Créateur de jeux vidéo à succès, David Pepin est marié depuis treize ans à Alice, avec laquelle il forme un couple apparemment sans histoires.
Seul point d’achoppement entre les époux : les régimes successifs d’Alice, qui la plongent dans de sévères phases de dépression. Invariablement, à l’euphorie initiale succède l’accablement quand il devient évident que ses efforts sont restés vains.
La frustration de ne pouvoir freiner son obésité rend Alice susceptible. Elle s’emporte pour un rien contre David, déclenchant des disputes mémorables au sein du couple.
connaissent déjà ce vélo pliant, ce sera donc une piqûre de rappel pour eux.
En ce qui concerne David, l’obésité d’Alice ne lui a jamais posé aucun problème. Il aime profondément sa femme.
Du moins le croit-il car il s’est pris récemment à rêver de plus en plus souvent à sa mort : finies les périodes de crise ; il trouverait enfin le calme nécessaire pour mettre enfin un point final au roman qu’il peine à terminer.
Quand Alice est retrouvée morte au domicile conjugal après avoir ingéré des cacahuètes – elle qui s’y savait hautement allergique -, les soupçons se portent naturellement sur David qui apparaît comme le suspect idéal.
Responsables de l’enquête, les inspecteurs Sheppard et Hastroll cuisinent David, et dissèquent le mariage Pepin afin d’y trouver la faille qui confirmerait la culpabilité du mari.
« Un meurtre ramène l’individu à l’essentiel, estimait Hastroll. Il réduit sa personnalité à ses désirs les plus élémentaires.
Les femmes par exemple tuent presque toujours leurs maris pour se défendre. C’est un fait avéré. Il y a des exceptions bien sûr, mais neuf fois sur dix, quand une femme a abattu, empoisonné ou poignardé son mari, vous avez affaire à un homme qui, d’une façon ou d’une autre, l’a mérité. »
Les hommes, eux, tuent en général leur épouse pour l’une des quatre raisons suivantes : l’argent, le sexe, la vengeance ou la liberté. Les trois premières ne nécessitent aucune explication, elles sont si courantes qu’elles constituent une sorte de check-list lorsqu’un inspecteur découvre une femme mariée tuée dans son appartement. (…)
Mais la liberté, en revanche, est un motif d’assassinat à la fois très peu commun et particulièrement complexe, même si presque tous les hommes mariés peuvent le comprendre. Et, bien qu’on puisse soutenir qu’à certains égards la liberté sous-tend les trois motifs précédents, qu’elle en est le dénominateur commun, Hastroll savait d’expérience que tuer pour la liberté en tant que liberté représentait tout à fait autre chose.
Les hommes rêvent de nouveaux départs. Pas nécessairement avec une autre femme d’ailleurs. Ils rêvent de recommencer à zéro, de disparaître, de descendre de l’avion lors d’une escale et de se construire une nouvelle vie dans une nouvelle ville. Ils rêvent d’un appartement rien qu’à eux, de silence, de s’engager dans les commandos Delta et d’aller combattre en Irak, de se présenter sous le surnom qu’ils avaient toujours voulu qu’on leur donne. Ils rêvent d’un endroit et d’une époque où ils pourraient utiliser tout ce qu’ils avaient appris et qu’ils ignoraient avant – avant leur mariage, s’entend. Alors ils pourraient être heureux. »
Cet examen approfondi du couple Pepin les renvoie l’un et l’autre à leur propre mariage qui n’est pas à proprement parler un modèle du genre (y en a-t-il un d’ailleurs ?) : avant d’être inspecteur, Sheppard a été un célèbre médecin accusé, puis innocenté, du meurtre de sa femme enceinte, tandis qu’Hastroll se débat dans une relation conjugale conflictuelle, depuis que sa femme a décrété qu’elle ne quitterait plus son lit sous aucun prétexte.
Plaçant son Mr Peanut sous le double signe d’Escher et de Möbius, Ross a construit une intrigue retorse, sur le modèle des célèbres métamorphoses et constructions impossibles de l’artiste néerlandais, qui se referme sur elle-même à l’image du fameux ruban du mathématicien allemand.
