aciman-tard-jamaisElio, le narrateur, revient sur l’été de ses dix-sept ans, alors qu’il était un adolescent studieux et réservé.

Chaque été, les parents d’Elio, accueillent un jeune universitaire étranger dans leur résidence de la Riviera italienne.
Leur hôte cet été-là est un jeune professeur de philosophie américain, Oliver, venu finaliser la traduction italienne de son livre sur Héraclite.
A peine est-il sorti du taxi qu’Elio, troublé par son assurance et sa désinvolture, tombe illico sous le charme d’Oliver.

Attiré par le jeune américain, Elio essaie par tous les moyens de se rapprocher de lui. Il lui fait découvrir la région, l’accompagne en ville…
Tour à tour amusé, flatté ou agacé, Oliver semble jouer avec les sentiments de l’adolescent, tout en s’efforçant dans le même temps de maintenir entre eux une distance prudente.
Entre silences pesants et moments de tendre complicité, les journées s’étirent sous la torpeur estivale ; Elio étudie Haydn au piano ; Oliver, au bord de la piscine, corrige les épreuves des traductions qu’il reçoit chaque jour.
Le soir, tandis que le jeune professeur s’éclipse pour aller jouer au poker en ville, Elio retrouve sa petite amie, Marzia.

L’adolescent ne sait plus très bien où il en est. Certes, il couche avec Marzia mais Oliver l’attire et il ne sait pas comment exprimer ce qu’il ressent.
« Et pourquoi ne lui montrerais-je pas à quel point j’étais en effet comme du beurre ? Parce que j’avais peur de ce qui pourrait arriver alors, craignais qu’il ne se moque de moi, raconte ça à tout le monde, ou n’y prête aucune attention sous prétexte que j’étais trop jeune pour savoir ce que je faisais ? Ou parce que s’il soupçonnait quelque chose serait forcément sur la même longueur d’onde -, il pourrait être tenté d’agir en conséquence ? Est-ce que je le voulais ? Ou préférerais-je une vie entière de désir inassouvi dès lors que nous continuerions indéfiniment ce petit jeu de ping-pong : ne pas savoir, ne pas savoir, ne pas-ne-pas-ne pas savoir ? Motus, ne rien dire, et si vous ne pouvez pas dire « oui », ne dites pas « non », dites « plus tard ». Est-ce pourquoi les gens disent « peut-être » quand ils veulent dire « oui », en espérant que vous penserez que c’est « non » alors qu’en réalité ils veulent dire : S’il te plait, demande-moi encore, et encore ? »

Il y a des vélos pliants qui ne posent aucune des contraintes évoquées ci-dessus.

Le jour, Elio toujours à l’affût, analyse le moindre geste, le moindre regard, la plus petite réaction d’Oliver. La nuit, dans ses rêves, il ose passer à l’acte et lui avouer son attirance.
« Je prendrais une décision de sang-froid. Et s’il posait la question, je répondrais franchement. Je ne suis pas sûr de vouloir continuer, mais j’ai besoin de savoir, et il vaut mieux que ce soit avec toi qu’avec n’importe qui d’autre. Je veux connaître ton corps, je veux savoir ce que tu ressens, je veux te connaître, et me connaître à travers toi. »

Attentes, espérances, déceptions… Après moult valses hésitations, jeux de cache-cache et de séduction, les deux hommes vont finir par se dévoiler et s’abandonner à une ardente passion.
« Comme dans toute expérience qui nous marque pour la vie, je me sentais bouleversé, tiraillé, écartelé… C’était la somme de tout ce que j’avais jamais été – et davantage : celui que je suis quand je chante en faisant frire des légumes pour ma famille et mes amis le dimanche après-midi ; celui que je suis quand je me réveille par une nuit glaciale et ne désire rien tant que d’enfiler un pull, me précipiter vers mon bureau, et écrire sur la personne que je sais que nul ne sait que je suis ; celui que je suis quand j’ai envie d’être nu avec un autre corps nu, ou quand j’ai envie d’être seul au monde ; celui que je suis quand chaque partie de moi semble être à des lieues et des siècles des autres et que chacune jure qu’elle porte mon nom. »

« A partir de maintenant, pensais-je, à partir de maintenant… J’avais, comme jamais encore dans ma vie, le sentiment très net d’arriver dans un lieu très cher, de vouloir que cela ne cesse jamais, d’être moi, moi, moi, moi, et personne d’autre, juste moi, de trouver dans chaque frisson qui courait le long de mes bras quelque chose de totalement inconnu et pourtant de tout à fait familier, comme si tout ceci avait fait partie de moi toute ma vie et que je l’eusse égaré et qu’il m’eût aidé à le retrouver. Mon rêve avait eu raison – c’était comme de rentrer chez soi, comme demander, où ai-je été jusqu’à présent, ce qui était une autre façon de demander, où étais-tu dans mon enfance, Oliver, ce qui était encore une autre façon de demander, qu’est la vie sans ceci, et c’est pourquoi, finalement, ce fut moi, et non lui, qui ne pus m’empêcher de dire, non une seule fois, mais de nombreuses fois : « « Tu me tueras si tu arrêtes, tu me tueras si tu arrêtes » », parce que c’était aussi ma façon de réunir le rêve et le fantasme entre nous, en prononçant ces paroles longtemps désirées, en mettant dans ma bouche les mots que j’avais mis dans sa bouche, échange de mots bouche à bouche, et c’est alors que j’ai dû commencer à proférer des obscénités qu’il répéta après moi, tout bas d’abord, jusqu’au moment où il me dit : « Appelle-moi par ton nom et je t’appellerai par le mien », ce que je n’avais encore jamais fait et qui, dès que je prononçais mon propre prénom comme s’il était le sien, m’emporta dans un monde que je n’avais encore jamais partagé avec personne et que je n’ai jamais retrouvé depuis. »

