7d9917e1135ubdove Vous avez déjà sûrement vu une bande-annonce pour une émission de relooking.
Ces programmes télé où, pour vous aider à repartir du bon pied dans la vie, on commence par vous humilier en public, puis on vous désapprend à vous habiller comme un sac, et on finit par vous expliquer comment vous coiffer et vous maquiller avec un minimum de (bon) goût.
Les concepts les plus trash poussent même l’obscénité jusqu’à soumettre leurs cobayes aux bistouris des chirurgiens esthétiques et à la fraise des dentistes prothésistes pour mieux les conformer aux diktats de la “normalité physique”.

J’ignorais que le concept était transposable aux œuvres littéraires.
Jusqu’à ce que je parcoure un booklet annonçant la réédition dans une nouvelle traduction des enquêtes de Lew Archer, détective créé par Ross Mcdonald, digne héritier de Hammett et Chandler.

Quand on compare l’ancienne et la nouvelle traduction mises en regard dans ce document, il saute aux yeux que le traitement radical infligé dans les années 50 à l’œuvre de Mcdonald par les éditeurs français relève du relooking extrême. Voire, du massacre à la tronçonneuse.
C’est qu’ils n’y sont pas allés de main morte, les bougres, maniant la coupe sauvage et les dénaturations en tout genre comme de vrais petits Frankenstein.
La traduction de 2012 est pour le roman de Mcdonald comme un relooking à l’envers, qui rend au texte figure humaine et le révèle tel qu’en lui-même. Un nouveau look, pour une nouvelle vie en quelque sorte.

Le vélo pliant Dahon ne convient pas dans tous les cas standards.

Jugez-en par vous-même :
(Edit du 15/05 : suite à la judicieuse suggestion de Brize, j’ai rajouté l’extrait dans sa version originale)

Ancienne traduction

Cadavre en eau douce, Presses de la Cité, 1954 – J’ai lu, 1987 – 10/18, 1998

Extrait du chapitre 1

– Et maintenant, déclarai-je, que puis-je pour vous, Mrs…
– Oh, je m’excuse… Je m’appelle Maude Slocum… Je suis tellement énervée que…
– Reprenez vos esprits, Mrs Slocum. Et sachez pour commencer que rien de ce que vous allez m’apprendre ne pourra m’étonner. Je suis dans le métier depuis une dizaine d’années, m’occupant principalement de divorces. Dans ces conditions, j’en ai vu de toutes les couleurs. Je vous écoute.
Elle me fixa droit dans les yeux, s’humecta les lèvres.
– Il m’arrive quelque chose de fort désagréable…
Elle s’arrêta puis, constatant que je ne me rependrais pas en regrets, poursuivit :
– Quelqu’un essaie de me détruire.


Nouvelle traduction

Noyade en eau douce, Gallmeister, 2012 – Traduction de Jacques Mailhos

Extrait du chapitre 1

– Bien, dites-moi quelle dent vous fait des misères, madame… ?
– Pardon. Je m’appelle Maude Slocum. J’oublie toujours les bonnes manières quand je suis contrariée.
Elle s’excusait beaucoup trop pour une femme dotée d’une telle silhouette et portant de tels habits.
– Écoutez, dis-je. J’ai une carapace de rhinocéros et un cœur en acier trempé. Dix ans que je fais dans le divorce à Los Angeles. Si vous pouvez me dire une seule chose que je n’aie pas déjà entendue, je promets de faire don d’une semaine d’honoraires à n’importe quelle bonne cause le jour de la Sainte-Anita.
– Et vous sentez-vous capable de dompter un énorme panier de crabes, monsieur Archer ?
– Les crabes me fichent la trouille, mais pas autant que les hommes.
– Je vous comprends. (Ses jolies dents blanches jouaient de nouveau avec ses lèvres chaudes.) Quand j’étais plus jeune, je croyais que les gens étaient plutôt tolérants, vous voyez ? Aujourd’hui, je n’en suis plus si sûre.
– Mais vous n’êtes pas venue me voir ce matin pour une discussion philosophique sur l’éthique comportementale. Vous aviez en tête un exemple particulier ?
Elle resta silencieuse un instant, puis répondit :
– Oui. J’ai eu un choc hier. (Elle me fixa droit dans les yeux, puis regarda loin derrière. Ses yeux étaient aussi profonds que l’océan au large de Santa Catalina.) Quelqu’un cherche à me détruire.


Version originale

The drowning pool, Knopf, 1950

Extrait du chapitre 1

“What tooth is bothering you, Mrs.—?” “Excuse me. My name is Maude Slocum. I always forget my manners when I’m upset.”
She was much too apologetic for a woman with that figure, in those clothes. “Look,” I said “I am rhinoceros-skinned and iron-hearted. I’ve been doing divorce work in L.A. for ten years. If you can tell me anything I haven’t heard, I’ll donate a week’s winnings at Santa Anita to any worthy charity.”
“And can you whip your weight in wildcats, Mr. Archer?”
“Wildcats terrify me, but people are worse.”
“I know what you mean.” The fine white teeth were tugging again at the warm mouth. “I used to think, when I was younger, that people were willing to live and let live—you know? Now I’m not so sure.”
“You didn’t come here this morning, though, to discuss morals in the abstract. Did you have a specific example in mind?”
She answered after a pause: “Yes. I had a shock yesterday.” She looked close into my face, and then beyond. Her eyes were as deep as the sea beyond Catalina. “Someone is trying to destroy me.”

Probant, non ?
Ça fait peur quand on pense aux autres textes qui ont dû être massacrés de même et dont on ignore la nature réelle, à moins de les avoir lus dans leur langue originale.

La photo est tirée de l’étonnante vidéo Dove evolution