Ross met en place un jeu de miroirs diabolique, renvoyant à l’infini des réalités déformées qui s’entrechoquent comme dans une salle des glaces de fête foraine. Cette mise en abyme des trois couples donne le tournis et embarque le lecteur dans une spirale infernale semblable à celle ourdie par Hitchcock, autre figure tutélaire du roman, dans Vertigo.
Ces trois couples, aux parcours spécifiques, vont finir par se confondre comme dans un dessin d’Escher et n’en faire plus qu’un seul. Au lecteur de démêler le vrai du faux, de faire la part des fantasmes et de la réalité.
Sous prétexte d’une intrigue à suspense, Adam Ross passe la vie conjugale à la moulinette et livre sur la complexité des relations maritales un point de vue exclusivement masculin (si l’on excepte la vingtaine de pages réservées à Marilyn Sheppard).
La frontière est mince entre amour et haine, la routine (tout à la fois effrayante et sécurisante), l’incommunicabilité, l’insatisfaction et la lassitude faisant irrémédiablement leur travail de sape
« Cela tient peut-être à la nature duelle du mariage, cette proximité de la violence avec l’amour. »
À l’instar du Maître du suspense, Adam Ross fait de son Mr Peanut un thriller psychologique bourré d’humour noir. L’auteur égratigne avec férocité le jeu des faux-semblants auquel se livrent volontiers ses contemporains (lire un extrait).
« Tout le monde organisait une fête pour le 4 juillet et voulait une maison étincelante comme un diamant pour que les invités imaginent qu’elle était toujours ainsi, qu’au lieu de la petite trace de merde sur le siège des toilettes, ou des poils du chien sur le canapé, ou des caillots mastic de dentifrice dans le lavabo, on pouvait toujours voir son reflet dans les robinets et manger par terre sans souci. Alors les envieux convives se diraient que cette maison était plus propre, plus brillante et plus agréable que la leur, et que par conséquent la vie de leurs hôtes devait être meilleure. »
Dans ce qui pourrait s’apparenter à un ingénieux guide de survie au mariage à l’usage des maris en perdition, Ross montre qu’il suffit souvent de peu pour faire exploser l’équilibre d’un couple.
Roman à la structure ambitieuse mais pas exempt de quelques longueurs préjudiciables, Mr Peanut rappelle si nécessaire que le bonheur conjugal est fragile et qu’il faut savoir rester attentif à l’autre, sous peine de se rendre compte trop tard combien on tenait à lui/elle.
Le site officiel d’Adam Ross.
Adam Ross présente son Mr Peanut.
Lire un extrait de Mr Peanut.
Bond of union © Maurits Cornelis Escher
Le couple, vu par Escher
Ce qu’ils en ont pensé :
Arnaud : « Adam Ross a signé le meilleur livre que j’ai lu depuis longtemps, donc, pour moi, le plus plaisant, largement de cette rentrée littéraire »
Charlotte : « Ce texte est davantage un formidable passage à la loupe des affres du mariage qu’une simple enquête, ce qui explique sûrement pourquoi la lectrice n’ayant que peu de goût pour les polars que je suis s’est laissée tenter et ce, sans regret. »
Elfique : « A travers la genèse de ces trois mariages, Adam Ross dissèque la dure réalité de la vie de couple, et il est sûr qu’après la lecture d’un tel roman, nos envies de mariage tombent comme un soufflé… »
Hélène : « Chacun pourra se reconnaître dans ces scènes tirées de la vie quotidienne des couples. »
Plume : « Adam Ross, qui signe ici son premier roman, n’a pas fait les choses à moitié ! C’est riche, intense, bien écrit, bien ficelé, recherché et innovant… J’ai hâte de voir ce qu’il nous livrera par la suite mais il a d’ores et déjà placé la barre bien haut ! »
D’autres avis encore sur Babelio.
Mr Peanut, d’Adam Ross,
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Jean-Baptiste Dupin,
10/18 Collection Grand Format (2011) – 516 pages