oates-rosamond-sourire-ange A ma droite, Dorothea Deverell, veuve quadra désirable, cadre dynamique dans une fondation culturelle, entretenant une liaison de longue date avec un homme marié.
A ma gauche, Colin Asch, jeune homme à la gueule d’ange. Beauté hypnotique, mais présence inquiétante.
Au centre, une de ces réunions entre gens de bonne compagnie. Au beau milieu des brillantes réparties, des derniers potins en date et des piques adroitement distribuées, débarque Colin.
A 27 ans, le neveu des hôtes de la soirée ressemble à un oisillon tombé du nid, perdu, affolé, fragile. De quoi faire fondre le cœur de toutes les dames présentes, jeunes et moins jeunes, et réveiller leur instinct maternel et protecteur.
« Il avait vingt-sept ans. En décembre, il en aurait vingt-huit. Seul. Célibataire. Aucune vraie famille. En Europe, on lui avait affirmé plusieurs fois qu’il était « si radicalement américain », mais en Amérique, comment pouvait-on le définir ? L’innocence irradiait de lui comme de la chaleur, brillait dans ses yeux, coulait dans ses veines. Sa poignée de main, son contact, exprimaient sympathie, force, simplicité, destin exceptionnel. Ignorant tout de son terrible passé, les femmes raffolaient de lui pour son expression douloureuse et pour sa virilité. Quelques hommes aussi l’adoraient, et il en effrayait certains. Non sans raison ! commentait-il, amusé. »

, ils soient le plus grand fabricant mondial de vélos pliants.

Une seule remarque anodine de la part de Dorothea, et Colin va voir en elle son âme sœur, sa seule raison de vivre… et de tuer.
« Une belle femme. « Dorothea Deverell ». Une étrangère pour Colin Asch, et qui pourtant le connaissait inexplicablement ; qui savait à quel point il avait besoin qu’on le comprenne, qu’on l’aime, qu’on le console. Le cœur du problème, c’est que la faim sanctifie !, écrivit-il.
Une vérité toute simple, et il avait fallu que ce soit cette inconnue qui la lui révèle, de peur qu’une fausse culpabilité ne vienne contaminer son âme. »

Le charmant jeune homme va peu à peu tomber le masque pour se révéler être un redoutable psychopathe, n’hésitant pas à assassiner tous ceux qui se mettent en travers du chemin de sa “dulcinée” et menacent son bonheur. Seul témoin de ses méfaits : le registre bleu dans lequel il consigne scrupuleusement ses meurtres.

C’est sûr que présenté comme ça, Le sourire de l’ange parait d’une banalité affligeante. Rien que le titre est tout un programme à lui tout seul (que celui ou celle qui l’a choisi se dénonce et aille postuler chez Harlequin).
Et je dois avouer que dans les premières pages, j’ai craint le pire : personnages issus de la bonne société de Boston, belles demeures et grosses voitures, working girl séduisante et cultivée, conversations compassées et réunions mondaines… tant et si bien que je n’aurais pas été étonné que derrière le pseudonyme de Rosamond Smith se cache Mary Higgins Clark.

Puis, Colin Asch entre en scène. Et ce qu’on prenait pour une chronique superficielle de la bourgeoisie du Massachusetts devient étude de mœurs. Ce qui s’annonçait comme une enquête policière banale et balisée évolue vers tout autre chose.

D’ailleurs, d’enquête policière il n’y a point dans Le sourire de l’ange. Le récit se déroule sans surprise. Dès le début, le lecteur connaît l’assassin puisque le narrateur n’est pas peu fier de se vanter de ses méfaits.
Tout l’intérêt de cette histoire finalement banale réside alors dans l’examen serré de la psychologie des différents protagonistes, Colin Asch en tête : découvrir ses motivations, comprendre son raisonnement, son fonctionnement pervers, anticiper ses actes, même.

Dès ce moment, quand le récit se concentre principalement sur l’étude des comportements et des caractères, s’évanouit l’ombre d’Higgins Clark et apparaît Joyce Carol Oates, expert des traumas de l’âme et des démons intérieurs. Ainsi, Oates/Smith s’attache à explorer les fêlures intimes, les tourments intérieurs, la face cachée de ses personnages qui, sous le vernis de la bienséance, se démènent avec leur solitude et leurs désillusions.

Sous des dehors angéliques et vulnérables, Colin Asch est un dangereux psychopathe, manipulateur, égocentrique, convaincu de sa supériorité sur le commun des mortels qu’il méprise.
« Il n’avait pas la moindre crainte que la police parvienne à remonter jusqu’à lui. Depuis l’âge de quinze ans, où i lavait tué pour la première fois, où, plutôt, on l’avait forcé à tuer pour la première fois, jamais Colin Asch n’avait été inscrit sur une liste de suspects, du moins à sa connaissance. Comme tout le monde, ou presque (excepté le mouton à cinq pattes qui sortait de lot), la police était totalement stupide. »

Se considérant comme un génie incompris, le jeune homme souffre de ne pas être reconnu à sa vraie valeur, de ne pas être suffisamment admiré. Au plus fort de ses crises de paranoïa, il va jusqu’à blâmer l’injustice du monde qui se ligue contre lui et l’oblige à commettre ses crimes.

L’étude de la perception de Colin par Dorothea est également intéressante. On voit comment tout au long des événements, celle-ci perçoit inconsciemment des choses qui devraient l’alerter et comment, par légèreté ou par souci de protection, elle se contente d’ignorer ses pressentiments ou de les refouler.
« Dorothea Deverell devait se demander par la suite s’il existe vraiment un instinct prémonitoire ou si c’est seulement après coup que l’on remplit les vides là où il n’y avait sur le moment que de l’ignorance.
Il est vrai qu’elle avait pensé de temps en temps à Colin Asch, cet hiver et ce début de printemps, et elle s’était interrogée, sans s’y attarder, sur certaines actions du jeune homme, sur des remarques énigmatiques qu’il avait pu faire, aussi. Mais elle devait bien avouer qu’elle n’avait jamais associé de façon précise, réelle, Colin Asch à elle-même, ni à quiconque d’ailleurs (…). »

Oates/Smith en profite, au passage, pour dénoncer le culte des apparences et éreinter avec subtilité les mœurs de la bonne société bostonienne. Les amateurs de thriller et de suspense en seront donc pour leurs frais.

Une lecture agréable mais pas magistrale comme avait pu l’être Fille noire, fille blanche.
Je dois cette nouvelle incursion dans l’univers de Joyce Carol Oates à Blog-O-Book et aux éditions de L’Archipel.

Ce qu’elles en ont pensé :

Sorti en 1994 en France, Le sourire de l’ange n’a apparemment pas créé l’enthousiasme chez les blogueurs puisque je n’ai réussi à dénicher que les deux avis suivants :

Lucy : « Autant j’apprécie J.C.Oates dans ses romans de fiction (Nous étions les Mulvaney, Fille noire fille blanche, etc.) autant j’ai peu apprécié Rosamond Smith dans ce roman policier. »

MéLi-MélO : « Malgré sa banalité, ce roman fait froid dans le dos et même si on devine assez vite l’issue finale, le suspens est présent tout du long et le style habile nous incite à tourner les pages. »

Le sourire de l’ange, de Joyce Carol Oates (aka Rosamond Smith)
(Soul/Mate) – Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre Charras
L’Archipel – Archipoche n°121 (2010) – 320 pages