golder-nemirovsky Self-made man ayant bâti sa fortune en spéculant sur le pétrole et le gaz, David Golder commence à ressentir douloureusement le poids de ses soixante-huit ans.
Cela ne l’empêche pas de rester un redoutable homme d’affaires, avec lequel il faut compter : Moscou, Londres, New York… il écume toujours les places boursières internationales, traquant le placement juteux qui lui rapportera toujours plus d’argent.

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Ce n’est pas sa femme, Gloria, qui s’en plaindra. Celle-ci mène grand train, organise des réceptions pour des parasites mondains et dépense sans compter l’argent de son mari en bijoux, fourrures… et gigolos.
Insatiable et ne pouvant se résoudre à réduire son standing, elle n’a qu’une crainte : que l’argent cesse de couler à flots.

Joyce, la fille de Golder, fierté du vieil homme, est tout aussi frivole et dépensière. Mais, attendri par la jeunesse et la fraîcheur de ses dix-huit ans, il cède à tous ses caprices.
« Joyce ? Il l’aimait, elle… Et encore… Parce qu’elle était belle, jeune, brillante. De l’orgueil ! Il n’avait que de l’orgueil et de la vanité au fond du cœur ! »

Victime d’une crise d’angine de poitrine qui le terrasse, Golder sera un moment entre la vie et la mort. Une fois rétabli, il va jeter un œil neuf sur son existence, remettre en perspective le sens de sa vie : sa course sans fin à l’argent, ses rapports avec sa femme et sa fille qui ne voient en lui qu’une source inépuisable de liquidités avec laquelle il leur faut composer si elles veulent satisfaire leurs caprices.

Affaibli et diminué par la maladie, Golder voit ses affaires péricliter. Sa femme et sa fille l’abandonnent dans son appartement parisien vidé de tout son mobilier, où il passe ses jours terrorisé par l’imminence de sa mort. Jusqu’au jour où dans un ultime sursaut, il va renouer avec les affaires et rebâtir sa fortune.

On le sait, Irène Némirovsky puisait la matière première de ses œuvres dans sa propre histoire familiale. Malgré tout, on reste médusé de savoir que c’est de son père, Leonid, riche banquier juif ukrainien, et de sa mère, Anna, mondaine volage, dont elle s’est inspirée pour créer David et Gloria Golder. Même Joyce ressemble beaucoup à la jeune fille qu’elle était alors.

Golder est un personnage ambigu qui, tour à tour, provoque la répugnance ou la pitié. Implacable et sans pitié en affaires, sa seule raison de vivre semble être son âpreté au gain.
Mais n’est-il qu’un vieil homme mal aimé et méprisé par les siens, ne trouvant son salut que dans les affaires qu’il remporte de haute lutte ou est-il à ce point obnubilé par l’argent qu’il en néglige sa famille qui, par retour, ne le considère que comme une “pompe à fric” ?

Avec l’arrivée de la maladie, le pacte de non-agression tacite signé entre Golder et Gloria va rapidement virer au déferlement de fiel pour finir en haine des plus tenaces :
« Elle savait bien… Elle avait toujours su… Jamais il n’avait mis un sou de côté pour elle… Tout coulait, tout disparaissait d’une affaire à une autre… Et maintenant ? « Des milliards sur le papier, oui, mais dans les mains, rien, pas ça… » siffla-t-elle avec rage entre ses dents serrées. Il disait : « De quoi t’inquiètes-tu ? Je suis encore là… » Imbécile ! Est-ce qu’à soixante-huit ans il ne fallait pas attendre tous les jours la mort ? Est-ce que le premier devoir n’était pas d’assurer à sa femme une fortune convenable, suffisante ? Ils n’avaient rien. Quand il abandonnerait ses affaires, il ne resterait rien. Les affaires… Quand ce fleuve d’argent vivant ne coulerait plus… « Il restera peut-être un million, songea-t-elle, peut-être deux, en raclant bien… » Elle haussa furieusement les épaules. Un million durait six mois au train dont ils vivaient. Six mois… et cet homme, par-dessus le marché, ce mourant inutile sur le dos… « J’ai bien besoin qu’il vive encore quinze ans, vraiment, cria-t-elle tout à coup d’une vois haineuse, pour tout le bonheur qu’il m’a donné… Non, non… » Elle le haïssait, brutal, vieux, laid, n’aimant rien d’autre au monde que cet argent, ce sale argent qu’il n’était même pas capable de garder ! Il ne l’avait jamais aimée… S’il la couvrait de bijoux, c’était comme une enseigne vivante, un étalage »
« Et les autres ? Comment faisaient-ils ? Tous ils travaillaient, comme lui ! Ils ne se croyaient pas plus intelligents ni plus forts que le monde entier, mais, du moins, quand ils étaient vieux, quand ils mouraient, ils laissaient leurs femmes à l’abri du besoin !… « Il y a des femmes qui sont heureuses… » Tandis qu’elle… La vérité, c’est qu’il ne s’était jamais soucié d’elle… Jamais il ne l’avait aimée… Autrement il n’aurait pas pu vivre une heure tranquille en sachant qu’elle n’avait rien… que le malheureux argent qu’elle avait mis de côté, elle-même, au prix de combien de patience et d’efforts… « Mais c’est mon argent, à moi, à moi, s’il compte que c’est avec ça que je le ferai vivre !  » »

Le vrai Golder est-il ce boursicoteur sans scrupules qu’il est devenu ou ce petit Juif des quartiers pauvres d’Odessa auquel il repense avec nostalgie au seuil de la mort ?
Cette ambiguïté subsistera jusqu’à la dernière page puisqu’on ne saura jamais si Golder se lance dans son coup de poker final par amour de sa fille ou pour couronner sa carrière d’une ultime victoire… et empocher par le même coup plus d’argent qu’il n’en a jamais gagné.

