sanctuaire-faulkner Voilà plusieurs mois déjà que je suis sorti de ce Sanctuaire.
Et alors que j’ai retardé, depuis, le moment d’écrire ce qui suit, j’ai encore beaucoup de mal à mettre mes impressions au net.

Vélo pliant Voltagreen – lesvelos-electriques.

S’il est supposément le texte le plus abordable de Faulkner, Sanctuaire, dans sa globalité, exige néanmoins une attention de tous les instants, de toutes les phrases.
Je le savais, j’étais prévenu. C’est pour cela que j’avais attendu le moment propice pour le lire, au désespoir sans doute de Lilly qui me l’avait offert des mois auparavant (et dire qu’il m’aura fallu pratiquement autant de temps après ma lecture pour pouvoir en parler ici !)

Quand je repense à cette lecture, un mot me vient instantanément à l’esprit : brouillard.
J’ai retrouvé cette même sensation éprouvée lors de la lecture de The wild palms, au programme de mon U.V. Littérature américaine. A l’époque, j’avais mis cela sur le compte de mes lacunes en anglais.

Force est de constater que, même en français, Faulkner m’est tout aussi nébuleux : tout au long de ma lecture, j’ai eu ce sentiment de marcher à travers une forêt dense, par une nuit de brouillard épais. J’avançais d’un pas mal assuré, sans savoir où je me dirigeais, un détail distingué de temps à autre m’encourageant à progresser plus profondément encore dans la brume.
Pas à pas, je me suis frayé un chemin et j’ai fini par me retrouver hors du bois, dans la lumière, sans savoir comment j’avais réussi à en sortir, à la fois soulagé et attristé pourtant d’en avoir fini.

Temple Drake, fille d’un juge renommé, s’échappe de l’université en compagnie de Gowan Stevens, un jeune homme porté sur la bouteille. Son état d’ébriété avancée sera la cause de leur accident de voiture. Indemnes mais sous le choc, les deux tourtereaux trouvent refuge dans une vieille bicoque à l’écart de la route, qui s’avèrera être un repaire de trafiquants d’alcool de contrebande, commerce florissant dans cette Amérique de la Prohibition.
Alors que Gowan, dans un état semi comateux, est emmené cuver dans une chambre à l’étage, Temple va se retrouver seule en compagnie d’un groupe d’individus peu recommandables, aux intentions peu louables.
Pour elle, le cauchemar peut alors commencer.

Ce qu’il se passe réellement dans ce roman, je serais bien embêté s’il me fallait l’exposer dans le détail car rien n’est jamais clairement énoncé. Faulkner use volontiers de l’ellipse et fait exploser la chronologie de son récit, laissant au lecteur le soin de recomposer certains pans de l’intrigue laissés volontairement dans le flou.
Ajoutant à la confusion et à la tension permanentes, Faulkner place d’entrée son lecteur en présence d’une foule de personnages à peine esquissés, certains désignés de façon vague et indéterminée (« l’homme », « il », « elle »). Si bien qu’il est parfois difficile de savoir du premier coup de quel protagoniste il est question.

Paradoxalement, au milieu de ce flou artistique, l’auteur peut parfois s’embarquer dans des descriptions d’une extrême précision. Généralement, il s’agit d’actions anodines qui, ainsi rapportées, finissent par sembler bien plus compliquées qu’elles ne le sont en réalité. J’ai en tête le souvenir de la description par le détail du mouvement de l’un des personnages, geste banal et insignifiant, décomposé à la façon d’une photo de Muybridge.
Cette profusion de détails qui exige du lecteur une attention décuplée… pour finalement pas grand-chose. Faulkner ou de la minutie comme facteur de confusion !

Il subsiste de cette aventure faulknérienne le récit noir et pessimiste de la face la plus obscure de la nature humaine. Quelle que soit la couche de la société à laquelle ils appartiennent, les personnages se révèlent des êtres veules, violents, demeurés, immoraux, corrompus. Aucun d’entre eux n’est pleinement défendable, pas même Temple, victime certes, mais qui n’en reste pas moins une sainte-nitouche allumeuse et capricieuse.
En ne portant aucun jugement sur ses personnages, Faulkner rend son propos encore plus désespéré et désespérant. Impuissants, tous sont de simples jouets d’un destin sans espoir sur lequel ils n’ont aucune prise, à l’image du jeune avocat, Horace Benbow, engagé dans un combat perdu d’avance.
Et c’est l’ironie du sort qui aura le dernier mot.

