sien la tire de sa torpeur. Machinalement, elle jette un oeil vers l’importun. Cet homme, elle le connaît ; c’est Philippe Leduc.
Vingt-sept ans plus tôt, ces deux-là ont eu une aventure de quelques mois, qui s’est terminée de façon lamentable à Londres. Jamais elle ne l’avait revu jusqu’à cet instant.
Instantanément, cet épisode douloureux qu’elle pensait effacé de sa mémoire, refait surface.
« On n’imagine jamais que certaines phrases vont rester ancrées, plantées comme des échardes – et qu’elles vont revenir tout dévaster à certains moments de l’existence. »

La situation est pour le moins embarrassante. En de telles circonstances, quelle attitude adopter ? Cécile doit-elle engager la conversation d’un ton désinvolte, comme s’il ne s’était rien passé à Londres et qu’elle rencontrait inopinément un ami perdu de vue depuis longtemps ? Doit-elle au contraire profiter de l’occasion pour lui balancer au visage ses quatre vérités ? La solution n’est-elle pas tout simplement de l’ignorer ? D’ailleurs, elle n’est même pas certaine que lui l’a reconnue.
Mais, tout comme elle l’a identifié au premier coup d’œil, Philippe a reconnu Cécile dès la première seconde.
« Depuis longtemps. C’est ce qui me trouble. Tu rencontres quelqu’un, tu l’accompagnes pendant quelque temps, puis il ou elle disparaît de ton quotidien, tu t’en remets, tu oublies. Un jour, dans un train, tu te dis : « Si ça se trouve, il ou elle est mort. » Je suis content de voyager en silence avec Cécile Duffaut parce que je sais qu’elle n’est pas morte. »

Le temps du voyage, tous deux vont feindre l’indifférence, éviter de croiser le regard de l’autre et, par d’inconfortables contorsions, éviter ne serait-ce que de se frôler.
Pendant plus d’une heure trente de cette parenthèse inattendue, Cécile Duffaut et Philippe Leduc plongés dans leur passé vont confronter leurs ambitions de jeunesse à la réalité d’aujourd’hui.

Impitoyables, les années ont fait sur Philippe leur travail de sape ; le petit-coq qu’il était à vingt ans a sacrément morflé. On aurait bien du mal à trouver le moindre charme à ce quinqua bedonnant aux traits empâtés. Avec un brin de méchanceté, on pourrait même dire que le fringant prince charmant d’antan a viré loser : vendeur au rayon télé-hi-fi du supermarché de sa ville natale, divorcé, sans véritables amis et un étranger pour ses enfants, la vie ne lui a pas fait de cadeaux.
« J’aimerais tellement être une autre personne.
J’ai toujours voulu être une autre personne. Plus indisciplinée. Plus intelligente. Brillante. Une comète. Quelqu’un qu’on regarde passer dans son ciel et dont on parle à ses enfants des années après avec des étoiles dans les yeux. »

Tout l’inverse de Cécile. La jeune fille transparente et empruntée a quitté sa province pour Paris.
« Je ne me suis jamais considérée comme timide. Simplement, je n’avais pas envie de batailler pendant des heures pour imposer mes goûts ou mes points de vue, pour défendre tel film, tel groupe, tel homme politique. Quelle vanité. »
Heureuse en famille, elle est devenue une dirigeante aux affaires florissantes.

Plutôt que les paysages traversés par le train, ce sont les paysages intérieurs de Cécile et Philippe que le lecteur regarde défiler chapitre après chapitre.
Leurs pensées intimes s’enchaînent, se complètent parfois, s’opposent souvent.
« Plus le temps passe, plus je me demande si j’ai jamais été amoureux. C’est comme s’il y avait autour de moi une fine couche de plastique qui m’éloignait des autres. Mais c’est peut-être la même chose pour tous. Tout être humain se demande ce que ça peut bien signifier « être amoureux ». Ce qui s’en rapproche le plus chez moi, c’est l’envie de partager la vie quotidienne de l’autre la mauvaise haleine du matin, le confort d’une nuit sans sexe, la préparation du déjeuner pour deux puis pour quatre, le télé-crochet du samedi soir à la télévision. Je suis conscient que ça n’a rien d’excitant. » (…)
Simplement, à vingt ans, ça ne suffit pas. On rêve de trucs qui font monter au plafond, de passion à crever, de crises de nerfs, de cœur qui bat la chamade. Tant qu’on ne connaît pas ça, on est persuadé qu’on fait mauvaise route, que la relation n’en vaut pas la chandelle.
Au bout d’un moment, on se rend compte que cela n’arrivera pas.
Alors soit on se résigne, soit on joue la comédie. On se comporte comme les héroïnes du XIXe siècle, on soupire, on criaille, on pleure – on ment. Et autour de vous, on appelle ça de l’amour. »

Le vent a tourné depuis le fiasco londonien qui aura eu, pour lui et pour elle, des conséquences dont ils n’avaient pas réellement pris conscience jusqu’à cet instant.
« Pendant trente secondes, j’ai entrevu mon futur – et puis la porte s’est refermée. J’ai mis plus de quinze ans à l’ouvrir de nouveau. Ce n’étaient pas des années perdues. Il m’a fallu tout ce temps pour digérer les sentiments qui m’ont ainsi animée cette nuit-là. »
Ils sont loin les Cécile et Philippe d’alors.
Du moins, en apparence car qu’en est-il réellement aux tréfonds d’eux-mêmes ?