Dans une certaine intemporalité (bien que le roman soit clairement situé dans les années 1980), Plus tard ou jamais explore la flambée d’un premier amour, d’une passion qui marquera à jamais ses deux protagonistes.
André Aciman dépeint avec justesse et délicatesse la montée du désir chez le jeune Elio : ses troubles, ses hésitations, sa peur d’être rejeté, puis après le saut dans l’inconnu, la culpabilité et, enfin, l’acceptation.
Même si elle ne se résume pas à son caractère homosexuel (tout un chacun, homo comme hétéro a vécu un premier amour), le fait que cette passion rapproche deux hommes m’a forcément renvoyé à ma propre expérience.

Le personnage du père d’Elio est particulièrement remarquable. La sagesse et la tolérance dont il fait preuve envers son fils sont autant d’encouragements à ne pas laisser passer l’instant présent.
« – Je voudrais bien avoir été aussi avisé à ton âge. Je me serais épargné bien des erreurs de parcours.
– Vous, des erreurs de parcours ? Franchement, Pro, je ne vous vois même pas imaginant une erreur de parcours.
– C’est parce que tu vois comme un personnage, pas comme une personne réelle. Pis encore : comme un personnage plus très jeune. Mais il y en a eu. Des erreurs de parcours, c’est-à-dire. Chacun passe par des moments de traviamento – lorsqu’on prend, disons, un chemin différent dans la vie, l’autre via. Dante lui-même l’a fait. Certains s’en remettent, d’autres feignent de s’en remettre, certains n’en reviennent jamais, certains se dégonflent avant même de commencer, et d’autres, par peur de s’écarter de la route, finissent par mener toute leur vie une existence qui ne leur convient pas. »

« Vous deux avez eu une belle amitié. »
C’était bien plus audacieux que tout ce que j’avais prévu.
« Oui », répondis-je, en essayant de laisser ce oui en suspens, comme soutenu par quelque restriction informulée. J’espérais seulement qu’il n’avait pas perçu le Oui, et alors ? légèrement hostile, évasif et apparemment las dans ma voix.
(…)
« Tu es trop fin pour ne pas comprendre combien ce que vous avez eu tous les deux était rare, spécial.
– Oliver était Oliver, dis-je comme si cela résumait tout.
Parce que c’était lui, parce que c’était moi », ajouta-t-il, citant ce qu’écrivit Montaigne pour expliquer son amitié avec Étienne de La Boétie.
Je pensais plutôt aux mots d’Emily Brontë : parce qu’« il est plus moi-même que je ne le suis ».
(…)
« Ça va être dur », dit-il sur un autre ton, un ton qui signifiait : On n’a pas besoin d’en parler, mais ne feignons pas de ne pas savoir de quoi je parle.
Rester évasif était la seule façon pour moi de lui avouer la vérité.
« Ne crains rien, ça viendra. Du moins je l’espère. Et quand tu t’y attendras le moins. La nature est habile à trouver notre point le plus vulnérable. Rappelle-toi seulement que je suis là. Maintenant tu ne veux peut-être rien ressentir. Tu ne l’as peut-être jamais voulu. Et ce n’est peut-être pas avec moi que tu voudras parler de ces choses. Mais tu as bien ressenti quelque chose. »
Je le regardai. C’était le moment où je devais mentir et lui dire qu’il se trompait complètement. J’étais sur le point de le faire.
« Écoute, me devança-t-il. Tu as eu une belle amitié. Peut-être plus qu’une belle amitié. Et je t’envie. À ma place, la plupart des parents espéreraient que tout cela passe vite, ou que leur fils retombe rapidement sur ses pieds. Mais je ne suis pas un tel parent. S’il y a du chagrin, chéris-le, et s’il y a une flamme, ne l’éteins pas, ne sois pas brutal avec elle… Le manque peut être une chose terrible quand il nous tient éveillé la nuit, et voir les autres nous oublier plus vite qu’on ne voudrait être oublié n’est pas mieux… Nous arrachons tant de nous-mêmes pour guérir plus vite qu’il ne le faut, qu’à trente ans nous sommes démunis et avons moins à offrir chaque fois que nous commençons avec quelqu’un de nouveau. Mais ne rien ressentir pour ne rien ressentir – quel gâchis ! »
Je ne pouvais même pas commencer à absorber tout ça. J’étais stupéfié.
« Ai-je été indiscret ? » demanda-t-il.
Je secouai la tête.
« Alors permets-moi de dire une chose encore. Ça nous mettra plus à l’aise. Je n’en ai peut-être pas été loin, mais je n’ai jamais eu ce que tu as eu. Quelque chose m’a toujours retenu, ou fait obstacle. La façon dont ut vis ta vie est ton affaire. Mais souviens-toi, notre cœur et notre corps ne nous sont donnés qu’une fois. La plupart d’entre nous ne peuvent s’empêcher de vivre comme s’ils avaient au moins deux vies à vivre, l’une étant le brouillon, l’autre, la version définitive, sans compter toutes ces autres versions entre les deux. Mais il n’y en a qu’une, et bientôt notre cœur est usé et, pour ce qui est du corps, le moment vient où personne ne le regarde, ni n’a la moindre envie de s’en approcher. Maintenant il y a le chagrin. Je ne t’envie pas la souffrance. Mais je t’envie le chagrin. »

