lionel-salaun-retour-de-jim-lamar-liana-levi Comme je m’en suis ouvert très récemment, les circonstances font qu’il arrive que je ne parle pas ici de romans que j’ai pourtant beaucoup aimés.
Le retour de Jim Lamar, de Lional Salaün est de ceux-là.
Le Prix du Polar Sud Ouest / Lire en Poche, catégorie littérature française, qu’il a reçu le 5 octobre dernier, est l’occasion parfaite pour moi d’y revenir, enfin.

En 68, comme des millions de jeunes américains de son âge, Jim Lamar a dû quitter son bled du Missouri pour le Vietnam.
À Stanford, la guerre terminée, les rescapés sont rentrés chez eux.
Pas Jim.
Les années ont passé. Après avoir attendu son retour, son père, puis sa mère, se sont éteints.
« Restée seule, Edna Lamar, qui n’avait jamais cessé d’y croire, avait continué d’attendre le retour de son fils. Peut-être n’était-ce plus qu’une question de jours, de semaines, avant que Jimmy repointe son nez par la petite porte jaune en lâchant simplement: « Salut m’man ! » Comme s’il était parti la veille. Oui, sûrement qu’elle y croyait encore fin novembre 1979, en s’éteignant doucement, suite à une pneumonie, doucement comme une vieille chandelle parvenue au bout de sa mèche. »

Les vélos pliants ne sont pas tous les mêmes.

Délaissée et sans légataire officiel, la propriété des Lamar attise la convoitise des villageois.
« Peu à peu, la ferme, maison et terres confondues, vaguement entretenue depuis le veuvage de la pauvre femme par Samuel Dixon qui en retirait un petit bénéfice, avait sombré dans une sorte d’abandon. »
« Bon nombre de gens du coin, si ce n’est un peu tout le monde, se chargèrent de gérer, chacun à sa manière, le site en jachère. »
Les uns après les autres, ils viennent dépouiller la ferme de tout ce qu’elle contient, du plus facilement transportable (vaisselle, couverts, linge, bijoux…) au plus volumineux (meubles, poêle, machines agricoles…).
« Quand la maison, après plus de trois semaines de va-et-vient quotidiens, diurnes et nocturnes, eut enfin acquis le droit au silence et à la quiétude, les esprits, que certains prennent pour des animaux errants en quête d’un abri et de nourriture, commencèrent à rôder alentour. »

Ouverte aux quatre vents, la ferme des Lamar n’est plus désormais qu’une carcasse nimbée de mystère, objet des fantasmes des gamins du coin en mal de frayeur.
Jusqu’à ce jour de l’été 1981 où deux habitants de Stanford remarquent qu’un ou plusieurs inconnus, des vagabonds sans doute, occupent les lieux. Ils envoient chercher le sheriff pour que les indésirables débarrassent le plancher illico.
« Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, mais à Stanford, à l’époque, on n’aimait pas bien les étrangers. Quand je dis étrangers, je ne veux pas parler des habitants de pays autres que les États-Unis, comme le Canada ou le Mexique, et moins encore de ceux de la vieille et lointaine Europe que bon nombre de gens d’ici auraient été bien en peine de situer sur une carte. D’ailleurs, il faut bien le reconnaître, quels Suisse, Allemand ou Français, sans même évoquer d’autres peuples dont nous ignorions jusqu’au nom, seraient venus traîner leurs bottes à Stanford ? Non, par étrangers, j’entends des types de l’autre rive du Mississippi, sans même aller jusqu’à l’Iowa ou l’Illinois, des gars d’un autre comté, des gens pas comme nous, des gens d’ailleurs, des étrangers, quoi ! »
En guise de vagabonds, c’est un fantôme que le sheriff va trouver sur place : Jim Lamar, revenu en toute discrétion, treize ans après la fin du conflit, prendre possession de son bien, ou plutôt de ce qu’il en reste.

Une fois passée la stupeur, c’est la suspicion qui prévaut parmi les villageois : pour quelles raisons Jim Lamar est-il de retour ? Pourquoi maintenant ? Qu’a-t-il fait pendant ces treize années ? Pourquoi ne s’est-il jamais manifesté auprès de ses parents mourants ?
Puis, à la méfiance succède l’hostilité : et s’il était un de ces vétérans du Vietnam, marginaux et rendus potentiellement dangereux par leur esprit fragilisé d’avoir vu toutes ces horreurs là-bas ? Et que dire de la culpabilité qui ronge la plupart des habitants ? Peu ont la conscience tranquille : l’arrivée de Jim Lamar a réveillé chez les pillards une culpabilité avec laquelle ils avaient réussi à composer avec le temps.
Il a beau rester en retrait de la vie du village, Jim Lamar n’est pas le bienvenu à Stanford et on ne se gêne pas pour lui faire savoir.

