peyrel-si-ame « Je m’appelle Hans. Je m’appelais Hans. Déjà. Le 7 novembre 1919. J’ai rencontré Frédéric à la gare de Hanovre. Il faisait froid

Les flics sont venus le 23 juin 1924. Frédéric n’était pas là. Le piano ne jouait pas depuis quelques jours. Je dormais. Encore. »

Comme une litanie scandée par Hans, cette déclaration, factuelle comme le serait une déclaration de police, rythme Si j’ai une âme.
Deux dates répétées périodiquement au cours du récit, comme deux parenthèses qui contiendraient toute l’histoire de Hans.

Très tôt, le jeune Hans a fui le foyer familial, menant une vie d’errance, de gare en gare.
« Je ne me souviens pas d’avoir aimé mes parents. Je ne me souviens pas de mes parents. Ma mère un peu. Je ne me souviens pas de quoi que ce soit avant les gares. Je sais que je m’appelle Hans. Je savais tout ce qu’il fallait faire pour être aimé. Mais. Je veux dire. Aimer moi-même et tout ça. C’est autre chose. Il faudrait que j’imagine des trucs. Il faudrait que je fasse des trucs que je n’aime pas. Faire croire. Faire comme si tout était bien. Quand je suis là. Je veux dire. C’est comme si j’étais ailleurs. Mais je suis là. C’est comme ça. Je pourrais être ailleurs et tout ça. Alors. Il ne faut pas me demander de choisir. De préférer une chose à une autre. Je ne sais pas faire. Ca ne me dérange pas qu’on choisisse pour moi. »

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Rapidement, il comprend qu’il peut tirer parti de son physique avantageux pour survivre. C’est ainsi qu’il vend ses charmes à des hommes mûrs dans les toilettes des gares. Certains lui proposent de loger chez eux. Hans accepte parfois, et s’attarde plus ou moins longtemps, comme le cœur lui en dit.

Au lendemain de la première Guerre Mondiale, quand il tombe sur Frédéric, à la gare de Hanovre, c’est différent. Non pas que Frédéric soit plus jeune ou beau que les autres, loin de là. Ni plus gentil, d’ailleurs. Mais Frédéric lui “en impose” alors il accepte de le suivre chez lui. Pour Frédéric aussi, habitué à ramener des jeunes gens chez lui, cette fois-ci est singulière.

Hans va rester et s’installer à demeure. Seule restriction exprimée par Frédéric : il devra obligatoirement rester absent de l’appartement tous les après-midi. Ces deux-là vont constituer un bien drôle de couple où l’amour n’a pas sa place.
« On m’a dit que nous étions amants et j’ai bien aimé. Je trouve ça bien d’être amants. On n’a jamais eu besoin de savoir ce que nous étions avec Frédéric. On n’avait jamais eu besoin. Mais il a fallu définir. Je pense. Toujours pour cette importance de l’ordre. Les gens ont voulu que nous soyons amants et cela m’allait. S’ils avaient voulu que nous soyons frères. S’ils avaient voulu que nous soyons ennemis ou encore étrangers. Cela aurait pu me convenir de même. Tant que nous étions dans la même phrase. »

Avec Frédéric, Hans a trouvé un certain équilibre, une situation confortable qui lui convient. Ce qui ne gâche rien, Frédéric est brillant parleur et affiche tous les signes extérieurs de la respectabilité. Sa position supposée d’informateur pour la police lui confère même une sorte de prestige supplémentaire.
« On ne cherche pas le bonheur, ni la vérité. On veut l’attention, le contact, la chaleur et le goût des autres. »

Après quelques années de cette routine, Hans découvrira accidentellement un beau jour à quoi Frédéric consacre ses après-midi et pourquoi il tient tant à rester seul chez lui : après les avoir « baisés », il tue les jeunes garçons qu’il ramène chez lui, et les dépèce pour revendre ensuite leurs vêtements et leur viande au marché noir.

Le point de départ de Si j’ai une âme est un fait-divers qui a secoué l’Allemagne au sortir de la Grande Guerre : en 1924, Fritz Haarmann, surnommé le Boucher de Hanovre, a été guillotiné pour le meurtre de 24 jeunes garçons de 11 à 22 ans (il en avait reconnu “de 50 à 70”).

Seulement, plutôt qu’à Haarman, Vincent Peyrel préfère s’intéresser à son complice, Hans Grans. Si j’ai une âme est donc un long monologue de Hans qui attend, dans sa cellule, de connaître le verdict que vont lui réserver les jurés à son procès.

De façon quasi clinique, Hans revient sur cette parenthèse de presque cinq années passées en compagnie de Frédéric. Il débite son récit comme Frédéric ses victimes : par morceaux, par phrases hachées, Peyrel usant et abusant du point. Ce monologue est entrecoupé par moments de saynètes théâtrales, avec didascalies et dialogues, qui sont comme autant de plongées dans l’intimité des deux protagonistes (d’ailleurs, ces intermèdes théâtraux soulignent combien ce texte se prêterait parfaitement à une adaptation pour les planches).