Cependant, malgré de nombreux passages lumineux, Plus tard ou jamais n’a pas réussi à m’emporter. La passion est trop intellectualisée, le style trop précieux (malgré des passages d’une grande crudité), chassant toute émotion, toute pulsion, toute animalité même.
Une exception toutefois : les poignantes retrouvailles vingt ans plus tard, des deux amants qui n’ont rien oublié. Tout comme Elio, Oliver, même s’il est désormais marié et père de deux enfants, garde un souvenir indélébile de cet été-là, exempt de tout regret mais teinté d’une douce nostalgie.
« Au fil des années, je l’avais relégué dans un passé permanent, mon amant plus-que-parfait, l’avais mis dans la chambre froide du cœur, plein de souvenir et de boules de naphtaline comme un trophée de chasse s’entretenant avec le fantôme de toutes mes nuits. Je l’époussetais de temps en temps et puis je le remettais sur le dessus de la cheminée. Il n’appartenait plus à la terre ni à la vie. Ce que je risquais de découvrir à ce stade, ce n’était pas seulement à quel point les chemins nous avions pris étaient éloignés l’un de l’autre, c’était aussi la mesure de la perte que j’allais éprouver de nouveau – une perte à laquelle je pouvais aisément penser en termes abstraits, mais que ferait mal quand je serais confronté à sa réalité, comme la nostalgie fait mal longtemps après qu’on a cessé de penser à des choses qu’on a perdues et peut-être jamais vraiment aimées. »

« Te voir ici, c’est comme se réveiller d’un coma de vingt ans : on regarde autour de soi et on s’aperçoit que sa femme est partie, que ses enfants, qu’on n’a pas vus grandir, sont déjà des adultes, certains sont mariés, nos parents sont morts depuis longtemps, on n’a plus d’amis, et ce bambin qui nous regarde avec des grands yeux n’est autre que notre petit-fils, qu’on a amené là pour accueillir pépé émergeant de son long sommeil. Notre visage dans le miroir est aussi blême que celui de Rip Van Winkle. Mais voilà le hic, ou l’avantage : on a vingt ans de moins que ceux qui sont rassemblés autour de soi, et c’est pourquoi je peux avoir de nouveau vingt-quatre ans en une seconde – j’ai vingt-quatre ans. Et si on poussait la parabole un peu plus loin, je pourrais me réveiller et être plus jeune que mon fils aîné…
– Qu’est-ce que cela dit sur la vie que tu as vécue, alors ?
– En partie- en partie seulement – c’était un coma, mais je préfère appeler ça une vie parallèle. Ca sonne mieux. Le problème est que la plupart d’entre nous ont – vivent, c’est-à-dire – plus de deux vies parallèles. »

Ce qu’ils en ont pensé :

The Icon « Ce livre m’a une touché profondément aussi par le talent et le style de l’auteur qui au fur et à mesure de la lecture t’embarque sans jamais te lâcher. Le genre de livre que l’on relit plusieurs fois ! »

Olivier « Plus tard ou jamais revient sur l’incandescence de ce premier amour. De sa lente maturation, difficile acceptation et reconnaissance. Elio comme Oliver éprouvent des sentiments semblables mais ils n’osent les exprimer. Chacun se garde de se dévoiler trop clairement. La crainte, mêlée d’un peu de culpabilité les retient de ce honteux désir à vivre. Ce beau roman quitte heureusement les berges sages de l’amour qui n’ose reconnaître sa réalité pour des accélérations fortes et réjouissantes. »

Ephemerveille « André Aciman, dans ce livre de très haute tenue, explore, avec sentiment et érudition, le thème cher à la littérature des premières passions amoureuses. Embrassant avec Plus tard ou jamais une vingtaine d’années au goût salé de cet été italien, il fait brillamment suivre à son lecteur la traversée dans le temps de baisers et d’étreintes douloureusement inoubliables. »

Plus tard ou jamais, d’André Aciman
(Call me by your name) – Traduction de l’anglais (américain) : Jean-Pierre Aoustin
L’Olivier (2008) – 294 pages