watson-montana Les enfants ont un don certain pour passer inaperçus, épier les grands sans en avoir l’air, et écouter les conversations les plus confidentielles sans se faire remarquer.
Les adultes ne se méfient pas assez. Et même s’il leur arrive parfois de surprendre l’intrus, ils auront beau se protéger en parlant par allusions et sous-entendus, c’est peine perdue. Il est déjà trop tard. Ce qui devait rester hors de la portée des enfants a été emmagasiné.
Pour toujours.

En cet été 1948, un garçon de douze ans, David Hayden, va être le témoin silencieux et impuissant de la dislocation du cocon familial.
« Je ne savais pas très bien ce qu’il était advenu de notre famille en ces jours mouvementés, mais j’avais la certitude que nous devions nous serrer les coudes. Nous soutenions un siège. Il nous fallait consolider les murailles de notre famille du mieux que nous pouvions. »

Nous donnons ci-dessous surtout des exemples de marques spécialisées dans la production de vélos pliants, souvent moins connues du grand public.

Quarante ans plus tard, il revient sur l’événement d’apparence anodine qui fera exploser les non-dits, pulvérisera les faux-semblants et mettra à nu les rancœurs enfouies des membres de sa famille.
« De l’été de mes douze ans, je garde les images les plus saisissantes et les plus tenaces de toute mon enfance, que le temps passant n’a pu chasser ni même estomper. »

A Bentrock, dans le Mercer County (Montana), les Hayden font partie des notables.
Le père de David, Wesley, est shérif, comme l’était avant lui son propre père, Julian, figure autoritaire qui règne sans partage sur le clan familial. Sa mère, Gail, est secrétaire au tribunal et son oncle Frank, le frère de son père, est médecin.

Fils unique, David est un garçon solitaire. Contrairement à sa mère qui n’aspire qu’à aller vivre en ville, il n’est jamais plus heureux et insouciant que lors de ses escapades dans la campagne où il chasse, pêche, rêvasse :
« L’important n’était toutefois pas ce que je faisais à la campagne, je pouvais tout simplement être, me sentir moi-même, déterminé, calme, sûr de moi, ce dont j’étais bien incapable quand je fréquentais l’école ou n’importe quelle autre communauté humaine qui faisait de moi un garçon faible, écartelé. Il m’arrivait de pouvoir rester assis pendant une heure sur un rocher, au bord de la rivière, sans souhaiter d’autre conversation que le murmure régulier de l’eau j’étais sans aucun doute un enfant introverti, mais plus encore, j’éprouvais hors de la société une plénitude qu’il m’était absolument impossible de ressentir en son sein »

C’est Mary Little Soldier, une jeune indienne, qui s’occupe de la maison et veille sur David jusqu’à ce que ses parents rentrent du travail.
Un jour, au retour de l’école, David trouve Mary en proie à de sévères quintes de toux et à une forte fièvre. Gail refuse que Mary rentre à la réserve dans cet état et l’installe dans la chambre d’amis. Passant outre le refus et les supplications de la jeune fille, elle demande à l’oncle Frank de venir l’ausculter .

Son entêtement se révèlera lourd de conséquences.
En l’espace d’un été, le jeune David va découvrir que le monde n’est pas ou blanc ou noir, que les apparences cachent des réalités moins glorieuses. Sa confrontation directe avec l’hypocrisie du monde des adultes signera pour lui la fin de l’enfance.

En à peine plus de 150 pages, Larry Watson brasse en virtuose une multitude de thématiques : la vie d’une petite bourgade dans l’Amérique rurale des années 50 et la peinture de la mentalité de ses habitants (l’importance de la position sociale et du paraître, la crainte du scandale, le racisme envers les indiens…), le passage de l’enfance à l’âge adulte et les premiers émois sexuels (à travers les yeux de David, la tante Gina est une bombe qui ressemble aux pin-ups en vogue à l’époque).

Mais la grande réussite de Montana 1948 reste son analyse des relations familiales, dont Watson dissèque toute la complexité et les contradictions avec justesse et subtilité.
Il montre par exemple la difficulté qu’ont les hommes du clan Hayden à communiquer et à exprimer leurs sentiments.
Comme les habitants de Bentrock, Wesley a toujours craint et respecté son père. Jamais il n’a discuté son autorité, jamais il ne l’a remise en question. Il sait que Julian le considère indigne de la fonction de shérif et qu’il aurait préféré que Frank, sa fierté, glorieux vétéran de la seconde guerre mondiale, prenne la relève. Wesley a toujours vécu dans l’ombre de son frère à qui tout semble réussir. Aujourd’hui encore, il cherche l’approbation du patriarche, attend une reconnaissance qui ne vient jamais.

Le jeune David, lui aussi, est sous le charme de son oncle Frank, et montre plus d’admiration pour l’athlète séduisant et chaleureux qu’il voit en lui que pour son père, qui ne se soucie pas du prestige de sa position et, honte suprême aux yeux de l’enfant, ne porte même pas son arme de service.
A la lumière des événements, il percevra sous un jour différent ce père qui saura se montrer héroïque. Tout comme évoluera son regard sur les autres membres de sa famille.