Gloria et Joyce s’affrontent pour récolter les bonnes grâces et les faveurs de Golder. Mondaines et volages, elles apparaissent comme des créatures frivoles et vaines qui, telles des succubes, dévorent Golder et l’entraînent toujours plus loin vers la mort à mesure qu’elles exigent de lui toujours plus d’argent.
La rivalité entre la mère et la fille est âpre : Gloria est jalouse de la jeunesse de cette fille encombrante. La seule présence de Joyce trahit son âge véritable et l’empêche de jouir pleinement de l’attention des autres.
Calquée sur les relations qu’Irène Némirovsky entretenait avec sa propre mère, Anna, cette rivalité mère/fille trouvera écho dans plusieurs autres de ses textes parmi lesquels Le Bal ou Jézabel.

Les autres femmes du roman ne sont pas logées à meilleure enseigne, qu’il s’agisse de l’épouse de Soifer, l’ami de Golder…
« Soifer montra du poing la fenêtre et Paris entier.
« Avant-hier, continua-t-il de sa voix aiguë et gémissante, c’était les impôts sur le revenu, demain le loyer. Il y a huit jours quarante-trois francs de gaz. Puis c’est ma femme qui a acheté un nouveau chapeau. Soixante-douze francs !… Une espèce de pot renversé !… ça m’est égal de payer pour quelque chose de bien, quelque chose qui dure… ça ! ça ne lui fera pas deux saison !… Et à son âge !… Un linceul, voilà ce qui lui convient ! Voilà ce que j’aurais payé avec plaisir !… Soixante-douze francs !… De mon temps, on avait une petite peau d’ours chez nous, pour ce prix-là !… Oh mon Dieu, mon Dieu, si mon fils veut se marier un jour, je l’étrangle de mes propres mains… ça vaudra mieux pour lui, pauvre petit !… que de payer toute la vie, comme vous et moi !… »
…ou encore de la femme de Marcus, l’associé de Golder :
« Mme Marcus entra. Son maigre visage au grand nez dur, en forme de bec, était jaune et opaque comme de la corne ; ses yeux brillants et ronds cillaient fortement sous les sourcils rares et clairs, placés de façon étrange, inégale, très haut.
Elle s’avança sans bruit, à petits pas pressés, rapides, prit la main de Golder et parut attendre. Mais Golder, la gorge serrée, ne disait rien. Elle murmura, avec un petit grincement bizarre comme un rire irrité ou un sec sanglot :
« Oui. Vous ne vous y attendiez pas !… Cette folie, ce ridicule, ce scandale… Je bénis le Seigneur de ne pas nous avoir donné d’enfants. Vous savez comment il est mort ? Dans une maison close, rue Chabanais, avec des filles. Comme si la ruine ne suffisait pas », acheva-t-elle en portant un mouchoir à ses yeux.
Le mouvement brusque délaça sous le crêpe un collier de perles énormes, enroulé trois fois autour du long cou ridé qu’elle agitait par saccades comme un vieil oiseau de proie.
« Elle doit être très riche, vieux corbeau, pensa Golder ; c’est toujours ainsi chez nous. Crever à force de travail pour qu’elles s’enrichissent !… »
Il revit dans son souvenir sa propre femme qui cachait précipitamment son carnet de chèques dès qu’il entrait, comme un paquet de lettres d’amour. »

Peinture sans concession du milieu de la finance, des parvenus et des mondains des Années folles, David Golder est un court roman (ou une longue nouvelle) grinçant. Irène Némirovsky y trempe une fois encore sa plume dans l’acide et brosse avec justesse les affres psychologiques de ses personnages.

Pour la petite histoire, David Golder a été le premier grand succès – critique et public – d’Irène Némirovsky. Elle avait envoyé son manuscrit à Bernard Grasset sous son nom d’épouse, en ne laissant qu’une adresse en poste restante. Après avoir lu le manuscrit dans la nuit, l’éditeur enthousiaste envoie dès le lendemain matin une lettre invitant l’auteur à signer un contrat. Sans réponse au bout d’un mois, Grasset passe une annonce dans les journaux pour retrouver celui dont il n’imagine même pas qu’il puisse être une jeune fille de 26 ans. Ce n’est que plusieurs semaines plus tard qu’Irène Némirovsky se présentera à lui, tout juste remise d’un premier accouchement difficile qui l’avait empêchée d’aller relever son courrier.
Quelque temps seulement après son succès en librairie, David Golder sera adapté au théâtre puis au cinéma, par Julien Duvivier, qui confiera ainsi à Harry Baur le rôle titre de son premier film parlant.

Les avis de Sylvie et de Majanissa.

David Golder, d’Irène Némirovsky
Le Livre de Poche n°2372 (1993) – 192 pages