Contrairement à ce qui pourrait sembler au premier abord, ce ne sont pas les scènes de meurtre, plutôt crues il est vrai, qui dérangent.
« Eric était une pute. Une jeune. Jolie. Pute. Il était même assez gentil. Je l’ai connu à peine deux heures. On a discuté. Parlé de sa vie. Frédéric avait l’air assez content que je sois venu finalement. Il nous a parlé longtemps de son père. Puis on a baisé tous les trois. Il gémissait tout le temps comme une femme. Pire. On avait déjà baisé avec le même mec avec Frédéric. Certaines fois. Celles où j’ai ramené quelqu’un. Ca ne finissait pas comme ça. Moi je me suis emmerdé. Je crois que c’est moi qui l’ai étranglé pendant que Frédéric le suçait encore. Il ne comprenait pas. Au début. Il a aimé je crois. Après il a compris que je voulais vraiment le tuer et il a eu peur. Je me souviens que je l’ai retourné pour lui enfoncer la tête dans les coussins et Frédéric en a profité pour le pénétrer. »

Ce qui est troublant et qui donne à réfléchir, c’est la personnalité même de Hans. Le jeune garçon semble totalement indifférent à tout ce qui se passe autour de lui, apparemment incapable de distinguer le bien du mal.
« Certains font des choses bien pires et ne sont pas inquiétés. J’ai tué. Oui. J’ai tué mais c’est bien tout. Je ne comprends toujours pas pourquoi c’est si mal. J’ai bien tué. Sur l’ordre d e personne. Sous aucune influence. Mais. J’ai mangé. C’est cela qui déplaît. J’ai tué. Oui. J’ai mangé. Aussi. »

En fait, il serait plus exact de dire que ses notions du bien et du mal diffèrent de celles qui régissent la société.
« Les gens ont dit que mes fautes venaient de lui. Il n’est pas resté longtemps le mal. Avant qu’on demande à Frédéric de raconter son histoire. Je ne pensais pas être aussi mal. Moi. J’ai tout raconté et les gens ne comprenaient pas. Lui. Ils comprenaient alors qu’il n’a pas raconté la vérité. Ca me dépasse. En fait. Les gens ne veulent pas comprendre. Ils entendent des choses qu’ils demandent. Les choses qu’ils ne demandent pas. Ils ne comprennent pas. Ils ne devraient pas demander. Alors. Pour ne pas comprendre. »

Il se dégage de Hans une certaine forme d’instinct primal, d’animalité, que trahit son apparente froideur, son absence d’émotion, d’états d’âme et de pudeur. Il prend la vie comme elle vient, sans aller chercher plus loin. Il se prostitue pour l’argent, mais aussi pour le plaisir primitif qu’il en retire, lui qui avoue sans gêne qu’il a « presque toujours envie de baiser. Avec n’importe qui. ».
Si dans les premiers temps de leur relation il ignore les agissements de Frédéric, dès qu’il en a connaissance, il les accepte sans se poser le moindre cas de conscience.
« Il ne fallait pas chercher de raison à ce qu’il faisait. Il en avait toujours. Des raisons je veux dire. Moi je ne suis pas comme ça. Je fais des choses. La plupart du temps je ne fais rien. Comme ça. Sans me poser de questions. Je comprends pas comment on peut se poser des questions. On a déjà les réponses en général. C’est juste un moyen de se parler pour être sûr que l’on fait ce qu’il faut et que l’on cautionne soi-même ses actes. Après tout. C’est le seul avis qui compte. Le sien. Je n’ai pas souvent d’avis non plus. Vu que je ne me pose pas de question sur ce qui est bien ou non et ça ne me manque pas. »

Il serait facile – et rapide – de considérer Hans comme une abomination de la nature, un chancre de la société. A aucun moment, Vincent Peyrel ne le juge. Au contraire, il parvient à faire affleurer son humanité, sa vulnérabilité, laissant osciller son lecteur entre dégoût et compassion.

Un grand merci à Yohan qui a eu l’excellente idée d’apporter au pique-nique de la blogoboule certains ouvrages dont il voulait se défaire. Sans lui, je serais passé totalement à côté de ce livre.

Les premières pages sont à découvrir sur le site des Éditions L’Armourier ou en annexe de ce billet.
Le site du Monde du livre propose un entretien vidéo avec l’auteur (de piètre qualité sonore, malheureusement)

Ce qu’ils en ont pensé :

Blandine Longre : « Happé par ce récit tortueux mais limpide, le lecteur se fraye un chemin dans les pensées de Hans, entre fascination, répulsion et compassion, tâchant de saisir l’essence de ce narrateur qui fait, quoi qu’on en dise, figure de victime sacrificielle ; son témoignage déplace le concept de «normalité» et affirme la relativité du bien et du mal, des notions qui n’apparaissent ici que comme de pures constructions sociales »

Laurence : « Même si j’ai compris l’entreprise de l’auteur, même si j’ai réussi à pénétrer le rythme imposé par la ponctuation, même si je n’ai pas été choquée par la narration volontairement très crue, je reste assez mitigée à la fin de ma lecture. J’ai trouvé ce roman, certes intéressant, pour les questions qu’il soulève, mais cette froideur a contaminé ma lecture, et c’est assez détachée que j’ai suivi le destin de Hans. Mais pouvait-il en être autrement vu le sujet? Peut-être faut-il effectivement rester étranger à l’histoire elle-même pour comprendre le propos de Vincent Peyrel. »

Yohan : « C’est au final un premier roman très travaillé, qui plonge et nous plonge dans l’horreur d’une situation désespérée, et ne m’a pas laissé indifférent. Mais tout y est si sombre, si pessimiste, que j’ai bien du mal à dire que j’ai aimé ce livre. Un sentiment ambigu donc. »

Si j’ai une âme, de Vincent Peyrel
L’Armourier – Collection Thoth (2007) – 138 pages