Ce qu’ils en ont pensé :

BlueGrey : « Cette construction non linéaire, avec sa chronologique bouleversée et sa narration disloquée, déroute certainement, mais force l’admiration devant son habileté, le lecteur restant incertain jusqu’au bout sur les faits. C’est un livre difficile, qui requiert une attention soutenue et qu’on lit partagé entre fascination et répulsion. »

Ingannmic : « Faulkner suggère l’horreur plus qu’il ne la décrit, distille les informations relatives à l’intrigue avec parcimonie, bouscule la chronologie des faits. C’est ainsi presque en état d’hypnose qu’il nous plonge : assommé par cette atmosphère trouble et oppressante, le lecteur est à sa merci. Et peu importe finalement si les tenants et aboutissants de l’histoire ne sont jamais complètement dévoilés. »

Lilly : « Sanctuaire est le livre de Faulkner que j’ai lu avec le plus d’avidité. La chronologie bouleversée et les informations qui arrivent un peu au compte-goutte rendent le roman encore plus captivant. (…) Il faut attendre la fin du livre afin de connaître la totalité de l’histoire, et de pouvoir confirmer ce qui avait jusque là été surtout suggéré. »

La Nymphette : « Je n’ai pas aimé, car ce livre m’a dérangé effrayée, troublée, mais… Pourquoi l’avoir lu jusqu’au bout ? La principale raison est le style du roman. Parfait dans son esthétisme, il attrape le lecteur et le maintient dans une très forte tension tout au long de la lecture. Certains passages malgré le contenu qu’ils révèlent frôlent le sublime dans la forme. »

Roxane : « Comme il choisit de ne jamais livrer de jugement sur ces personnages, l’ambiance est particulière. Il plonge dans les tréfonds de leur âme, dans l’obscurité de leurs esprits, sans jamais les condamner, ni les encourager. Chaque être humain a sa part de noirceur, ses vices mais s’il n’y a personne pour les juger, pour les placer sur l’échelle du Bien et du Mal, sont-ce encore des vices ? »

Sandrounette : « “L’enfer, c’est les autres” disait Jean-Paul Sartre dans Huis Clos. Le Sanctuaire de Faulkner se situe dans l’Autre… J’avais ressenti cet arrière-goût amer en lisant son premier roman “Monnaie de Singe”. Il est encore plus présent dans celui-ci, preuve qu’il s’agit d’une grande œuvre de la Littérature. »

Sylvie : « Même si au début, le lecteur peut être désorienté par la multiplicité des personnages, l’intrigue se resserre de plus en plus ce qui facilite la progression de la lecture. En bref, un roman riche mais abordable pour découvrir l’œuvre de Faulkner. »

Thom : « Le véritable génie de Faulkner dans ce texte, c’est avant tout d’écrire sur le Mal absolu sans jamais le nommer ni le montrer du doigt. S’il dissèque l’âme humaine, sa médiocrité, sa lâcheté ou sa corruption… c’est en supprimant son point de vue propre d’homme honnête et d’écrivain respectable. En laissant s’exprimer les autres, désaxés, fous, criminels… tous ceux qui n’ont pas droit à la parole ailleurs ; tous ceux sur lesquels les autres (même les plus grands… même Hemingway…) n’écrivent pas. »

Yspaddaden : « Ce n’est pas dans l’empathie avec les personnages que le lecteur trouvera une aide à la lecture de ce roman difficile aussi par son style et sa construction. Faulkner pratique l’ellipse narrative, procédé qui laisse le lecteur face à des événements qu’il ne peut comprendre. Il faut deviner, extrapoler pour comprendre le sort de Temple. »

Sanctuaire, de William Faulkner
(Sanctuary) – Traduction de l’anglais (États-Unis) : R.N. Raimbault et Henri Delgove.
Revu par Michel Gresset
Folio n°231 (1997) – 375 pages