blog-blondel Floué, trahi. Violé, même.
L’adolescent, narrateur de Blog, n’a pas de mot assez fort pour décrire ce qu’il a ressenti quand il s’est aperçu que son père lisait son blog à son insu. Sa bouffée d’oxygène, son jardin secret. Si secret qu’il n’en a soufflé mot à personne. Encore moins à ses parents !

V est idéal pour ceux qui exigent plus de leur vélo pliant.

Furieux, il va se confronter sur-le-champ à son père.
Pris la main dans le pot de confiture, celui-ci s’empêtre dans d’improbables explications, et finit par bredouiller quelques plates excuses.
Insuffisant. Les représailles ne se font pas attendre : le jeune garçon décide de ne plus adresser la parole à son père.
« Il est conscient d’avoir commis une énorme bourde, mais il persuadé que ça me passera et que, s’il se fait oublier quelque temps, les choses rentreront d’elles-mêmes dans l’ordre. Il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il devrait se souvenir que je peux être extrêmement borné et que j’imite très bien l’autiste. En plus, je serai incorruptible. Inutile de tenter de m’amadouer avec des jeux vidéo ou des places de concert. Je ne céderai pas. Je continuerai à lui battre froid – j’ai appris cette expression-là en cours de français l’autre fois et elle m’a éclaté : c’est vrai, on s’imagine toujours un combat comme un moment chaud et sanguin, mais battre le froid, c’est la classe ultime. L’indifférence, le mépris, il n’y a rien de pire – je vais devenir un vrai congélateur. »

Rapidement, l’ambiance s’en ressent à la maison. L’air devient vite irrespirable ; l’atmosphère, tendue. Malgré les intercessions de sa mère, le fils tient bon. Il sera intraitable et reste sourd aux tentatives de rapprochement engagées par le camp paternel.

Un soir, son père dépose devant la porte de sa chambre un carton recouvert de poussière qu’il vient tout juste de descendre du grenier.

Feignant l’indifférence dans un premier temps, le garçon va finir par succomber à la tentation et ouvrir la mystérieuse boîte. Il en extrait quelques vieilles photos défraîchies où figure une version rajeunie de son père, en compagnie d’autres jeunes gens de son âge. S’il en reconnaît certains, d’autres en revanche lui sont inconnus.
Plongeant à nouveau la main dans le carton, il en ressort quatre carnets. Un rapide survol lui confirme ce qu’il pressentait : il tient dans ses mains les journaux intimes que son adolescent de père tenait dans les années 80.

Peu avare en railleries, il entreprend la lecture du premier carnet, qu’il prend un malin plaisir à “casser” allégrement. Pourtant, nuit après nuit, dans le silence de la maisonnée endormie, il poursuit son travail de reconnaissance.
« J’ai réussi à mettre quelques noms et adresses sur quelques prénoms qui apparaissent souvent dans le journal, et même parfois à les faire correspondre à des photos – mais cela ne rend pas l’ensemble plus passionnant.

C’est même affligeant de platitude.
Je me suis moqué plusieurs fois du style – il hésite encore entre faire dans le saccadé et plonger dans de longues phrases alambiquées. Des ses références pourries. De sa façon de décrire ses états d’âme. Heureux. Pas heureux. Déprimé. Hyper-déprimé. Un lexique de gamin de primaire.
Je me suis moqué, donc, et j’ai trouvé ça ennuyeux au possible. Et pourtant. J’y reviens. J’y reviens sans cesse. Je ne parviens pas à me l’expliquer. C’est le même type d’addiction que pour les émissions de téléréalité. Il ne se passe rien, mais tu as quand même envie de connaître la suite. C’est très curieux. Ça me déstabilise. Je me sens ferré par la Secret Story de mon père. C’est quand même pas très glorieux. »

Au fil des carnets, il va réaliser qu’un jour son père a eu lui aussi seize ans. Les carnets vont également lui révéler un secret que son père lui avait caché jusque-là pour le préserver.

Je pourrais reprendre intégralement ici l’introduction de mon billet sur Au rebond, le précédent roman jeunesse de Jean-Philippe Blondel.
Mot pour mot, ou presque. En plus enthousiaste même, si je ne craignais pas que cela décrédibilise ce qui va suivre. Et aussi en remplaçant le sourire béat par la larme à l’œil.

Pourtant, ma rencontre avec Blog a commencé sur un malentendu. Contrairement à ce que le titre du roman peut laisser supposer, le blog n’est pas le sujet central du roman. Il n’est pour Jean-Philippe Blondel qu’un prétexte pour explorer ces thèmes qui lui tiennent à cœur : la perte d’un être cher, la construction de son identité, l’acceptation de soi, la force de l’amour et de l’amitié, la nostalgie du temps qui passe…

On retrouve également des préoccupations, apparues plus récemment dans ses romans, comme la complexité des relations parents/enfants, la difficulté d’être parent, quoi transmettre à ses enfants, et comment ?
« Mais bon, ce n’est pas super simple non plus d’avoir un père instit qui a été ta star pendant toute ton enfance. A un moment donné, au collège, tu t’aperçois que finalement, non, il n’a pas réponse à tout et qu’il ne connaît pas toutes les matières. Tu te rends compte aussi qu’il se trompe souvent, qu’il prend des décisions à l’emporte-pièce et qu’il ne sait pas bien s’occuper des enfants qui grandissent – il ne comprend pas quand il doit lâcher un peu plus la bride et quand, au contraire, il devrait la resserrer. Je ne dis pas que c’est facile. Je dis que c’est son rôle et qu’il ne le remplit pas bien. »

A travers la voix de son jeune narrateur, Blondel poursuit un bilan de mi-parcours entamé dans Le baby-sitter :
« Est-ce que vraiment grandir, vieillir, se marier, avoir des enfants, ça te coupe de tout ce que tu souhaitais devenir ? Est-ce que c’est à cause de moi et de ma sœur qu’il a renoncé à tout ? Je commence à le croire. Je commence à le maudire. Parce que si c’est le cas, alors je suis coincé. Je suis celui par qui le malheur arrive et dont la naissance a signé l’acte de décès des rêves de son père. Si c’est le cas, il n’aurait jamais dû me le faire savoir. Je n’avais rien demandé. »

Le thème du blog et des journaux intimes lui offre l’occasion de livrer quelques réflexions sur l’écriture :
« Quand ta phrase s’allonge, la peau se dévoile. En me cachant sous les mots, je mets en scène le plus impudique des strip-teases. »

Et puis, au détour d’une phrase, il y a la musique, les chansons, omniprésentes dans l’œuvre de l’auteur, comme autant de jalons de la vie.

Une fois encore, l’observation est fine et sensible. Tout se tient, tout sonne juste.
Malgré son épilogue ouvert et optimiste, Blog est plus grave et profond qu’Au rebond. Et, ne serait-ce son nombre de pages réduit, absolument rien ne le destine spécifiquement à un public jeunesse.

L’avis de Laure… et sa version off !

Blog, de Jean-Philippe Blondel
Actes Sud Junior (2010) – 114 pages