Dans les petites communautés comme Bentrock, la charge de shérif procure quelques privilèges et passe-droits, on n’est pas trop regardant et on s’accommode assez bien des petits arrangements avec la loi, parfois à la limite de la légalité. La gravité des événements de l’été vont placer Wesley devant un choix cornélien : traficoter certains faits peu favorables au clan Hayden ou respecter la loi et s’opposer pour la première fois à son père au risque de voir exploser la cellule familiale.

Dans la tempête, David et ses parents se soutiennent et font bloc face au patriarche Hayden et au reste de la famille, malgré les dissensions qui se font jour entre Wesley et Gail.
« Je ressentis soudain une grande distance entre nous, comme si chacun, à cet instant, se tenait seul sur son carré de linoléum, à mille lieues des autres. Trop éloignés pour sauter d’île en île, il fallait nous contenter du regard que l’un pouvait porter sur l’autre comme ma mère le faisait alors avec mon père. »

Quand les tensions deviennent trop palpables à la maison, le garçon part en vadrouille décompresser et réfléchir en pleine nature, ce qui donne lieu là aussi à de beaux passages :
« Je me sentais étrangement calme, comme si je sortais d’un état de grande agitation et venais de recouvrer mon état normal, mon pouls reprenant son rythme habituel, ma respiration s’apaisant et ma vision redevenant tout à fait claire. Je me dis que j’avais eu besoin de ça. Sans y penser j’avais éprouvé la nécessité de tuer. Les événements, les découvertes, les secrets des jours précédents – la maladie de Marie, les péchés d’Oncle Frank, la tension entre mon père et ma mère – avaient fait surgir en moi une sorte d’agressivité que je n’avais pu expulser qu’en tuant une pie perchée sur un pin.
Je me trouvais dans le même état qu’après un rêve particulièrement pénible et impressionnant. Alors que le canevas du rêve se dissipe, telle l’eau qui s’échappe de la main, l’émotion qu’il a engendrée se prolonge. En observant le regard mort de l’oiseau, je me rendais compte que les plus étranges relations auxquelles on ne pense pas – le sexe et la mort, le désir et la violence, l’envie et la déchéance – sont nichées là, oui, bien nichées au cœur même des âmes les plus pures. »

Outre sa justesse et sa limpidité, Montana 1948 puise toute sa force dans la nuance avec laquelle Larry Watson aborde les différents protagonistes du drame qui se ne noue le temps d’un été.
Un très beau roman à conserver au rayon des classiques.

Les premières pages sont disponibles sur le site des éditions Gallmeister ou en annexe de ce billet.
Le site officiel de Larry Watson.

Ce qu’ils en ont pensé :

Si je ne peux que vous encourager à consulter les avis ci-dessous, pour une fois en revanche, je vous conseillerais de ne découvrir les billets dans leur intégralité qu’après avoir lu le livre car je trouve que la plupart en dévoilent un peu trop. Rien de réellement capital, mais assez pour gâcher mon plaisir si je m’en étais souvenu au moment de ma lecture.

Amanda : « Bon roman, oui, néanmoins probablement trop court à mon goût car j’aurais aimé voir ces sentiments déployés plus longuement, moins condensés, sentir la puissance de l’histoire monter plus lentement en puissance. Mais un très bon roman quand même. »

Benebonnou : « Montana 1948 est un roman sur la déchéance d’une famille, sur le difficile choix entre la justice et la loyauté envers sa famille. Larry Watson s’impose avec un texte très fort, poignant et qui reste en mémoire longtemps. »

Cécile : « J’y ai trouvé tout ce que j’aime dans un roman : une histoire familiale, une petite touche de roman initiatique, et le tableau social d’une Amérique profonde imprégnée de racisme. De plus, pas un mot de trop, tout y est essentiel. »

Choco : « Remarquable de justesse dans l’expression des sentiments du jeune David comme dans l’ambiance traditionaliste d’une petite ville, Larry Watson nous offre ici un récit qui alterne entre innocence et corruption et réussit à happer le lecteur dans cette sombre histoire familiale qu’on ne lâche pas jusqu’à la fin ! »

Cuné : « Chaque mot est pesé, chaque image évoquée est aussi nette qu’un film derrière l’écran de nos yeux de lecteur, c’est bluffant de talent, c’est simple, court et ciselé. »

Folfaerie : « L’intrigue est réussie, les personnages fascinants, l’analyse de cette vie provinciale suffisamment subtile… alors, que vous dire de plus, si ce n’est de vous précipiter sur ce roman. »

Les habitants de l’Avenue : « J’avoue ne pas avoir été touché plus que ça. J’ai trouvé ce roman trop classique avec une fin attendue. Alors pourquoi me suis-je laisser convaincre par personnages ? (…) C’est limpide, efficace, évident…. »

Ys : « Cette histoire terrible, resserrée en cent soixante pages, ne contient pas un mot de trop. (…) C’est un texte très fort qui sonne juste et résonne longtemps. »

Montana 1948, de Larry Watson
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Bernard Péguillan
Gallmeister / Collection Totem (2010) – 163 pages