Il n’y a que le jeune Billy Brentwood pour ne pas lui manifester d’hostilité. À treize ans, Billy n’aime rien plus que de flâner le long des rives du Mississippi. Fuyant la rudesse du foyer familial et de la vie à la ferme, il goûte au silence et à la solitude d’un petit coin de nature retiré, connu de lui seul. Du moins le croyait-il jusqu’à ce qu’il y trouve Jim Lamar.
Le gamin en mal d’affection et le solitaire taciturne vont apprendre à se connaître. De leurs silences et de leurs confidences va naître une amitié indéfectible, forcément mal vue des villageois.
Et pour cause : la vie du jeune garçon s’en verra changée à jamais. Au cours de ses conversations avec Jim, Billy va entrevoir un monde de respect, de tolérance et de fraternité, bien plus vaste et riche que celui, étriqué et bourré de préjugés, de Stanford.

Ce n’est que bien des années plus tard que Billy, devenu à son tour un adulte, revient sur cet été 1981. Son récit fait la lumière sur le « mystère » Jim Lamar ; sa narration est empreinte du respect qu’il éprouve pour Jim aujourd’hui encore.

Récompensé par le Grand prix des lecteurs du Télégramme en juin 2011, Le retour de Jim Lamar est un roman d’apprentissage sensible et touchant, qui tient à la fois des Aventures de Tom Sawyer, de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur et de Full metal jacket.
Marqué par le traumatisme de la guerre du Vietnam, le récit de Lionel Salaün a les pieds plongés dans les boues fangeuses du Mississippi « fabuleux serpent nourricier louvoyant à travers ce vaste continent » et dans cette Amérique rurale à l’esprit borné. Pour autant, cette histoire est universelle et aurait tout aussi bien pu avoir comme cadre la France profonde et la seconde guerre mondiale. D’ailleurs, la scène des pillages de la ferme m’a rappelé les récits que m’a fait ma grand-mère quand, de retour dans son village après l’exode de 1940, elle a retrouvé sa maison mise à sac et les draps de son trousseau qu’elle avait brodés en train de sécher dans le jardin d’une de ses voisines.
Ah, j’allais oublier : l’auteur est français et s’il écrit depuis plus de vingt ans, Le retour de Jim Lamar est son premier roman publié.

Pour aller plus loin :

À lire :
Les premières pages du roman sur le site des éditons Liana Levi.
Delphine Tanguy s’entretient avec Lionel Salaün pour Le Télégramme.

À voir :
5 questions posées à Lionel Salaün, par les Librairies Dialogues.
Culturebox rencontre Lionel Salaün à La Courneuve, lors de la Fête de l’Huma.
Portrait(s) d’un premier roman, par Lionel Salaün, pour la 24e édition du Festival du premier roman de Chambéry.

Ce qu’ils en ont pensé :

Clara : « J’ai été secouée, interpellée et j’ai eu les yeux noyés de quelques larmes. »

Griotte : « Un roman plaisant sur l’amitié et la rédemption avec une écriture emprunte de douceur et d’émotion. »

Le Bibliomane : « Loin d’être une parodie, un roman « à la manière de … », le roman de Lionel Salaün est, en plus de son propos profondément humaniste, de sa talentueuse narration, un vibrant hommage à la littérature américaine. Un premier roman qui a la dimension d’un chef-d’œuvre. »

Mango : « J’ai beaucoup aimé ces deux personnages et surtout ce jeune soldat isolé et incompris qui ne perd jamais espoir et qui, parti de rien, a tout appris de ses expériences, s’en est enrichi et cultivé, toujours fidèle à ses amitiés. »

Midola : « Un très beau roman. »

Niurka : « L’écriture est d’une densité qui force l’admiration; Elle semble épouser les méandres et la moiteur du fleuve mythique avec ses recoins, ses courbes (…) Un superbe roman initiatique. »

Seren Dipity : « Au final, un beau roman sur l’amitié et la difficulté de vivre ici et maintenant après un tel voyage. Ce qui résonne ici, et longtemps après avoir posé le livre c’est l’enracinement à la terre-mère. (…) Existe-t-il un Prix Roman Étranger Écrit en Français ? J’ai un gagnant ! »

Sylire : « Outre l’originalité de son thème, du moins pour un romancier français, le roman est bien construit et tient en haleine. »

Et toujours sur Babelio.

Le retour de Jim Lamar, de Lionel Salaün
Liana Levi (2010) – 233 pages