« Personne ne nous a jamais prévenus que la vie, c’était long.
Que les slogans faciles qui font battre le cœur, les « vivre vite », les « mourir tôt » – tout ça, c’est des balivernes.
Personne ne nous a dit non plus que le plus dur, ce n’était pas les ruptures, mais la déliquescence. Le délitement des relations, des êtres, des goûts, des corps, de l’envie. Jusqu’à une sorte de marécage où i lest impossible de savoir ce que l’on aime. Et ce que l’on déteste. Ce n’est pas un état aussi désagréable qu’on pourrait le penser. C’est juste une atonie. Avec des tâches de lumière éparses. »
Que reste-t-il à l’aube de la cinquantaine des rêves de l’adolescence ? À l’heure du bilan de la mi-temps de sa vie, est-on en phase avec la vie que l’on mène ? Les projets concrétisés l’emportent-ils sur les désillusions et les renoncements ? Obsessives, ces questions hantent les derniers romans de Jean-Philippe Blondel. Elles sont au cœur de 06h41,

Ils ont beau n’être réellement sympathiques ni l’un, ni l’autre, il y a de Cécile et de Philippe dans chacun de nous, ou plus exactement chez tous les quadras/quinquas qui retrouveront chez l’un ou/et chez l’autre un écho à leur propre parcours, à leur propre remise en question et à leurs propres souvenirs.
Si l’occasion nous était donnée, quels seraient les dommages que nous souhaiterions réparer, les contentieux que nous voudrions régler ? Est-il utopique de croire que deux vies parallèles, à l’instar des rails d’une voie ferrée, peuvent finir par se rejoindre en un point et un moment donnés ? Que tout est toujours possible, qu’importe l’âge que l’on a ?
Beaucoup de questions, mais pas de réponse, dans 06h41, texte tout en finesse et sensibilité où, comme à son habitude, Jean-Philippe Blondel pose un regard tendre mais lucide sur ses personnages et emmène son lecteur dans un voyage aigre-doux au cœur de l’intime.

Parmi les multiples entretiens donnés par l’auteur dans les médias, en voici deux radiodiffusés : le premier, sur France Inter ; le second, sur RTL.
Et un autre, paru dans la presse écrite : L’Est Éclair.

Ce qu’ils en ont pensé :

A propos de livres : « En commençant ce livre, j’imaginais plutôt une histoire autour des voyages en train, un quotidien que je connais bien et où il y aurait matière à raconter, mais après la lecture de ce roman, je reconnais que cette histoire est plus profonde que cela… »

Cannibales Lecteurs : « Si ce roman reste dans l’anecdotique, l’ouvrage présente en subtilité l’histoire de ces deux ex-amants adolescents, devenus adultes et parents. (…) L’écriture est simple, fluide mais on reste tout de même dans l’expectative, on aurait aimé en savoir plus, connaître le fin mot de l’histoire. Blondel n’est pas de ces auteurs-là, pour découvrir la fin, il faut traquer entre les lignes et savoir lire à demi-mot. »

Choupynette : « Blondel m’a encore une fois convaincue de tout son talent de conteur mais surtout de sa connaissance de l’âme humaine. (…) Un roman profondément humain, émouvant sans jamais tomber dans la sensiblerie, lucide mais tendre. »

Clara : « Si l’année dernière, j’étais restée insensible à Et rester vivant, qu’est-ce que j’ai aimé ce livre ! J’ai tout aimé ! (…) Je me suis retrouvée par fragments comme si Jean-Philippe Blondel me connaissait et racontait une partie de ma propre histoire. Des personnages qui ont fait rejaillir mes propres souvenirs douloureux ou teintés de honte. »

Encres Vagabondes : « Chacun des personnages, peu à peu, se découvre, se dévoile, se révèle, pour montrer cet homme nu dont parlait Simenon, qui se dissimule sous les conventions et les règles sociales, cet homme nu qui nous renvoie à nous-mêmes si nous acceptons de participer, intérieurement, comme Cécile et Philippe, au jeu de la vérité. »

La Cause Littéraire : « La force des personnages tient au recul qu’ils s’efforcent de prendre. Pas de concession, pas d’attendrissement sur soi-même. Mais au contraire une distance bienvenue qui évite le piège de la mièvrerie, de la rebattue histoire de couple qui ne s’est pas réalisée. »

Laure : « Jean-Philippe Blondel confirme une fois encore qu’il est l’écrivain du sentiment intérieur, du cheminement intime qui s’égrène à travers des faits en apparence anodins. Fin observateur de la vie, de nos vies. »

Lucie : « Une invitation à la réflexion, à regarder d’en haut nos trajets de vie et nos erreurs d’aiguillage… Un excellent roman ! »

Marie-Claire : « Ce qui est très réussi sous la plume de Blondel c’est que non seulement il nous embarque, qu’il nous captive, mais surtout qu’il parvient à mettre en scène des sentiments universels. »

Saxaoul : « Si j’ai beaucoup apprécié 06h41, ça n’a pas été un vrai coup de cœur comme certains autres romans de l’auteur, sans doute parce que mes préoccupations actuelles sont assez éloignées de celles des deux personnages principaux. »

Yueyin : « Seulement 240 pages et tant de choses, deux vies pratiquement et on y croit. Les personnages sont d’une justesse incroyable et si ce n’est pas la seule qualité de ce roman c’est ce qui en fait la force à mon sens (…) Un tour de force servi par un style limpide, une histoire un peu douce amère, un peu nostalgique qui trotte dans la tête… une pépite ! »

et sur Babelio

06h41, de Jean-Philippe Blondel
Buchet-Chastel (2013) – 240 pages